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contre les conclusions de la commission. M. Valentin prétendit qu'à la chambre seule il appartenait de prendre une décision sur les pétitions qu'on lui envoyait et que les tribunaux ordinaires ne pouvaient pas en connaître. Une seule des conclusions de la commission fut votée au scrutin de division par 429 voix contre 229; c'est celle qui était relative au renvoi au ministère de la Justice des pétitions en contravention avec la loi de l'imprimerie (1er juin).

Sans doute la loi n'était pas parfaite; sans doute, dès la première confection des listes, elle donna des résultats bizarres. Un certain nombre de citoyens honnêtes, paisibles, laborieux étaient frappés d'incapacité électorale dans les villes où l'octroi tient lieu de taxe personnelle. A Paris par exemple, beaucoup de locataires dont le loyer ne dépasse pas 200 fr. ne se trouvent inscrits ni au rôle de la contribution personnelle, ni au rôle de la prestation en nature. Le rôle des imposables ne comble qu'en partie ces lacunes.

Mais y avait-il dans ces défauts de la loi une raison suffisante pour en demander l'abrogation à quelques jours du vote. Il se trouva des représentants pour le croire aux deux extrémités de l'Assemblée. Il est inutile d'ajouter que les propositions de M. Bourzat et de M. de Larochejaquelein furent également écartées. Une autre proposition spéciale de MM. Arnaud (de l'Ariége), Detours et Bac fut présentée pour l'abrogation de la loi si récemment votée. La commission, par l'organe de M. Monet, se refusa à discuter au fond le mérite de cette proposition, se bornant à la considérer comme inopportune et prématurée (5 août).

Il était plus simple et plus logique de consulter la magistrature sur les moyens d'aplanir les difficultés pratiques et de corriger les imperfections de la loi. La Cour de cassation fut mise en demeure de statuer sur les pourvois assez nombreux qui lui furent déférés contre les jugements des juges de paix sur l'appel des décisions rendues par les commissions municipales. Les décisions de la cour suprême allaient servir de correctif et de commentaire à la loi. Les premiers arrêts furent empreints d'un grand esprit de libéralité. Ainsi, l'article 5 de la loi établissait une exception en faveur des fonctionnaires publics, auxquels il donnait le droit de se faire inscrire sur la liste électorale de la commune dans la

quelle ils exerceraient leurs fonctions publiques, quelle que fût la durée de leur domicile dans cette commune. Or, la définition de ce mot fonctionnaire public est très-variable et très-élastique en jurisprudence. Elle est tantôt plus restreinte et tantôt plus étendue, suivant les cas et l'esprit différent des textes législatifs. S'agit-il d'appliquer l'article 75 de la Constitution de l'an VII, aux termes duquel les particuliers ne peuvent exercer de poursuites contre les fonctionnaires publics sans l'autorisation préalable du conseil d'Etat en ce cas, le mot fonctionnaire public est interprété dans son sens le plus restreint, et il ne comprend que les agents directs de l'autorité, c'est-à-dire les ministres, les préfets, les sous-préfets, les maires, etc. La même définition ne pouvait s'adapter à l'article 5 de la loi électorale, dont la disposition, étant toute de faveur, doit être entendue dans le sens le plus large, selon la maxime de droit, favores ampliandi. La Cour de cassation décida que, dans ce cas, le mot fonctionnaire public devait s'appliquer à tout individu qui est chargé d'un service public et qui remplit une fonction publique. En ce sens, les employés des ministères, des préfectures, des sous-préfectures, sont des fonctionnaires publics. Des arrêts de la Cour jugèrent que les gendarmes et même les sergents de ville, assermentés et payés sur les fonds de la caisse communale, étaient des fonctionnaires publics. Dans une autre sphère, les notaires, qui donnent le caractère authentique aux actes privés et qui les revêtent de la formule exécutoire, sont également des fonctionnaires publics, et plusieurs arrêts les classèrent en effet sous ce titre. Enfin la Cour interprétait la loi d'une manière si large, qu'elle en étendait le bénéfice aux membres des bureaux de bienfaisance, aux membres des conseils municipaux et même aux facteurs de la halle.

