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MADEMOISELLE D'ORBE.

Voici une femme dont l'outre-cuidance ne recula pas devant un éloge à faire du géant de la révolution; qui osa mesurer les hauteurs de ce génie incommensurable, et décrire le vol de cet aigle percenue; en un mot qui se chargea, en sa qualité de présidente de la société des amies de la constitution de Saint-Dominique, du discours à prononcer à ce club, au sujet de l'anniversaire de la mort d'Honoré Riquetti de Mirabeau!

C'était bien le cas de dire: Comment est mort cet homme qui sauvait Israel? Non pas tout-à-fait, comme dans le sens de l'Écriture, s'il était possible

qu'il fût mort, mais de quelle manière il était mort? mort à quarante-deux ans, cet homme d'une force athlétique et d'une si prodigieuse puissance! Frappé mortellement le lendemain du jour où, à cinq reprises différentes, il s'était élancé comme un lion à cette tribune, que sa fougueuse éloquence remuait, agitait et gouvernait avec tant d'empire! Tombé comme le redoutable Leycester, au milieu de son triomphe!

Quels bruits ne répandit-on pas ? Le premier fut celui du poison. Ces trente, à qui il avait imposé silence avec tant de hauteur, n'auraient-ils pas, pour se venger, voulu l'y condamner lui-même éternellement? (On se rappelle ce mot célèbre, adressé par Mirabeau à l'extrême gauche : « Silence aux trente. ») Quelque potion n'aurait-elle pas été mêlée, durant cette orgie de la veille, dans le vin si délicieux qui lui fut versé à diverses reprises, par la belle actrice qui lui servait d'échanson ? ou plutôt, déjà épuisé par des veilles, des travaux et des excès de tout genre, n'a-t-il pas lui-même, dans cette nuit de surexcitation et d'ébats effrénés, préparé l'aconit qui le tua (1)? Enfin sa mort n'au

(1) Le dernier numéro du journal de l'Apocalypse, contient une apologie fort piquante de la belle Coulon, qui était l'actrice dont il s'agit, et dont les charmes avaient encouru l'accusation d'homicide involontaire. Elle raconte au journaliste Sulleau les circonstances de cette nuit si délicieuse et si fatale, et

rait-elle été, en définitive, que l'effet nécessaire d'un concours de causes naturelles, plutôt que la suite d'un traitement erroné de son médecin Cabanis, qui se serait mépris sur la nature du mal, ainsi que le prétendent plusieurs biographes?

Voilà les questions que l'on se fit long-temps. Les soupçons d'une mort violente planèrent quelques jours sur la faction avide de précipiter la révolution dans ses plus extrêmes conséquences, et qui voyait dans Mirabeau un obstacle d'autant plus à craindre, que, dès le mois de mai 1790, on l'accusait de s'être vendu à la cour, dont il favorisait les projets. Plus d'une fois cette faction avait fait annoncer dans les rues la grande conspiration de Mirabeau! et à plusieurs séances de l'assemblée, on l'avait désigné par ces mots : Catilina est à nos portes; et l'on avait crié : Au traître ! à la vénalité! lorsqu'il avait voulu soutenir l'émigration ou le veto; et les auteurs des Actes des apôtres publiaient partout son portrait avec cette inscription :

Vendidit hic auro patriam...

... Fixit leges pretio atque refixit. VIRG. Æn.

Aujourd'hui l'opinion d'une mort sinistre n'est plus admise. Toujours est-il que cet événement jeta l'agitation dans tous les esprits, et produisit

cherche à se justifier d'un crime qu'elle n'aurait pas suffisamment provoqué.

une commotion générale. Le roi surtout regretta vivement cet homme qui sauvait véritablement Israël. « Le monarque, dit M. de Bouillé, privé de l'appui de ce député, fut obligé d'en revenir à son premier projet d'évasion; et Mirabeau lui-même, en mourant, dit qu'il emportait le deuil de la monarchie; que bientôt les factieux s'en partageraient les lambeaux ; et que s'il avait vécu, il en aurait rassemblé les pièces éparses. » En effet, les plans étaient arrêtés, et l'on trouva, après le 10 août, dans l'armoire de fer, un compte-rendu des moyens employés par l'inten→ dant de la liste civile pour l'attacher aux intérêts du roi, et une lettre du même, d'où il résultait que Mirabeau s'était mis à prix.

Mais est-il bien sûr qu'il serait venu à bout de sauver le trône, et d'arrêter tout seul l'effroyable débordement qui l'entraînait? Ce n'est pas l'avis de M. le comte de Maistre. On lit dans ses excellentes observations sur la France, page 15 : « Des factieux moins brillans et en effet plus habiles que lui se servaient de son influence pour leur profit; il tonnait à la tribune, et il était leur dupe... Lorsqu'il avait voulu, dans le moment de sa plus grande puissance, viser seulement au ministère, ses subalternes l'avaient repoussé comme un enfant. » La justesse de ces idées se vérifie lorsqu'on se rappelle la lutte qu'il eut à soutenir dans son procés contre le célèbre Portalis, qui le fit tomber dans le

piége, et où l'on vit le taureau furieux, piqué par le taon, prêter lui-même le flanc, et, dans sa rage maladroite, servir si bien son propre ennemi.

Ne disons pas avec M. Thiers qu'il fut regretté de tous les partis, qui tous espéraient en lui. La gauche, loin de là, le considérait comme un traître. Tous allèrent à ses funérailles à cause du prestige de son talent prodigieux; mais elles furent une fête dans le cœur de plus d'un de ceux qui y assistèrent. Ce n'est pas entendre la révolution que de croire qu'on la faisait dépendre d'un seul homme, et qu'on voulut rendre Mirabeau dépositaire unique de ses immenses destins. C'était quelque chose encore de plus haut que cela.

Il n'aurait pas fallu non plus lui attribuer ce mot à son domestique : « Soutiens cette téte, la plus forte de France. » (Idem, tome I, page 302.) Mot bouffi d'orgueil et d'une jactance ridicule, adressé à un valet. Il gâte la grandeur que Mirabeau conserva surtout à ses derniers momens. MM. Peuchet et. Cabanis ont raison de déclarer que jamais il n'a rien dit de semblable.

Quant à mademoiselle d'Orbe, elle considère principalement, dans son éloge funèbre de Mirabeau, ce que son sexe a gagné à l'ère nouvelle de liberté dont elle croit que ce dernier est l'auteur. << En citoyenne libre, je suivrai, dit-elle, les sentimens de mon cœur pour vous retracer ses bienfaits

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