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communaux s'ouvrit et se termina le 8 janvier. M. Molé l'avait déjà dit; M. Beugnot le répéta: La loi proposée était essentiellement transitoire. Comme loi de principe et d'institution, elle serait détestable puisqu'elle tendrait à établir entre les divers pouvoirs dont se compose le mécanisme gouvernemental une confusion regrettable. M. Beugnot acceptait la loi comme un accident nécessaire mais il avait soin de rappeler à l'Assemblée que le projet de loi organique de l'enseignement rédigé par luimême, conférait le droit de nomination, de suspension et de révocation des instituteurs, non pas aux préfets, mais aux conseils académiques et aux recteurs d'académie.

Mais pour le moment il fallait pårer à un danger social. Ce danger, c'était celui qui résultait de l'inamovibilité que la loi du 28 juin 1833 avait accordée aux instituteurs primaires. On sait qu'aux termes de la loi de 1855, le comité d'arrondissement nomme les instituteurs sur la présentation du conseil municipal, et qu'en cas de négligence habituelle ou de faute grave, il peut les réprimander, les suspendre, et même les révoquer, soit d'office, soit sur la plainte du comité communal, moyennant toutefois la faculté, pour l'instituteur frappé d'une révocation, d'en appeler au ministre en conseil de l'Instruction publique. En droit, ce n'était point là une indépendance absolue; en fait, elle avait été à peu près complète jusqu'à ce jour, et il ne pouvait guère en être autrement; car les comités communaux, auxquels était principalement remis le soin de surveiller les instituteurs et de signaler leur négligence ou leurs fautes, n'existaient que pour la forme et ne se réunissaient que de loin en loin; les comités d'arrondissements eux-mêmes ne pouvaient être appelés à sévir que dans des cas fort rares, lorsque le scandale aurait été assez grand pour éveiller l'attention publique; leur autorité devait rester inefficace et n'opposer qu'une insuffisante barrière aux égarements de ceux des instituteurs dans le cœur desquels s'était éteint le sentiment du devoir. Étrange anomalie, à coup sûr, que cette indépendance des instituteurs du peuple mise en regard de la subordination rigoureuse qui pèse sur les hauts fonctionnaires de l'enseignement! Sous le Gouvernement déchu, ce vice de la loi n'avait été remarqué de personne; alors la plupart des institu

teurs, tout en se trouvant mal à l'aise au sein de l'ordre social, se renfermaient dans leurs écoles et se bornaient à apprendre aux enfants la lecture et les éléments du calcul. Mais les choses avaient malheureusement bien changé depuis la Révolution de Février et depuis l'invasion de l'utopie.

Le mal avait commencé sous le Gouvernement provisoire, avec les fameuses circulaires de M. Carnot. On comprend aisément tous les ravages qu'avaient dû causer parmi ces humbles fonctionnaires, déjà sourdement mécontents de la médiocrité de leur position, ces proclamations officielles, où on surexcitait si vivement en eux l'orgueil de leur demi-science, où on leur montrait en perspective de si brillantes destinées, comme on montre au simple soldat le bâton de maréchal de France. On conçoit que la promesse d'un semblable avenir leur ait fait prendre en haine le présent; qu'elle leur ait tourné la tête, ajoutait M. Beugnot; qu'elle ait développé en eux une ambition d'autant plus impatiente et d'autant plus dangereuse qu'elle devait toujours être impitoyablement déçue. Qu'y avait-il de surprenant, après cela, à ce que les instituteurs primaires eussent méconnu le véritable but de leur institution et qu'ils se fussent crus appelés à régénérer le monde? Fallait-il s'étonner que nombre d'entre eux se fussent faits chefs de clubs; qu'au lieu d'enseigner à lire et à écrire aux enfants, ils eussent entrepris d'expliquer aux adultes les droits de l'homme et du citoyen; qu'ils fussent devenus les colporteurs les plus assidus d'écrits incendiaires et les propagateurs les plus ardents de doctrines funestes? Ne savait-on pas d'ailleurs que, depuis le 13 juin dernier, le parti démagogique, changeant de tactique, avait cessé de s'occuper exclusivement de la population des villes, qu'il avait reporté tout l'effort de ses prédications du côté des campagnes, et qu'il avait épuisé à l'égard des instituteurs toutes les séductions dont il dispose? Certes, il eût fallu à ces quarante mille maîtres d'école perdus au fond des villages et des hameaux une constance surhumaine pour résister à tous ces entraînements d'en haut et d'en bas; les uns avaient cependant tenu bon et détourné les yeux de ce décevant mirage; les simples lumières du bon sens leur en avaient fait voir l'inanité; mais les autres s'étaient laissé emporter par ce déplo

rable courant; et aujourd'hui le désordre moral de cette classe de fonctionnaires en était venu à ce point que, de toutes les parties du territoire, des plaintes s'élevaient; les renseignements les plus alarmants étaient transmis au pouvoir central; les agents du Gouvernement, dans toutes les branches de l'administration, invoquaient la nécessité d'un remède héroïque.

M. de Parieu confirma ces assertions par la lecture de rapports nombreux, et même de correspondances d'instituteurs entre eux. Ces documents révélaient une démoralisation profonde. L'extrême gauche n'en approuva pas moins les doctrines professées par l'auteur de ces lettres. Rien de plus naturel; car dans l'une d'elles, un instituteur se vantait d'avoir fortement contribué à l'élection des rouges. Et, en effet, dit M. de Parieu, les instituteurs sont à l'heure qu'il est, les officiers-généraux de la République démocratique et sociale. Ce sont eux qui se chargent de vulgariser au fond des campagnes les principes de subversion; ce sont eux qui endoctrinent les paysans, qui les stimulent, qui cherchent à les éblouir par toutes les menteuses fascinations dont ils sont eux-mêmes les dupes. Leur influence est d'autant plus grande, d'autant plus pernicieuse, qu'elle s'exerce partout et à toute heure, sur les chemins comme au village, au cabaret comme à la veillée; les effets sont d'autant plus assurés, que là où les autres fonctionnaires, maires et curés, peuvent être changés ou déplacés, les uns par le pouvoir administratif, les autres par l'évêque, l'instituteur demeure, protégé qu'il est par le principe de l'inamovibilité. Une pareille situation n'avait qu'un nom : c'était l'anarchie au premier degré de l'enseignement.