C'est ainsi que l'œuvre du juge achevait l'œuvre du législateur; l'épuration libérale du suffrage universel. Comme annexe à la nouvelle loi électorale. Il faut signaler une proposition de M. Dabeaux tendant à faire appliquer aux élections municipales et aux élections de département les dispositions de cette loi, c'est à tort, selon M. Dabeaux, que l'on pensait que la loi électorale du 15 mars 1849 et celle qui venait d'être rendue s'appliquaient de

plein droit aux élections communales et départementales. Ces élections étaient régies par le décret spécial du 3 juillet 1848, qui disposait qu'elles seraient faites par les citoyens âgés de vingt et un ans accomplis, ayant leur domicile réel, depuis un an au moins, dans la commune, et non judiciairement privés ou suspendus de l'exercice des droits civiques. Les deux lois dont il vient d'être parlé n'avaient été faites qu'en vue de l'élection des représentants du peuple et du président de la République, et elles ne renfermaient aucune dérogation au décret de l'Assemblée Constituante, quant à celles des conseils municipaux et des conseils de département et d'arrondissement.

La commission d'initiative parlementaire reconnut que le décret avait été implicitement abrogé par les deux lois électorales, et que l'une et l'autre devaient s'appliquer de plein droit aux élections municipales et départementales (11 juin).

Enfin, la question du suffrage universel revint une dernière fois, à l'occasion d'une proposition de M. Pascal Duprat, relative à la nomination du conseil général et des municipalités du département de la Seine. M. Victor Hennequin, orateur de l'extrême gauche, soutint la proposition avec une modération et une convenance parfaites.

On sait qu'un décret du 3 juillet 1848 avait institué, par les mains du pouvoir exécutif, une commission municipale provisoire, pour Paris et pour le département de la Seine, jusqu'à ce qu'il eût été statué sur ce point par une loi spéciale. Malgré cette réserve, M. Pascal Duprat regardait comme illégale l'existence actuelle de la commission municipale. Le rapporteur, M. Labordère, ne partagea pas cette opinion. La commission ne croyait pas que le moment fût venu de mettre un terme au provisoire, et de donner à l'administration municipale de Paris et du département de la Seine une organisation régulière et définitive; elle pensait que, dans les circonstances actuelles, en présence des menaces de l'avenir, il y aurait danger à livrer les destinées de la capitale au caprice du suffrage universel. Ne pourrait-on pas s'exposer à voir sortir de l'urne électorale une nouvelle commune de Paris. Sur ces conclusions, la prise en considération fut repoussée à la majorité de 376 voix contre 194 (13 juin).

CHAPITRE VII.

DÉFENSE, RÉPRESSION, RÉPARATION.

LOIS DE DÉFENSE. Les clubs, prorogation de la loi du 19 juin; M. Esquiros, la révolution de la vengeance; M. Mathieu (de la Drôme), purification des sources de la propriété; vote de l'urgence; réunions électorales, vote de la loi.- La Presse périodique, cautionnement et timbre, loi de haine, le journalisme et la liberté absolue. Les écrits non-périodiques, réclamations des délégués de la librairie, de l'imprimerie et de la papeterie. Les journaux de province; M. Madier de Montjau, les petits journaux; M. Rouher, la catastrophe de Février, tumulte, M. É. de Girardin, la démission en masse, simple protestation; M. V. Hugo, les petits hommes de Février. Hécatombe d'amendements. Idée nouvelle, moralisation de la presse, MM. Tinguy et de Laboulie, les bravi du journal, la signature; M. Casimir Périer, aggrava. tion nouvelle; cautionnement supplémentaire, taxe unique. Contradictions du scrutin; M. de Riancey, le roman-feuilleton. Incident, le Pouvoir à la barre de l'Assemblée, condamnation, l'Empire et la majorité. Vote de la loi, comment on la juge, son but et ses effets. Les maires, droit de nomination et de révocation à accorder à l'Etat, rejet, les légitimistes et la Montagne. Propositions de défense, le Gouvernement à Versailles, la République et la centralisation, Paris tuera la France, rejet de la proposition de Grammont. Réunion des conseils généraux. Conditions de séjour à La garde nationale en suspicion.

