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rue; il y avait assez de monde. Plusieurs sans-culottes passèrent en criant: Vive la nation! Puis des troupes à cheval; enfin des troupes immenses. La peur me prit; je dis à madame Danton: Allonsnous-en. Elle rit de ma peur; mais à force de lui en dire, elle eut peur aussi. Je dis à sa mère: Adieu; yous ne tarderez pas à entendre sonner le tocsin... Arrivés chez madame Danton, nous la trouvâmes fort agitée. Je vis que chacun s'armait. Camille, mon cher Camille, arriva avec un fusil. O Dieu! je m'enfonçai dans l'alcôve, je me cachai avec mes deux mains, et me mis à pleurer. Cependant, ne voulant pas montrer tant de faiblesse et dire tout haut à Camille que je ne voulais pas qu'il se mêlât dans tout cela, je guettai le moment où je pouvais lui parler sans être entendue, et lui dis toutes mes craintes. Il me rassura en me disant qu'il ne quitterait pas Danton. J'ai su depuis qu'il s'était exposé. Fréron avait l'air d'être déterminé à périr. «Je suis las de la vie, disait-il, je ne cherche qu'à mourir. » Chaque patrouille qui venait, je croyais les voir pour la dernière fois. J'allai me fourrer dans le salon qui était sans lumière, pour ne point voir tous ces apprêts....Nos patriotes partirent; je fus m'asseoir près d'un lit, accablée, anéantie, m'assoupissant parfois ; et lorsque je voulais parler, je déraisonnais. Danton vint se coucher; il n'avait pas l'air fort empressé, il ne sortit presque point.

Minuit approchait; on vint le chercher plusieurs fois ; enfin il partit pour la commune; le tocsin des Cordeliers sonna, il sonna long-temps. Seule, baignée de larmes, à genoux sur la fenêtre, cachée dans mon mouchoir, j'écoutais le son de cette fatale cloche... Danton revint. On vint plusieurs fois nous donner de bonnes et de mauvaises nouvelles; je crus m'apercevoir que leur projet était d'aller aux Tuileries; je le leur dis en sanglotant. Je crus que j'allais m'évanouir. Madame Robert demandait son mari à tout le monde. «S'il périt, me dit-elle, je ne lui survivrai pas. Mais ce Danton, lui, ce point de ralliement! Si mon mari périt, je suis femme à le poignarder.... » Camille revint à une heure; il s'endormit sur mon épaule.... Madame Danton semblait se préparer à la mort de son mari. Le matin, on tira le canon. Elle écoute, pâlit, se laisse aller, et s'évanouit... Jeannette criait comme une bique. Elle voulait rosser la M. V. Q., qui disait que c'était Camille qui était la cause de tout cela. Nous entendîmes crier et pleurer dans la rue; nous crûmes que Paris allait être tout en sang... Cependant on vint nous dire que nous étions vainqueurs. Mais les récits étaient cruels. Camille arriva, et me dit que première tête qu'il avait vue tomber était celle de Sulleau. Robert avait eu sous les yeux l'affreux spectacle des Suisses qu'on massacrait.... Le len

la

demain, 11, nous vîmes le convoi des Marseillais.... Le lendemain, 12, en rentrant, j'appris que Danton était ministre.» (Ibidem, pages 133 et suivantes.)

Qu'on feuillette les mille histoires de la révolution, et qu'on cherche un récit plus vif, plus animé, et qui fasse mieux comprendre le tableau terrible de tout ce qui se passait au dehors. L'effroi de ces femmes; ces détails d'intérieur si pleins de vérité ; le bruit du tocsin et de l'artillerie, mêlé aux cris de la multitude; l'allée et la venue de ces hommes sur qui roulait la destinée de cette épouvantable nuit: tout cela dit d'un style de femme et avec la négligence familière et quelquefois la coquetterie qui en font la grâce, vaut bien mieux, sous la plume naïve de la jeune historienne, que les descriptions les plus travaillées qu'en pourrait faire un ambitieux écrivain.

Le 10 août avança la fortune de Camille Desmoulins, et le logea, comme il le dit, au palais des Maupeou et des Lamoignon, par suite de l'élévation de son ami Danton au ministère de la justice, et en qualité de secrétaire général. « Malgré toutes vos prophéties que je ne ferais jamais rien, écrit-il à son père, je me vois élevé au premier échelon de l'élévation d'un homme de notre robe; et loin d'en être plus vain, je le suis beaucoup moins qu'il y a dix ans, parce que je vaux beaucoup moins qu'alors

par l'imagination, le talent et le patriotisme, que je ne distingue pas de la sensibilité, de l'humanité et de l'amour de ses semblables, que les années refroidissent... La vésicule de vos gens de Guise, si pleins d'envie, de haine et de petites passions, va bien se gonfler de fiel contre moi à la nouvelle de ce qu'ils vont appeler ma fortune, et qui n'a fait que me rendre plus mélancolique, plus soucieux, et me faire sentir plus vivement tous les maux de mes concitoyens et toutes les misères humaines.» (Ibidem, page 139.)

Le père lui donne de sages conseils, et lui dit qu'il serait enchanté de sa nouvelle position, s'il ne la devait pas à une crise qu'il ne voyait pas encore finie, et dont il redoutait toujours les suites; qu'il préférerait peut-être le voir succéder à la place paisible que luimême occupait à Guise, plutôt qu'à la tête d'un grand empire déjà bien miné, bien déchiré, bien dégradé, et qui, loin d'être régénéré, sera peut-être, d'un moment à l'autre, ou démembré ou détruit. (Ibid,, pag. 140.) Lorsqu'il s'agit du procès de Louis XVI, il le conjure de ne pas l'exposer à voir son nom sur la liste de ceux qui voteront pour la mort. (Page 160.)

Mais Camille n'en tint compte; et, soit enivrement du succès, soit délire et frénésie, gagnés par contagion, il proposa à la convention le projet de décret suivant : «Louis Capet a mérité la mort. Il sera dressé un échafaud sur la place du Carrousel,

où Louis sera conduit ayant un écriteau avec ces mots devant: Parjure et traître à la nation, et derrière : Roi, afin de montrer à tout le peuple que l'avilissement des nations ne saurait prescrire contre elles le crime de la royauté par un laps de temps, même de mille cinq cents ans. En outre, le caveau des rois, à Saint-Denis, sera désormais la sépulture des brigands, des assassins et des traiî

tres.»

Le père de Camille fut désolé; mais que ne pardonne pas un père? Bientôt ce fils obtint l'honneur le plus éclatant qu'il eût jamais ambitionné: il fut nommé membre de la convention. Accablé de travaux, il aurait bien voulu y faire quelque diversion, aller revoir sa famille pendant quelques jours; mais Lucile avait toutes les peines du monde à se déplacer. « Elle a tellement peur, écrit Camille à son père, qu'il ne me prenne fantaisie d'aller vous embrasser, qu'elle s'inquièterait si elle me voyait vous écrire, et qu'elle vient lire à chaque instant derriêre mon épaule pour savoir ce qui en est. J'imagine que ce qui lui donne cette sollicitude, c'est le souvenir de quelque cousine dont on lui avait parlé (Flore Godard de Wiége, qu'avait beaucoup aimée Camille ). ( Ibidem, pages 170 et suivantes. )

C'est dans cette lettre qu'il se vante d'avoir été le précurseur de la révolution du 34 mai, et d'avoir éventé dans son histoire des brissotins la grande

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