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vers de l'antagonisme des deux grandes puissances. C'est en vain que les États secondaires cherchaient à prendre une position indépendante entre ces deux centres d'attraction. L'un des signataires du traité de Munich fit, dans cette voie, une tentalive nouvelle.

Le roi de Wurtemberg, en ouvrant, le 15 mars, l'assemblée de Stuttgard se prononça hardiment contre la chimère de l'état unitaire allemand; mais, en même temps, il repoussait toute suprêmatie, toute influence dominatrice, quel que fût son nom. « Le maintien de l'ancien droit, ajoutait S. M., c'est-à-dire du droit positif et de la fidélité aux traditions historiques qu'on ne peut méconnaître et qui finissent toujours par avoir le dessus, peut seul nous assurer force, durée et salut dans les orages de notre époque. Moi et les gouvernements qui sont mes alliés dans cette question, nous voulons conserver à la nation son droit naturel à la représentation de l'ensemble. Nous ne voulons pas élever un nouvel édifice politique des débris de notre ancien droit; nous voulons, au contraire, donner à la confédération une forme nouvelle qui soit en harmonie avec l'esprit de l'époque; nous voulons accorder les justes prétentions de la Prusse avec les intérêts généraux de l'Allemagne. Si pourtant nous voulons sacrifier nos intérêts particuliers, ce n'est pas à telle ou telle puissance, mais à l'ensemble, à la patrie. Nous ne voulons étre ni Autrichiens, ni Prussiens. Nous voulons, par le Wurtemberg et avec le Wurtemberg, rester Allemands. » Ce commentaire énergique de l'union. du 27 février, cette protestation contre toute pensée d'absorption excita les colères de la Prusse. L'ambassadeur de Prusse à Stuttgard, quitta la cour de Wurtemberg, et M. le baron de Hugel, ambassadeur du roi de Wurtemberg à Berlin, fut invité à demander ses passe-ports. L'Autriche se garda bien de paraître blessée. On voit de quel côté était l'habileté politique. Le cabinet de Vienne ne risquait rien à ménager la susceptibilité des États secondaires. Il savait trop bien qu'une alliance indépendante entre ces États n'avait aucune chance de succès. Déjà même, on apprenait que les sympathies de la Russie manqueraient à la tentative de Munich.

Il résulta d'une dépêche, en date du 4 mars, adressée par M. de Nesselrode à M. de Medem, ministre de Russie près la cour de

Vienne, que le cabinet de Saint-Pétersbourg repoussait tout à la fois et la combinaison prussienne du 26 mai et le projet de M. von den Pfordten. Le gouvernement russe ne semblait disposé qu'à favoriser un retour à la confédération de 1815.

Voici le passage le plus saillant de la dépêche de M. de Nesselrode:

L'alliance du 26 mai n'est pas, il est vrai, dirigée contre la sûreté de la confédération de 1815; mais il semble qu'elle en compromet l'existence, car il est difficile de comprendre comment cette confédération peut continuer à exister, comment il peut y avoir communauté d'intérêts entre ses membres et action commune, lorsque dans son sein se forme une ligue distincte qui partage l'Allemagne en deux, et règle son action sur des principes que ne reconnaissent pas les Etats restés en dehors de cette alliance. >>

Le comte de Nesselrode se déclarait d'ailleurs assez ouvertement pour le retour pur et simple à l'ancienne diète, et pour le rétablissement de la Constitution de la fédération germanique sur les bases des traités de 1815.

Le 20 mars, s'ouvrit à Erfurt le parlement de l'union res-treinte, l'essai prussien d'État fédératif. Ce parlement se divisait en deux chambres, la chambre des États et la chambre du peuple. Dans cette dernière, M. Simson, nommé président, réchauffa le plus qu'il put les souvenirs historiques. Quant au seul personnage vraiment important de ce parlement, M. de Radowitz, commissaire royal de Prusse, il dut reconnaître que la situation générale était difficile pour l'union restreinte. « L'éclat, ajouta-t-il, que l'ouverture du parlement de Francfort empruntait aux événements de 1848, manque à l'ouverture de l'assemblée actuelle. La mission de celle-ci n'est pas de concevoir le plan idéal d'un édifice et d'attendre ensuite que cet édifice trouve des habitants. La fédération veut construire une maison plus modeste pour la communauté déjà constituée. Elle n'exclut personne, mais laisse à tout le monde le libre choix de prendre la détermination qui lui paraît la plus convenable. »

M. de Radowitz jetait ensuite un coup d'œil rétrospectif sur les négociations que la question allemande avait fait naître, et sur les adversaires contre lesquels elle devait lutter.

