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sorte que chaque difficulté peut donner lieu à un conflit, et chaque conflit dégénérer en guerre civile. La faute en est, disaient les autres, à l'opinion publique qui s'obstine à ne pas croire que la République soit le gouvernement naturel de la France. Accusez-en, disaient ceux-ci, les partis extrêmes, dont tous les efforts semblent tendre à déshonorer la liberté par la licence, et à ne laisser à la société que l'alternative de périr ou de chercher son salut dans l'emploi des remèdes héroïques. Ceux-là enfin, remontant jusqu'au pouvoir lui-même, trouvaient la cause de ces rumeurs dans les excitations, dans les équivoques de langage de la presse napoléonnienne.

La susceptibilité des partis était telle qu'on voulut donner à la publication d'un livre déjà connu l'importance d'un événement. Il est vrai que ce livre portait le nom d'un des plus grands hommes d'État de la dernière monarchie. M. Guizot venait d'ajouter à son Histoire de la révolution de l'Angleterre une Introduction où la curiosité chercherait vainement des analogies ou des allusions. On voulut voir un pamphlet dans ce livre. Lu par son illustre auteur à l'Académie, un brillant tableau de la restauration des Stuarts fut applaudi par les uns comme un souvenir, par les autres comme une espérance.

On voit combien la fibre politique était irritable. Aussi, attacha-t-on une grande importance à l'interprétation d'une tentative qui, en tout autre temps, eût honoré le pouvoir en révélant ses intentions d'améliorer les situations les plus respectables.

Notre armée, disait un organe assez mollement désavoué de la présidence, notre armée est une des meilleures et des mieux organisées de l'Europe; mais il lui manque une chose essentielle, d'anciens sous-officiers. En effet, tandis que, dans les pays étrangers, les soldats qui deviennent sous-officiers demeurent tels toute leur vie, il arrive qu'en France, à cause de l'avancement auquel ils ont droit, la plupart des sous-officiers se retirent du service dès qu'ils perdent l'espoir de passer officiers. On annonçait donc un projet de loi tendant à augmenter de 20 centimes par jour la solde de tous les sous-officiers. On s'appuyait sur ces paroles mêmes de Napoléon :

<«< Il faut encourager par tous les moyens les soldats à rester sous les drapeaux, ce que l'on obtiendra facilement en témoi gnant une grande estime aux vieux soldats. Il faudrait aussi augmenter la solde en raison des années de service, car il y a une grande injustice à ne pas mieux payer un vétéran qu'un soldat. >> Les opinions diverses s'effrayèrent de cette sollicitude peutêtre intéressée pour l'armée. On approuvait la proposition, mais on en jalousait l'initiative. Ce projet inspira à MM. le général Subervie, au colonel Charras et à quelques autres membres de la Montagne l'idée d'une proposition analogue dont voici les termes:

« Art. 1er. A dater du 12 avril 1850, la solde des sous-officiers de tous grades et de toutes armes sera augmentée d'un cinquième dans toutes les positions.

» Art. 2. L'augmentation de dépenses résultant du changement apporté dans les tarifs de solde sera couverte au moyen d'une diminution de l'effectifsoldats, opérée sur l'effectif proposé au budget rectifié du ministère de la guerre. >>

Enfin, le 15 janvier, une nouvelle proposition ayant pour objet l'augmentation de la solde des caporaux, des brigadiers, des soldats et des marins, ouvriers, mécaniciens des flottes à voiles ou vapeur, était présentée par M. Charles Lagrange.

à

Le rapporteur nommé par la commission chargée d'étudier ces propositions diverses, M. Piscatory, voulut y voir une intention. politique; or, le Gouvernement était l'auteur de l'une de ces propositions. « On semble, dit le rapporteur, se disputer l'honneur de donner à l'armée une plus large part dans le budget qu'elle sait déjà trop lourd pour le pays. L'armée préserve et honore la France par sa fermeté calme et intelligente, par son admirable discipline. Elle n'est soucieuse que de ce grand et noble intérêt. En lui rendant cet hommage, nous sommes les interprètes fidèles de l'Assemblée. »

Somme toute, la commission contestait l'urgence et elle concluait à ce que cette question de solde fût traitée lorsque l'Assemblée s'occuperait de l'appréciation générale des différentes positions dans l'armée. Toutefois, comme un refus absolu eût été trop dur, la commission voulut témoigner à sa façon l'intérêt que lui inspiraient les sous-officiers. S'emparant d'une des raisons se

sorte que chaque difficulté peut donner lieu à un conflit, et chaque conflit dégénérer en guerre civile. La faute en est, disaient les autres, à l'opinion publique qui s'obstine à ne pas croire que la République soit le gouvernement naturel de la France. Accusez-en, disaient ceux-ci, les partis extrêmes, dont tous les efforts semblent tendre à déshonorer la liberté par la licence, et à ne laisser à la société que l'alternative de périr ou de chercher son salut dans l'emploi des remèdes héroïques. Ceux-là enfin, remontant jusqu'au pouvoir lui-même, trouvaient la cause de ces rumeurs dans les excitations, dans les équivoques de langage de la presse napoléonnienne.

La susceptibilité des partis était telle qu'on voulut donner à la publication d'un livre déjà connu l'importance d'un événement. Il est vrai que ce livre portait le nom d'un des plus grands hommes d'État de la dernière monarchie. M. Guizot venait d'ajouter à son Histoire de la révolution de l'Angleterre une Introduction où la curiosité chercherait vainement des analogies ou des allusions. On voulut voir un pamphlet dans ce livre. Lu par son illustre auteur à l'Académie, un brillant tableau de la restauration des Stuarts fut applaudi par les uns comme un souvenir, par les autres comme une espérance.