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Paris. Lois répressives.—Transportation, les insurgés de juin, grâces successives, révoltes à Belle-Isle. Conditions de la transportation en Algérie. Les partis en présence, MM. Favre et Boysset, justification de l'insurrection, de quel côté des barricades étaient les criminels, le général Bedeau. Demande de juges, le général de Lamoricière. Amendement de défiance contre le Pouvoir, conversation de couloirs, MM. Kerdrel et Testelin, l'écouteur aux portes. Vote du projet. - Déportation, les îles Marquises. - Première délibération, M. Farconet; rétroactivité, amendement légitimiste, argumentation de M. Vatimesnil, échec. — Deuxième délibération, rejet d'un amendement de M. J. Favre, M. Pierre Leroux et M. de Mornay, les familles déportées et les familles royales. - Troisième délibération, lettre mensongère, incertitudes dans l'Assemblée, vote de la loi. Article 472 du Code d'instruction criminelle, les coutumaces, exécution par effigie. LOIS RÉPARATRICES.-Liste civile, prorogation du décret du 25 octobre, abrogation des dispositions relatives aux biens du duc d'Aumale et du prince de Joinville; M. Huguenin, idées nouvelles sur la propriété; M. de Larochejaquelein, allusions regrettables; les calomnies attardées, les coupes sombres.

Cour des comptes, réintégration des fonctionnaires révoqués. Garde mobile, projets divers, les intérêts de l'armée, indemnité de solde, admission dans les écoles militaires. Secours aux victimes des insurrections, proposition Lagrange, recherche des citoyens oubliés; progrès de la conscience publique, soldats et gardes municipaux, les soldats du droit populaire; refus de secours aux blessés de Février, pas de prime à l'insurrection. - Blessés de juin, vote de secours, la veuve du général Reguault, officiers pensionnés de la garde mobile.

Ce n'était pas assez pour la défense de la société d'interdire l'entrée des comices électoraux à l'armée du désordre, il fallait encore fermer ces tribunes anarchiques du haut desquelles les démagogues agitent les populations. Une loi, votée le 19 juin 1849, avait, on se le rappelle, autorisé le Gouvernement à interdire, pendant une année, à partir de sa promulgation, les clubs ou autres réunions qui auraient un caractère inquiétant pour l'ordre public. Quelques jours encore et la société allait se trouver désarmée. L'urgence était donc évidente. Aussi, la discussion sur ce point ne fut pas très-animée. Un des nouveaux élus du département de Saône-et-Loire, M. Esquiros chercha en vain à animer le débat par une profusion de métaphores mystiques; en vain l'orateur déclama contre les embaumements d'institutions mortes, en vain prédit-il une révolution nouvelle, la révolution de la vengeance; en vain M. Mathieu (de la Drôme) vint-il, après lui, exalter le socialisme qui doit « purifier les sources de la propriété; » en vain M. Bancel développa-t-il cette thèse « qu'il n'est pas de milieu entre la liberté illimitée et le despotisme : tous ces frais d'éloquence devinrent inutiles en présence des extraits de procès-verbaux par lesquels M. Boinvilliers, rapporteur, édifia l'Assemblée sur le calme et la moralité des clubs. La question d'urgence fut votée à la majorité de 422 voix contre 189.

Mais la loi discutée ne prorogeait pas seulement la loi du 19 juin 1849 l'expérience des dernières agitations électorales n'avait pas été inutile, et la loi nouvelle expliquait et étendait l'ancienne loi en la déclarant applicable aux réunions électorales qui seraient de nature à compromettre la sécurité publique. Ainsi fortifiée, la loi fut adoptée par 469 voix contre 191 (6 juin).

La tribune des clubs, ces cavernes impures, comme les appelle le décret de la Convention (1794), ne s'élève qu'à certains jours d'ef

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