Beaucoup de personnes, dit-il, sont d'avis que ce que la Prusse recherche lui est avantageux, et que ce qui lui est avantageux est nuisible à l'Autriche. Puis, en Prusse, une opinion existe, qui redoute pour la Prusse elle-même ce que celle-ci offre à l'Allemagne. De là, des résistances qui n'ont pas permis à la grande confédération de s'organiser et ont empêché plusieurs Gouvernements d'entrer dans la fédération : mais le mouvement unitaire n'en subsiste pas moins. Il peut y avoir réaction en ce moment, mais il n'y aura jamais d'arrêt, et, pour emprunter une image aux sciences exactes, le mouvement semble décrire une courbe pour revenir sur lui-même et ne s'éloigner du soleil que pour s'en rapprocher de nouveau. »>

Faisant ensuite allusion au discours du roi de Wurtemberg, l'orateur s'exprimait ainsi :

« Je sais que des paroles de haine avaient été prononcées là où l'on ne pouvait ni les concevoir ni les justifier. L'histoire dira que la passion de la Prusse ça été l'amour de la grande patrie allemande, son but, de sauver la patrie des dangers futurs. Le plus grand nombre des Gouvernements allemands a compris l'avertissement des deux dernières années. Quelques Gouvernements ne l'ont pas compris, ce sont ceux qui ont obtenu le titre royal après la chute de l'empire. Il est résulté de tous ces obstacles qu'au lieu de construire la fédération restreinte, en partant de la confédération plus large, ce qui aurait été la voie naturelle, il a fallu partir de l'Etat fédératif restreint pour organiser ensuite la confédération dont l'Autriche ferait partie, ce qui était le chemin le plus difficile. »

En somme, le parlement restreint avait à se prononcer sur l'acceptation de la Constitution du 28 mai 1847, annexe du traité des trois rois. Le parlement d'Erfurt accepta ce projet beaucoup plus vite sans doute que ne l'aurait voulu le cabinet de Berlin, occupé en ce moment à louvoyer au milieu des difficultés de la situation. Le veto de la Russie dominait tous les efforts de M. de Radowitz qui parlait haut à Erfurt, tandis qu'on agissait en sens contraire à Berlin. Aussi, le 27 avril, le cabinet de Berlin se décidait-il à imposer silence à l'organe compromettant d'Erfurt, et la diète fut remplacée, le 10 mai, par un Congrès des princes, sorte de pouvoir exécutif et de conseil irresponsable de l'union restreinte, placé à la tête de cette union par la Constitution du 26 mai et présidé par le roi de Prusse. M. de Radowitz fut encore nommé représentant de la Prusse dans ce collége.

Cependant l'intérim de Francfort expirait le 1er mai. Le 26 avril, le cabinet impérial invita, par une circulaire, tous les gouvernements de la confédération à se réunir à Francfort, le 10 mai, jour de l'ouverture du collége des princes, pour s'y entendre sur l'or

ganisation d'un nouvel intérim, et sur la réorganisation de la confédération. En attendant qu'un nouvel organe de la confédération fût établi par l'assemblée plénière, les affaires fédérales continueraient d'être gérées par la commission centrale. C'était le retour pur et simple à l'ancien établissement de 1815, mais ce retour n'aurait qu'un caractère provisoire.

