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une marche plus simple et moins dispendieuse aux opérations de partage; il demanda, en conséquence, le renvoi de la proposition au conseil d'État. L'honorable M. Favreau répondit au ministre que les départements intéressés, et notamment les cinq départements de l'ancienne province de Bretagne, réclamaient une solution depuis trente ans, que le conseil d'État avait été déjà saisi plusieurs fois, et que ses délibérations n'avaient jamais eu de résultat. L'Assemblée, consultée, ordonna néanmoins le renvoi au conseil d'État (2 février).

Cette proposition n'avait, au reste, qu'un intérêt local et à peu près exclusivement restreint aux cinq départements qui formaient l'ancienne province de Bretagne. A la seconde lecture, la commission prévit le cas où la loi nouvelle pourrait être utilement appliquée à d'autres parties du territoire. Dans ce cas, elle accordait au Gouvernement la faculté d'étendre ce régime exceptionnel à tous les ressorts judiciaires où l'expérience en ferait ultérieurement reconnaître l'utilité. Une troisième délibération fut votée le 27 novembre.

Vente et emploi des appareils à vapeur.-Citons encore un projet de loi relatif à la vente et à l'emploi des bateaux à vapeur et des appareils à vapeur. Ce projet témoignait de la sollicitude du Gouvernement pour la sécurité de la navigation et la préservation de la vie des ouvriers. La commission, par l'organe de M. Lacrosse, s'associa à ces vues utiles. Elle s'était livrée à des études spéciales sur les causes des explosions tant en France qu'à l'étranger, et avait cherché, en introduisant quelques modifications, à rendre plus efficaces les mesures législatives proposées, afin de prévenir les sinistres qui ont augmenté avec la multiplication des appareils à vapeur. La commission, pour donner plus de latitude à l'action des tribunaux et plus de force à la répression, proposait d'augmenter le maximum de la peine pécuniaire et la durée facultative de l'emprisonnement. Ainsi tout fabricant qui livrerait un appareil à vapeur quelconque sans qu'il eût été soumis aux épreuves, serait passible d'une amende de 100 fr. à 1,500 fr., et celui qui en ferait usage, d'une amende de 25 fr. à 500 fr. Quiconque ferait naviguer un bateau à vapeur sans un permis de navigation, pourrait encou rir une amende de 100 fr. à 2,000 fr. Ces amendes seraient aug

mentées en cas de récidive. D'autres dispositions pénales atteignaient à différents degrés les propriétaires, les fabricants, les chauffeurs ou mécaniciens, non-seulement pour toutes sortes de contraventions dans la vente et dans l'emploi des appareils, mais pour la négligence dans le nettoyage des chaudières, des appareils de sûreté ou autres prescriptions réglementaires.

Dimanche et jours fériés. Parmi les études faites dans le but de moraliser la population, il faut placer une proposition de M. d'Olivier réclamant la suspension du travail le dimanche et les jours fériés. La loi de 1814, on le sait, est encore en vigueur, mais n'est pas exécutée. Il est devenu nécessaire de la remplacer par une loi dont les dispositions concilient mieux le respect dû au culte religieux avec la liberté des citoyens. Il y a, par exemple, des industries à travail continu qui exigent impérieusement des exceptions.

Le 10 décembre, M. de Montalembert lut à l'Assemblée un remarquable rapport sur cette question si délicate. Accueilli par le respect d'une grande majorité de l'Assemblée, par les apostrophes grossières et les rires scandaleux partis de quelques bancs extrêmes, ce document soulevait des objections que nous retrouverons plus tard. La principale, décisive peut-être, est qu'on ne réforme pas les mœurs par des lois : les lois règlent, contiennent, répriment les habitudes; elles sont inhabiles à les créer.

Police des théâtres. - Ici l'œuvre de moralisation se présentait avec des caractères pratiques. On sait quelle licence effrénée régnait sur les théâtres depuis l'essai de liberté illimitée tenté après la révolution de Février. Il fallait une répression, et M. le ministre de l'Intérieur réclama l'urgence pour un projet provisoire. M. Monet, rapporteur, pensait qu'en attendant la loi générale qui devrait être présentée dans le délai d'une année, aucun ouvrage dramatique ne devrait être représenté sans l'autorisation du ministre de l'Intérieur à Paris et des préfets dans les départements. La loi fut votée le 30 juillet (voyez le texte à l'Appendice, p. 27).

Police des vins. Une proposition de M. de Lagrange (de la Gironde), concernant la police du commerce des vins, et déjà patronée dans les anciennes Chambres, avait pour but la répression des fraudes préjudiciables à la production comme au commerce des vins. Elle fut accueillie avec faveur.