On voit combien la fibre politique était irritable. Aussi, attacha-t-on une grande importance à l'interprétation d'une tentative qui, en tout autre temps, eût honoré le pouvoir en révélant ses intentions d'améliorer les situations les plus respectables.

Notre armée, disait un organe assez mollement désavoué de la présidence, notre armée est une des meilleures et des mieux organisées de l'Europe; mais il lui manque une chose essentielle, d'anciens sous-officiers. En effet, tandis que, dans les pays étrangers, les soldats qui deviennent sous-officiers demeurent tels toute leur vie, il arrive qu'en France, à cause de l'avancement auquel ils ont droit, la plupart des sous-officiers se retirent du service dès qu'ils perdent l'espoir de passer officiers. On annonçait donc un projet de loi tendant à augmenter de 20 centimes par jour la solde de tous les sous-officiers. On s'appuyait sur ces paroles mêmes de Napoléon :

<< Il faut encourager par tous les moyens les soldats à rester sous les drapeaux, ce que l'on obtiendra facilement en témoignant une grande estime aux vieux soldats. Il faudrait aussi augmenter la solde en raison des années de service, car il y a une grande injustice à ne pas mieux payer un vétéran qu'un soldat. >>

Les opinions diverses s'effrayèrent de cette sollicitude peutêtre intéressée pour l'armée. On approuvait la proposition, mais on en jalousait l'initiative. Ce projet inspira à MM. le général Subervie, au colonel Charras et à quelques autres membres de la Montagne l'idée d'une proposition analogue dont voici les termes:

<< Art. 1er. A dater du 12 avril 1850, la solde des sous-officiers de tous grades et de toutes armes sera augmentée d'un cinquième dans toutes les positions.

» Art. 2. L'augmentation de dépenses résultant du changement apporté dans les tarifs de solde sera couverte au moyen d'une diminution de l'effectifsoldats, opérée sur l'effectif proposé au budget rectifié du ministère de la guerre. >>>

Enfin, le 15 janvier, une nouvelle proposition ayant pour objet l'augmentation de la solde des caporaux, des brigadiers, des soldats et des marins, ouvriers, mécaniciens des flottes à voiles ou à vapeur, était présentée par M. Charles Lagrange.

Le rapporteur nommé par la commission chargée d'étudier ces propositions diverses, M. Piscatory, voulut y voir une intention politique; or, le Gouvernement était l'auteur de l'une de ces propositions. « On semble, dit le rapporteur, se disputer l'honneur de donner à l'armée une plus large part dans le budget qu'elle sait déjà trop lourd pour le pays. L'armée préserve et honore la France par sa fermeté calme et intelligente, par son admirable discipline. Elle n'est soucieuse que de ce grand et noble intérêt. En lui rendant cet hommage, nous sommes les interprètes fidèles de l'Assemblée. »

Somme toute, la commission contestait l'urgence et elle concluait à ce que cette question de solde fût traitée lorsque l'Assemblée s'occuperait de l'appréciation générale des différentes positions dans l'armée. Toutefois, comme un refus absolu eût été trop dur, la commission voulut témoigner à sa façon l'intérêt que lui inspiraient les sous-officiers. S'emparant d'une des raisons se

condaires données par M. le ministre de la Guerre en ces termes : << Ce sera un moyen puissant (l'augmentation de la solde) de déterminer les sous-officiers à rester sous les drapeaux, où il est si essentiel de les conserver longtemps, » elle pensa qu'il fallait allouer une prime au réengagement. Le principe était admis, mais la mesure était rejetée comme inopportune. C'est sous une forme nouvelle que nous retrouverons plus tard la proposition primitive.

Les défiances exprimées avec mesure par une commission prise dans le sein de la majorité, se traduisirent naturellement avec moins de réserve dans les manifestations des partis extrêmes. Ainsi, la situation sembla si dangereuse à un membre de l'extrême gauche, M. Pradié, qu'il déposa une proposition tendant à organiser la résistance légale. La proposition de M. Pradié n'était pas nouvelle; avant le 13 juin 1849, la résistance légale était à l'ordre du jour, on se le rappelle, dans toutes les feuilles de la presse socialiste. Refus d'impôt, procès devant toutes les juridictions, refus de service militaire, formation instantanée de centres de rébellion dans les départements, voilà les moyens qu'on mettait en avant. Les théories de résistance légale précèdent toujours les insurrections.

D'après la théorie de l'honorable membre, il eut suffi d'une décision de casuistes de tel ou tel parti pour allumer sur vingt points du territoire le feu de la guerre civile. Le moindre prétexte, interprété par la passion politique serait devenu le signal de la révolte, et des juntes insurrectionnelles auraient étendu en quelques jours, leur réseau sur le pays. C'était le beau idéal du fédéralisme révolutionnaire. On n'eut pas de peine à répondre victorieusement et à repousser de tels expédients. Vous croyez, diton, organiser la résistance, vous n'organisez que l'anarchie. Une insurrection éclate; vous lui opposez quarante mille insurrections. Vous voulez parer un coup d'Etat et vous créez mille pouvoirs ir réguliers à coups d'Etat. Ou votre Constitution est une force et un droit, ou elle n'est qu'une feuille de papier. Si elle est une force réelle, elle doit contenir tout ce qu'il faut de répression pour le cas indiqué. Il est inutile d'ajouter que la proposition fut rejetée.

Les tendances nouvelles de la majorité vers la défiance contre le pouvoir éclatèrent plus hautement encore dans plusieurs votes.

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