La Prusse ne voulut voir dans l'invitation du cabinet impérial, qu'un appel à la délibération libre des États souverains de l'Allemagne. Elle récusait formellement l'indication de l'appel du congrès « sur la base de fonctions de présidence de l'Autriche ; » elle soutenait que l'ancien conseil de la diète avait été légalement dissous, et refusait, par conséquent, aux conférences nouvelles le caractère de plenum de l'ancienne diète. (Note du 16 mai, de M. de Schleinitz à M. de Bernstorff.)

Le 10 mai, le roi de Prusse ouvrit, à Berlin, le collége des princes; il y renouvela ses protestations contre l'assemblée plénière, mais il engagea les princes à se rendre à l'invitation de l'Autriche, entendant par là indiquer le droit particulier de chaque gouvernement à s'entendre avec les autres. Le même jour, M. le comte de Thun-Hohenstein, ministre plénipotentiaire de l'Autriche, ouvrait le plenum de Francfort. Les autres plénipotentiaires étaient, pour la Saxe, M. de Jeschau; pour le Hanovre, le conseiller de légation Dettmold; pour le Wurtemberg, M. de Reinhard; pour la Bavière, M. de Xylander; pour le Luxembourg, M. de Scherff; pour le Landgraviat de Hesse-Hombourg, M. de Nolzhausen. Les deux Hesses grand-ducale et électorale adhérèrent quelques jours après : comme duc de Holstein-Lanenbourg, le roi de Danemark avait reconnu le plenum.

Ainsi constitués, les deux parlements parallèles ne pouvaient aboutir qu'à une union restreinte plus ou moins étendue, mais tou. jours frappée d'impuissance. C'est ce qui avait été évident pour la Prusse, dans les efforts tentés à Erfurt: c'est ce qui fut démontré pour l'Autriche dès les premières séances du plenum de Francfort. On ne s'y occupa, en effet, que de reconstituer le conseil fédératif restreint de 1815, dans lequel les affaires se traitaient à la simple majorité, et où l'Autriche avait neuf voix sur dix-sept. M. de Schleinitz, dans une note du 5 août, protesta

énergiquement contre la résurrection de ce petit conseil, qui aurait pour résultat de mettre entre les mains de l'Autriche la direction exclusive de la propriété fédérale, la disposition des forteresses, de la flotte, des caisses, des archives de la confédération. La note prussienne témoignait d'une crainte mêlée d'irritation pour détourner le coup, elle proposait au cabinet impérial de considérer, en commun, l'administration de la propriété fédérale comme un objet tout à fait distinct de la forme politique ultérieure de la confédération, et de la confier à la commission fédérale provisoire, prolongée par le protocole du 30 avril.

Les deux grandes puissances étaient ainsi obstinément retranchées dans leurs camps respectifs, se menaçant mutuellement aussitôt que l'une d'elles cherchait à donner un caractère général à ses actes particuliers. Mais ce que la Prusse ne pouvait faire, l'Autriche le tenta. Pour se rallier les États secondaires et faire disparaître tout soupçon d'égoïsme, le gouvernement autrichien n'avait d'autre parti à prendre que de se placer de nouveau sur le terrain du droit germanique, en restant fidèle à sa politique, et de faire l'application du pacte fédéral, qui n'avait pas cessé d'exister. Il fallait proposer le rétablissement de la diète, organe constitutionnel de la confédération, car il avait été impossible de triompher des obstacles suscités de divers côtés à de nouvelles combinaisons. L'objection que quelques confédérés pourraient élever contre la formation d'un pouvoir provisoire sans leur participation serait sans aucune valeur à l'égard de la convocation de l'organe constitutionnel et légal de la volonté et de l'action de la confédération.

En conséquence, le comte de Thun fut chargé de proposer à l'assemblée plénière de remettre en activité la diète, et dans ses séances des 7 et 8 août, l'assemblée autorisa la convocation. Le gouvernement autrichien proposa cette convocation par une note circulaire du 14 août.

Au reste, l'Autriche ne prétendait en aucune façon revenir purement et simplement aux bases de 1815. Le cabinet de Vienne avait compris qu'il était nécessaire pour l'Autriche elle-même de modifier sa propre situation. L'empire de 1850 ne ressemblait guère à celui de 1847. Il n'eut donc pas été logique pour l'Autriche d'in

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