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le mot de providence. Et dans quel temps? lorsque, le cœur ulcéré du tableau des crimes dont nous étions les témoins et les victimes; lorsque, versant des larmes amères et impuissantes sur la misère du peuple éternellement trahi, éternellement opprimé, je cherchais à m'élever au-dessus de la tourbe impure des conspirateurs dont j'étais environné, en invoquant contre eux la vengeance céleste au défaut de la foudre populaire ! Ce sentiment est gravé dans tous les cœurs sensibles et purs; il anima dans tous les temps les plus magnanimes défenseurs de la liberté. Aussi long-temps qu'il existera des tyrans, il sera une consolation douce aux cœurs des opprimés; et si jamais la tyrannie pouvait renaître parmi nous, quelle est l'âme énergique et vertueuse qui n'appellerait point en secret de son triomphe à cette éternelle justice qui semble avoir écrit dans tous les cœurs l'arrêt de mort de tous les tyrans? Il me semble du moins que le dernier martyre de la liberté exhalerait son âme avec un sentiment plus doux en se reposant sur cette idée consolatrice. Ce sentiment est celui de l'Europe et de l'univers; c'est celui du peuple français. Ce peuple n'est attaché ni aux prêtres, ni à la superstition, ni aux cérémonies religieuses; il ne l'est qu'au culte en lui-même, c'est-à-dire à l'idée d'une puissance incompréhensible, l'effroi du crime et le soutien de la vertu, à qui il se plaît à rendre des homma

ges qui sont autant d'anathèmes contre l'injustice et contre le crime triomphant. >>

« Si le philosophe peut attacher sa moralité à d'autres bases, gardons-nous bien néanmoins de blesser cet instinct sacré et ce sentiment universel des peuples. Quel est le génie qui puisse en un instant remplacer par ses inventions, cette grande idée protectrice de 'ordre social et de toutes les vertus privées? >>

<< Ne voyez-vous pas le piége que nous tendent les ennemis de la république et les lâches émissaires des tyrans étrangers? En présentant comme l'opinion générale les travaux de quelques individus et leurs propres extravagances, ils voudraient nous rendre odieux à tous les peuples, pour affermir les trônes chancelans des scélérats qui les oppriment. Les lâches ne veulent que vous calomnier aux yeux de l'Europe, et repousser de vous ceux. que la morale et l'intérêt commun attiraient vers la cause sublime et sainte que nous défendons. >>

Ce discours excita des applaudissemens frénétiques, et ce fut comme un coup de foudre qui glaça d'épouvante, et qui arrêta le mouvement sacrilége où le peuple s'était précipité.

Chaumette, comme le prêtre Mathan en présence de l'illuminé Joad, ne fit que balbutier, et se sentit troublé, au point que lui-même proposa et obtint l'arrêté qui rendit en France la liberté des

cultes; et les fêtes de la Raison ne tardèrent pas à être abolies.

Dès lors notre double idole, la charmante Maillard, perdit, sinon la plus douce, du moins la plus belle partie de sa divinité. Elle cessa d'être l'emblème de la Raison; cette fière et sublime déesse disparut en elle, pour ne plus laisser voir et entendre que la ravissante virtuose, dont la présence embellit encore long-temps notre scène lyrique, dans des rôles moins imposans, et sans doute mieux compris par elle, que celui qu'on l'avait un moment forcée de jouer.

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SOPHIE MOMORO.

Autre déesse de la Raison, à quelques variantes près. Elle était petite-fille du graveur Fournier. Elle se fit remarquer par la beauté de sa taille, ainsi que par la fraîcheur et l'éclat de son teint. Elle fut mariée, ou simplement unie, au célèbre Momoro, cet infatigable partisan de la loi agraire, qui eut le malheur d'être enveloppé dans la conspiration dite des Hébertistes, dont les fauteurs se perdirent pour vouloir exagérer la révolution même dans ses plus énergiques hyperboles, soit en excitant le peuple aux mesures atroces, soit en le poussant à la démoralisation, à la haine des prê

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