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MADEMOISELLE MAILLARD.

L'une des plus belles actrices qui aient brillé sur la scène de l'Opéra; elle débuta toute jeune, le 17 mai 1782, par le rôle de Colette, dans le Devin du village, où elle déploya, disent les auteurs des Annales dramatiques, une grande intelligence et une rare sensibilité, unies à beaucoup d'étendue et de pureté dans la voix : « On n'avait pas vu de tête plus admirable et de plus magnifique stature. >>

On trouve dans une brochure intitulée l'Espion des théâtres, page 115, qu'elle avait commencé par prendre des leçons de danse au magasin de l'Opéra ; qu'elle avait joué quelque temps au petit théâtre

des comédiens du bois de Boulogne, avec le plus grand succès; et que, dans la suite, le prince de Soubise, ce vieux satrape à talons rouges, la fit venir aux petits soupers de son fameux boudoir de Pantin, que, suivant les rites surannés de l'époque, il appelait son temple de l'Amour. On y respirait une atmosphère ambrée; mille glaces y répétaient mille tableaux licencieux, où tout l'Olympe amoureux semblait descendre.

Là se réunissaient les Saint-Huberti, les Laprairie, les Guimard, les Coulon, et autres célèbres impures; les chants les plus suaves, les danses les plus voluptueuses, étaient toujours suivis d'un festin exquis, assaisonné des saillies étincelantes des Sophie Arnoult, des Champfort, des Laclos et des Champcenetz. Mademoiselle Maillard dut l'origine de son illustration galante à la réputation qu'elle se fit dans ces glissantes et folles orgies.

Cela ne l'empêcha pas de représenter en 1793 la déesse de la Raison.

A cette époque, la religion avait reçu de rudes atteintes, depuis le jour où, par la constitution civile du clergé, la direction des cultes fut associée et fondue avec celle de l'état, dont elle commença à dépendre. Dès lors, chaque ministre des autels dut prêter serment à la loi nouvelle ; ceux qui s'y refusaient perdaient, sinon leurs traitemens, du moins leurs fonctions. Plusieurs de ces réfractai

res, emportés par un zèle apostolique outré, jetaient feu et flamme, et se répandaient en fanatiques invectives contre des institutions qui anéantissaient le pouvoir spirituel de l'Église. De là les persécutions sans fin qu'ils attirèrent non seulement sur eux-mêmes, mais encore sur le dogme. A force de turbulence et d'excès, ils contraignirent la convention à fulminer contre eux le décret fatal de déportation. Partout on ouvrit les yeux sur les coutumes superstitieuses dans les liens desquelles on s'étonnait d'avoir vécu ; et les esprits furent saisis de la même ardeur de s'en affranchir qu'ils l'avaient été de briser les chaînes politiques dont le poids les avait si long-temps opprimés. Les ecclésiastiques assermentés furent environnés, au contraire, d'honneurs et de protection; le mariage leur fut permis. Peu à peu, les pratiques religieuses et la sévérité des formes extérieures du culte se relâchèrent, ou devinrent des objets de dérision. Bien plus, à l'exemple de l'évêque de Paris, Gobel, un grand nombre de prêtres abjurèrent, en reconnaissant qu'ils avaient été des dupes, ou qu'ils avaient voulu en faire; et crurent ne pas pouvoir rendre un plus éclatant hommage à la vérité et à la raison qu'en protestant contre l'erreur et le fanatisme qui, depuis tant de siècles, garrottaient le genre humain.

Toutes les sections de Paris se rendirent à la barre de la convention, ou à l'Hôtel-de-Ville, pour

faire entendre de pareilles protestations, et toutes les communes de la république les imitèrent. Ce mouvement une fois donné, Chaumette, procureur de la commune, L'huillier, Hébert, Pache et Momoro concurent le projet de substituer formellement le culte de la Raison au culte catholique.

Sur le réquisitoire du premier, il fut arrêté que l'église métropolitaine de Notre-Dame serait convertie en temple de la Raison, et que, tous les jours de décade, une fête y serait célébrée en l'honneur de cette divinité philosophique, dont les emblèmes remplacèrent les attributs du catholicisme, qui en furent enlevés.

Mademoiselle Maillard fut choisie, comme nous l'avons dit, pour figurer la nouvelle idole. Voici le détail de la fête.

Dans la nef, s'élevait majestueusement sur la cime d'une montagne, un temple d'une architecture très-simple, sur la façade duquel étaient inscrits ces mots: A la philosophie. Devant la porte de ce temple, étaient placés les bustes des philosophes les plus célèbres; vers le milieu de la hauteur du rocher, on voyait luire le flambeau de la vérité sur l'autel de la Raison.

Au bruit d'une musique républicaine, qui était placée au pied de la montagne, descendaient deux rangées de jeunes filles vêtues de blanc et couronnées de chêne, qui venaient se croiser devant l'au

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