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qu'il porte, qu'il se donne ou qu'on lui donne, qu'il mérite ou qu'il affecte, tout citoyen relève de la loi de son pays; s'il enseigue quelque chose de contraire à la Constitution et aux grands. principes qu'elle garantit, socialiste ou jésuite, il commet un délit, et ce délit doit être immédiatement réprimé.

L'argumentation de M. Thiers était trop concluante pour pouvoir être réfutée, M. Bac ne l'essaya pas; il se contenta de protester contre le reproche d'avoir voulu créer un privilége. L'amendement fut écarté par la question préalable, à la majorité de 467 voix contre 146 sur 613 votans (25 février).

Il ne restait plus à statuer que sur un article additionnel présenté par M. Maissiat, et tendant à faire décider que chaque année le ministre de l'Instruction publique soumettrait à l'Assem blée un rapport général sur l'état de l'enseignement en France. Dans la pensée de l'auteur, ce rapport aurait porté sur les métbodes d'éducation morale et physique suivies dans les divers établissements d'instruction, sur les matières et les méthodes de l'enseignement littéraire et scientifique dans les écoles secondaires, sur les résultats obtenus tant au point de vue moral qu'au point de vue littéraire, sur les améliorations projetées soit dans l'éducation, soit dans l'instruction, enfin sur les statistiques des diverses écoles. L'article additionnel de M. Maissiat fut rejeté après quelques observations de M. Baze. L'Assemblée décida ensuite, à la majorité de 426 voix contre 205, qu'elle passe; rait ultérieurement à une troisième délibération sur le projet. (26 février).

Le 11 mars s'ouvrit la troisième délibération. L'Assemblée, fatiguée de si longs débats, avait hâte d'en finir. Elle dut entendre toutefois à nouveau ces interminables déclamations sur l'obscurantisme et sûr les jésuites. Cette fois, ce fut M. Raspail qui se chargea du lieu commun.

Révélant entre le règne minéral et le domaine moral des affinités jusqu'alors inconnues, l'orateur déclara « que la moralité est la même pour tous les peuples qui habitent le même bassin géologique. » La forme de la conclusion n'était pas moins singulière. « Votre projet, dit en terminant l'orateur, est un éteignoir tricolore ceux qui voteront pour, sont des jésuites; ceux

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qui voteront contre, sont des anti-jésuites, j'appartiendrai à ces derniers. D

L'alternative posée par M. Raspail ne paraissait pas acceptable à M. de Larochejaquelein. L'honorable membre de la droite vint déclarer qu'il voterait la loi, sans être pour cela plus jésuite que son adversaire; et, à ce propos, il se demanda quelle était la valeur de ces accusations, la sincérité de ces terreurs, sans cesse renouvelées. Suivant lui, cette peur des jésuites n'était qu'une invention de parti, entretenue par les excitations de la presse et et de la tribune.

Quant aux questions importantes, celles qui avaient le plus passionné les esprits dans les délibérations précédentes, elles furent vidées presque toutes sans un nouveau débat. Ainsi les questions relatives à l'organisation et aux attributions du conseil supérieur de l'instruction publique, à l'organisation et aux attributions des nouveaux conseils académiques, furent tranchées sans coup férir.

Dans le travail de révision qu'elle avait fait subir au projet depuis la seconde lecture, la Commission avait proposé des modifications assez nombreuses, mais qui ne portaient que sur des points de détail. Parmi ces modifications, deux méritent d'être signalées. L'art. 9 du projet, tel qu'il était sorti de la seconde délibération, disposait d'une manière absolue que, pour être nommé recteur, il fallait être licencié. Une rédaction nouvelle, proposée par la Commission, portait que, pour être nommé recteur, il faudrait avoir le grade de licencié, ou dix années d'exercice comme inspecteur d'académie, proviseur, censeur, chef ou professeur des classes supérieures dans un établissement public ou libre. Cette disposition ne fut pas contestée et ne pouvait raisonnablement l'être, car elle ne faisait qu'appliquer aux recteurs le principe déjà consacré par l'article 17 à l'égard des inspecteurs, auxquels il imposait ou la condition du grade, ou celle de cinq ans d'exercice dans les fonctions antérieures qu'ils auraient remplies. Seulement, pour établir une parité complète entre les recteurs et les inspecteurs, une autre modification proposée par la Commission à l'article 17, élevait de cinq à dix années le temps d'exercice des candidats aux fonctions d'inspecteur, Pour être nommé recteur ou inspecteur, suffirait-il d'être licencié dans

l'une des cinq Facultés, quelle qu'elle fût, ou devrait-on être licencié ès-lettres ou ès-sciences? M. Barthélemy Saint-Hilaire proposait d'appliquer la loi dans le sens le plus restreint. L'amendement fut combattu par la Commission et repoussé par l'Assemblée, qui consacra les modifications proposées par un double

vote.

Sur tous les articles du titre de l'instruction primaire, l'Assemblée adopta la rédaction définitive de la commission. Quelques débats sans importance s'engagèrent encore à propos des instituteurs communaux.