En vain M. Lavergne, M. Baudin et M. Pascal Duprat vinrentils tour à tour combattre le projet à des points de vue différents. L'Assemblée, à la majorité de 352 voix contre 208, sur 560 votants, décida qu'elle passerait à la délibération sur les articles. (8 janvier).

Le projet, tel qu'il avait été proposé par le Gouvernement et accepté par la commission, renfermait trois dispositions principales. Par l'art. 1er l'institution primaire était spécialement placée, dans chaque département, sous la surveillance des préfets. L'art. 2 déclarait que les instituteurs communaux seraient

nommés par les préfets et choisis par eux, soit parmi les laïques, soit parmi les membres des congrégations religieuses vouées à l'enseignement et reconnues par l'État, conformément aux vœux qu'auraient exprimé, à l'égard de cette opinion, les conseils municipaux des communes intéressées. Aux termes de l'art. 3 enfin, le préfet était investi, dans les cas prévus par l'art. 23 de la loi du 28 juin 1833, du droit de réprimande, de suspension et de déplacement des instituteurs; il pouvait les révoquer en conseil de préfecture, sauf le pourvoi de l'instituteur révoqué devant le ministre de l'Instruction publique au conseil de l'Université.

L'art. 1er fut vivement combattu. M. Denayrousse demandait que la surveillance fût confiée aux recteurs de l'Académie; M. Nettement, qu'elle fût exercée par une commission départementale composée de quatre membres du conseil général, d'un membre de la cour d'appel ou du tribunal, d'un délégué du recteur et du préfet; M. Beaumont (de la Somme), qu'elle fût laissée aux comités d'arrondissement, avec d'autres conditions pour la nomination, la suspension et la révocation. Tous ces amendements furent successivement rejetés. Mais avant de passer au vote sur l'article du Gouvernement, une objection fut soulevée par M. Chapot. Quel sens devait-on attacher à ces expressions: L'instruction primaire? S'appliquaient-elles aussi aux instituteurs communaux ? L'honorable membre soutint qu'il fallait établir une distinction, et qu'en laissant les instituteurs libres en dehors de la surveillance toute spéciale attribuée aux préfets, l'Assemblée prouverait plus clairement qu'elle ne voulait pas atteindre la liberté d'enseignement. M. Beugnot adhéra au nom de la commission, à cette proposition, et demanda qu'on désignât dans la loi l'instruction primaire publique.

Quoique assez indifférent à la distinction réclamée par M. Chapot, parce que l'ensemble du projet lui paraissait mauvais, l'honorable général Cavaignac fit remarquer que rien dans la loi de 1833, ni dans la discussion à laquelle elle avait donné lieu ne représentait l'instruction communale comme donnée par l'État, et que par conséquent la nouvelle loi ne pouvait porter plus particulièrement atteinte à la liberté d'enseigne

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ment en soumettant les instituteurs libres aux mêmes conditions. C'est par d'autres considérations que M. de Parieu s'opposa à l'amendement de M. Chapot. Il déclara que les abus qui lui avaient été signalés ne concernaient pas seulement les instituteurs communaux, mais encore les instituteurs libres. Pourquoi donc établir une division, lorsque la conduite était la même ? Cette raison était décisive. M. Dupin rappela d'ailleurs qu'aux termes de l'article 9 de la Constitution, la surveillance de l'État s'exerce sur tous les établissements d'éducation. Le débat n'avait plus d'objet; aussi, après quelques observations générales, présentées par MM. Crémieux et Ennery, contre l'esprit de la loi, l'Assemblée repoussa l'amendement de M. Chapot, et adopta l'article premier.

L'article 2 ne donna lieu à aucun débat, quoiqu'il eût été profondément modifié. M. le ministre de l'Instruction publique avait tout d'abord déclaré qu'il renonçait au principe de la nomination. des instituteurs communaux par les préfets, et qu'il adhérait à un amendement proposé par M. Salmon, et dont le but était de faire nommer les instituteurs par les comités d'arrondissement. Seulement il fut décidé, à la demande de MM. Coquerel et Morin (de la Drôme), que les instituteurs seraient choisis, pour les écoles appartenant aux cultes non catholiques reconnus par l'État, sur des listes de candidats présentés par les consistoires protestants ou israélites.

Sur l'art. 3, un amendement était encore présenté par M. Salmon. L'honorable membre proposait de donner au préfet le droit de réprimander et de suspendre les instituteurs; mais il demandait en même temps que le préfet ne pût les révoquer qu'après avoir pris l'avis du comité d'arrondissement; cette disposition nouvelle, complétée par un sous-amendement de M. Combarel de Leyval, qui avait pour but de fixer à dix jours le délai dans lequel le comité serait tenu de transmettre son avis à l'autorité préfectorale, fut adopté malgré l'opposition du Gouvernement et de la commission. L'indécision révélée par les paroles de M. de Parieu qui s'était contenté de dire que le Gouvernement préférait la rédaction soumise à l'Assemblée, l'attitude effacée du rapporteur, M. Beugnot, ne contribuèrent pas peu sans doute à ce résul

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