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en usèrent encore plus ignominieusement avec les femmes.

Les clubs tenaient sans cesse le peuple en haleine. Il était fier d'y aller faire acte de souveraineté; après le club des jacobins et des cordeliers, l'un des plus exagérés était celui des Enragés ; il siégeait dans l'enceinte du Palais-Royal. On lui donnait le mot d'ordre quand il y avait quelque coup de main à faire. Son habitude était de brûler, avec des cérémonies burlesques, les actes de l'autorité qui ne lui plaisaient pas. Ses principaux chefs étaient Maillard, Voidel, Saint-Hurugue, Santerre, Henriot, Payan et Lazouski; on les appelait casse-cous. Dans les grandes occasions ils conduisaient en personne les têtes de colonnes de la populace; ils passaient pour les plus grands désorganisateurs.

L'auteur de l'Histoire des Jacobins parle d'une assemblée occulte, qu'il nomme_convention secrétissime, qui aurait tout dirigé après le 31 mai, et qui, sur la proposition de Jean de Bry, aurait organisé la légion tyrannicide, composée de douze cents assassins pour expédier les rois: 100,000 francs de récompense promis à ceux qui apporteraient les têtes de François II, de Frédéric-Guillaume, du duc de Brunswick et de toutes les bêtes sauvages qui leur ressemblent. On a voulu organiser, dit M. Delisle de Salle, un bataillon d'assassins, à l'exemple du Vieux de la montagne. (Continuation de l'His

toire de Bertrand de Molleville, Introduction page 8.) Tallien avait institué le club des Enfans rouges. Il était destiné à former l'éducation républicaine des enfans de douze à vingt ans, de leur expliquer les principes révolutionnaires, et de leur faire comprendre les décrets de l'assemblée.

NOTE.

Il faut bien se garder de croire que les pages les plus sanglantes de nos annales soient remplies par les journées de septembre. Les scènes de la Saint-Barthélemy offrirent de bien plus épouvantables boucheries; et encore pour cause pie! Les massacres des Armagnacs par les Bourguignons semblent calqués sur ceux des prisons en 1792, et il ne s'agissait que d'un inté– rêt privé! Laissons parler le vieil historien de ces querelles antiques, et nous croirons plus d'une fois qu'il avait vu celles des temps modernes.

L'an mille quatre cent et treze
Bouchiers, tueurs et escorcheurs,
Par une entreprinse mauvaise,
A Paris firent les seigneurs.
Et, pour venir à leur approche,
Prindrent le commun de la ville:

Un nommé Symonet Caboche

Et le sire de Jacqueville.

C'étaient deux grands paillards ribauds,

Nourris d'ordure et villenie.

Houilliers, assommeurs de pourceaulx

Gens à sang, plains de félonnye.

Si furent esleuz capitaines

Parmi la ville de Paris.

Et avoient pour leurs chevetaines (1)
Grants tas de coquins langaris (2).
Meschans, malotrus et oiseulx,
Gens de basse condition

Si s'allièrent avec eulx,

Pour faire une commotion.

Quand tels bouchiers et escorcheur

Se virent en autorité,

Ils vouldrent être gouverneurs
Et qu'on leur fit à voulenté.
Tellement que nulz si n'osoient
Contr'eux parler ne murmurer;
Car incontinent les fesoient
Mourir, frapper et martyrer.
Il ne falloit que dire ung mot
Ou avoir quelque brin de haine,
Qu'ils ne vous eussent tout-à-cop
Fait là mourir de mort soubdaine.
Prindrent dames et damoiselles
De la royne, et gens de la ville;
Bourgeoises, meschines (3), pucelles,
Par une façon horde et vile.
Aux uns feirent couper les têtes ;
Autres tuer légièrement;

Et les assommoient comme béles,
Sans savoir pourquoi ne comment.
Es maisons pillèrent, robbèrent ;
Mirent sus tailles impossibles ;
Et les gens de bien fort grevèrent
En fesant excès moult terribles.
Ceux qui étoient morts en prison,

(1) Chefs.

(2) Bavards.

(3) Jeunes suivantes.

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Là furent ung tas de bourreaux
Porteurs de grève et d'affresture,
Qui tuoient gens sur les carreaux
Par une mort cruelle et dure.
L'en venoit lors tâter le ventre
Pour voir s'on étoit Armignac :
Et s'on rougissoit, tantôt fendre
Illec la te ou l'estomac.
Si en eut que morts tuez,
Officiers et gens de ville,
Marchands, bourgeois, que de nayéz
Environ trois ou quatre mille.
Jà Dieu ne plaise, droit ou tort,
Son peuple ainsi souffrir pugnir,
Car il vaudroit mieux être mort
Que de veoir tel tems revenir.

Vrai fut que cette truandaille
Maintes gens, brigans de villaige,
Coquins et grant tas de herpaille
Qui firent le meurtre et oultraige.
Après leur accomplissement
De la mauldite occision,
Moururent trestous meschamment
En leur damp et et confusion.
Entre eulx mêmes se divisèrent
Pour le butin et la finance;

Et puis après s'entretuèrent :

Meurtre requiert toujours vengeance.

(MARTIAL D'AUVERGNE, Vigiles de Charles VII.)

Ne retrouve-t-on pas là, mot pour mot, tout ce qui s'est pratiqué quatre siècles plus tard? Ce tas de bourreaux qui tuaient gens sur carreaux, ne sont-ce pas nos égorgeurs des prisons? Ces assommeurs de pourceaulx esluz capitaines, n'est-ce pas l'ivrogne Henriot? Ceux qu'on faisait tous morts décapiter, n'est-ce pas Valazé et Bonbon dont on envoya les cadavres à l'échafaud? (Voyez le numéro du 12 vendémiaire an v, du journal des Hommes libres.) Il ne fallait que dire un mot : n'est-ce pas le régime de la loi des suspects? Et n'y a-t-il pas une identité parfaite entre la fin misérable de cette truandaille, et celle de nos plus forcenés anarchistes?

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