M. de Saint-Romme, par exemple, proposait le paragraphe additionnel suivant :

<« La commune qui renoncera à toute subvention de la part de l'État, pour l'enseignement communal, pourra choisir l'instituteur parmi tous ceux qui remplissent les conditions de moralité et de capacité imposées aux instituteurs libres. Le choix sera fait par le conseil municipal. L'instituteur ainsi nommé ne pourra être réprimandé, suspendu ou interdit de ses fonctions que dans les cas et dans les formes où pourrait l'être l'instituteur libre. »>

A propos de cet amendement, l'orateur se livra à une critique violente du projet de loi, qui consacrait, selon lui, sous le nom de fusion, la promiscuité des croyances. Une telle appréciation était sans doute dans le droit de l'orateur; mais lui était-il permis, èn discutant la composition des conseils académiques, dans lesquels figurent, comme on sait, des magistrats, de prétendre que la magistrature n'offre pas de suffisantes garanties d'indépendance pour juger les instituteurs? Pouvait-il avancer que la inajo. rité avait donné à un tribunal bâtard le droit de calomnier et de diffamer les instituteurs?

Ces violences, réprimées par M. Daru, qui présidait la séance, et par M. Baze, rapporteur de la commission, n'étaient certes pas de nature à faire admettre l'article additionnel; il fut rejeté à une forte majorité.

Un discussion plus sérieuse s'éleva sur le traitement des instituteurs. D'après le projet déjà voté, ce traitement se composait d'une rétribution fixe payée par la commune, et qui ne pourrait être inférieure à 200 fr.; du produit de la rétribution scolaire, qui varie suivant le nombre des élèves, et en outre d'un supplé

ment accordé par l'État à tous les instituteurs dont le traitement fixe, joint à la rétribution scolaire, ne s'élèverait pas à 600 fr. On se rappelle que cette dernière disposition avait été votée sur l'initiative du ministre de l'Instruction publique. M. Raudot proposait de remplacer l'article du projet par une disposition beaucoup moins favorable à l'instituteur. De son côté, M. Baze, au nom de la commission, proposait une restriction par suite de laquelle, au lieu d'être calculé d'après le total de la rétribution scolaire pendant l'année précédente, comme le portait le projet, le supplément de traitement serait calculé sur le nombre des élèves qui auraient fréquenté l'école pendant l'année, et ne pourrait excéder le double de ce qu'aurait produit la rétribution scolaire. Le ministre de l'Instruction publique combattit cette proposition. L'effet de cette combinaison, si elle était adoptée, dit M. de Parieu, serait de faire aux instituteurs communaux une position inférieure à celle dont ils jouissent aujourd'hui. On se rappelle en effet qu'une somme de 3 millions, votée par l'Assemblée constituante, avait été répartie entre tous les instituteurs, de manière à leur assurer un minimum de 550 fr. Or, pour un certain nombre d'instituteurs, dont la rétribution scolaire ne s'élevait pas au delà de 60, 50, 45 et même 40 fr., le supplément, joint au traitement fixe et à la rétribution scolaire, ne produirait pas un totalde plus de 400 ou 450 fr.

La commission n'insista pas sur son amendement.

Le projet de loi primitif ne contenait aucune disposition sur l'enseignement professionnel. Dans le cours de la seconde délibération, M. Ferdinand de Lasteyrie et M. Wolowski avaient entrepris de combler cette lacune en présentant un ensemble de dispositions additionnelles qui auraient formé tout un titre nouveau. La question n'ayant pas été suffisamment étudiée, elle avait été réservée pour la troisième délibération. Dans l'intervalle, la commission et les deux honorables membres s'étaient entendus pour introduire à l'article 64 un paragraphe qui décidait la question en quelques mots. Ce paragraphe, tel qu'il avait été rédigé par la commission, portait que le ministre pourrait, sur l'avis du conseil supérieur, instituer des jurys particuliers pour les enseignements professionnels. Cette rédaction ne satisfaisait pas l'honorable M. Wolowski.

Il réclama une disposition impérative, au lieu de la simple faculté que l'on voulait accorder au ministre. L'amendement qu'il présentait dans ce sens, quoique repoussé par la commission, fut adopté.

L'article 72, relatif aux écoles secondaires ecclésiastiques, généralement connues sous le nom de petits séminaires, portait que les écoles de ce genre actuellement existantes étaient maintenues sous la seule condition de rester soumises à la surveillance de l'Etat. Des bruits répandus avaient donné lieu de croire qu'un certain nombre d'évêques refusaient de se soumettre à cette disposition de la loi. M. Barthélemy Saint-Hilaire provoqua à ce sujet des explications. Sur la question de fait comme sur la question de principe, les assurances données par le ministre furent les suivantes. En fait, un seul évêque aurait manifesté l'intention formelle de résister à l'exécution de la loi. En principe on ne voyait aucune raison pour que les petits séminaires fussent affranchis de la surveillance exercée par l'Etat sur les établissements d'éducation publique ou privée. Que la loi fût exécutée avec les égards et les ménagements réclamés par le caractère particulier de ces établissements, il n'y avait rien là que de convenable, mais, ajoutait le ministre, les petits séminaires sont placés par la loi comme par la Constitution sous le droit commun; ils doivent en accepter toutes les conséquences. La loi que l'on discute est une loi de liberté la liberté n'admet pas deux poids et deux mesures; on en a réclamé les avantages, il faut que l'on sache en supporter les charges (14 mars).

Enfin, sur l'article 83 qui assignait une date à l'exécution de la loi, M. Crémieux proposait, au lieu du 1er septembre 1850, le 1er juillet 1852, c'est-à-dire une époque où les pouvoirs de l'Assemblée législative seraient expirés. On ne put voir dans cet amendement qu'un sarcasme dont l'Assemblée fit justice par la question préalable.

On passa au vote définitif. Le nombre des votants était de 636: 399 voix se réunirent pour l'adoption de la loi; 237 se prononcèrent dans le sens contraire. C'était une majorité de 162 voix (15 mars).

Elle était donc votée cette loi si grave qui avait soulevé tant et

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