Mauvais traitements exercés contre les animaux domestiques. - C'est encore moraliser l'homme que de contenir ses penchants à la brutalité, même lorsqu'ils ne sévissent que contre des brutes. Aussi, rangeons-nous parmi les lois moralisatrices, une loi proposée par M. le général de Grammont, et tendant à mettre un terme aux mauvais traitements exercés contre les animaux. Les abus que l'honorable général voulait réprimer sont condamnés par les mœurs de toutes les nations civilisées. Chez quelques-unes, les lois sont venues seconder et améliorer les mœurs. L'Angleterre, la Suisse et presque tous les États de l'Allemagne ont, à cet égard, des institutions spéciales. M. de Grammont faisait une chose utile et honorable en les appropriant à la France. Les faits déclarés répréhensibles par la loi nouvelle, étaient nettement définis dans le projet. Les dispositions pénales étaient très-modérées. Elles consistaient dans une amende de 5 à 15 francs, et, pour le cas de récidive, dans un emprisonnement de un à cinq jours. La loi fut votée le 2 juillet (voyez le texte à l'Appendice, p. 23).

Propositions socialistes. Il serait trop long d'énumérer toutes les propositions spéciales ou incidentes, tous les projets inap. plicables par lesquels quelques membres entravèrent trop souvent la marche utile de l'Assemblée. Monopoliser le bien-être des classes pauvres a été de tout temps l'effort des oppositions : aujourd'hui surtout, que l'opposition s'est établie sur le terrain du socialisme, toute loi qui a pour but des améliorations pratiques, la rencontre comme adversaire ou comme inspiratrice, selon que ses formules y ont ou non pénétré. De là, une disposition fâcheuse dans le parti extrême à repousser tout projet utile, s'il n'en a pas pris l'initiative, et aussi, il faut le dire, une tendance semblable dans la majorité conservatrice à suspecter à l'avance toute proposition signée de noms significatifs.

Nous citerons, comme échantillon, une proposition de MM. Fayolle, Guizard et Moreau, parallèle aux deux projets de MM. Dufournel et Favreau. Ces honorables membres proposaient de faire dresser par une commission, dans chaque commune, une statistique de tous les terrains communaux susceptibles d'être assainis, défrichés et cultivés avec avantage, et de partager ou amo

dier tous ceux de ces terrains qui seraient désignés en dernier ressort par le conseil cantonal, comme susceptibles d'être mis en culture.

La commission repoussa, d'une manière absolue, cette faculté de partager la propriété des terrains communaux entre les chefs de famille, admise, en première ligne, dans la proposition; elle la regarda comme attentatoire aux droits de la commune, qui constitue par elle-même une personne civile dont les intérêts sont complétement distincts de l'ensemble des habitants, dont l'existence ne se borne pas à une génération, mais se perpétue d'une manière indéfinie dans la suite incessamment renouvelée des générations; de telle sorte que le partage ne serait pas seulement la spoliation d'un être collectif dont le titre n'est pas moins sacré, parce qu'il n'est pas individuel, mais qu'il consommerait le sacrifice, aussi injuste qu'impolitique, de l'avenir au profit du présent. Une telle combinaison n'avait pu trouver place un instant dans la législation qu'à une époque où des théories extrêmes, exclusivement préoccupées des droits de l'individu et de l'unité de l'État, méconnaissaient à dessein, et la famille et la commune, ces premiers rudiments inévitables de toute société organisée. Au point de vue de l'amodiation, la proposition rentrait en grande partie dans les termes de celle qui avait été présentée par l'honorable M. Dufournel.

MM. Nadaud et Morellet voulaient, eux, modifier la loi d'expropriation pour cause d'utilité publique, et conférer non-seulement à l'État, aux départements et aux communes, mais encore aux cantons et aux hospices, le droit exorbitant de s'emparer de la propriété privée au moyen d'une indemnité, et ce, par le seul fait de leur volonté et sans avoir besoin de démontrer la nécessité ou l'utilité publique de ce sacrifice. La commission, par un rapport de M. Chadenet, considéra cette proposition comme le renversement des principes sur lesquels reposent les nations civilisées, et comme l'annihilation du citoyen devant l'État.

La proposition n'ayant pas été sérieusement étudiée par ses auteurs, fut ajournée sur leur propre demande (6 juillet).

La viande à bon marché. En attendant une loi depuis longtemps promise, et qui doit rendre à la libre concurrence le com

merce de la boucherie, l'administration de la ville de Paris ne restait pas spectatrice impassible et stationnaire devant les grands intérêts de l'alimentation populaire à bon marché; elle était déjà entrée dans les voies d'une sage réforme, en modifiant certains règlements relatifs à la vente des viandes en détail sur les marchés publics, en rendant cette vente quotidienne, en y appelant un grand nombre de bouchers du dehors, enfin et surtout, en créant la vente des viandes en gros à la criée. Ce mode de vente n'est pas précisément nouveau à Paris; il y'existe depuis longtemps déjà pour les beurres et les poissons; mais son application à la viande en gros était une véritable innovation.

Tel était l'ensemble vraiment remarquable des efforts parallèles du pouvoir exécutif et de l'Assemblée législative. S'ils repoussaient impitoyablement ces projets de rénovation sociale qui ne feraient qu'étendre le domaine de la misère, ils allaient au-devant de toutes les mesures réellement praticables et vraiment susceptibles de soulager les souffrances des pauvres. Heureux si leur marche eût été plus libre, et s'ils avaient pu s'occuper de ces besoins urgents sans avoir à craindre incessamment pour la société elle-même.

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