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MADAME TALLIEN.

(THERESIA CABARRUS.)

A ce nom s'éveillent toutes les idées de beautés que rêve l'imagination dans ses plus séduisantes fantaisies de femmes. Née sous le soleil d'Espagne, et des amours d'abord clandestins du comte de Cabarrus avec la belle Galabert, elle apporta en France un essor de passions que semble, pour l'ordinaire, y refuser le climat. Certes, elle mérita qu'il lui fût beaucoup remis, car elle aima beaucoup. Elle manifesta dès l'enfance le goût le plus vif pour tous les arts brillans. Son père, appelé à de hautes faveurs à la cour de Charles III, roi d'Espagne, avait amassé une fortune considérable;

il passait pour l'un des plus habiles financiers du royaume. C'était un descendant de l'un de ces capitaines qui donnèrent leur nom à la baie de Cabarrus dans l'ile Royale, à une demi-lieue de Louisbourg. Il avait été consulté sur les moyens de subvenir aux frais de la guerre, à laquelle la Péninsule s'associait comme la France, pour soutenir la cause de l'indépendance américaine. Ce fut à lui que l'on dut la création des billets royaux ou Valès, espèce de papier-monnaie portant intérêt, qui eurent le plus grand succès, et furent même préférés d'abord à la monnaie effective, sur laquelle ils gagnaient une prime. Il conçut ensuite le plan de la banque de Saint-Charles, qui fut fondée le 2 juin 1782, et dont il fut nommé directeur. Elle fut chargée d'acquitter toutes les obligations du trésor, et de pourvoir aux services de l'armée de l'intérieur et de l'étranger, moyennant une commission d'un sixième, pour cent qu'on lui alloua sur tous ces services. Le célèbre comte de Mirabeau attaqua étourdiment le système de cette banque, en le comparant à celui de Law, et n'épargna pas même la personne de son auteur, à qui il prodigua, on ne sait pourquoi, les épithètes d'intrignant, d'agioteur et d'aventurier.

Le comte de Cabarrus avait eu l'occasion de ve nir plusieurs fois à Paris, autant par goût que pour remplir diverses missions auprès du gouvernement

français. Une brochure publiée le 27 juin 1785 en sa faveur contre Mirabeau nous apprend qu'à cette époque sa femme s'y trouvait avec sa fille Thérésia. mje

Ce fut lors de ces fréquens voyages que M. Devin, marquis de Fontenay, conseiller à la troisième chambre des enquêtes du parlement de Paris, ren contra dans un cercle la jeune Espagnole qui devait un jour exercer tant d'influence sur l'avenir de notre pays, et qu'il en devint éperdument épris. Elle avait à peine seize ans. Il eut le bonheur d'ob tenir sa main.

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Elle fit bientôt l'ornement de la société du Marais. Elle recevait dans ses salons le général La Fayette, les trois frères Lameth, Favières, ex-conseiller au parlement, depuis, auteur de Lisbeth, d'Aline, reine de Golconde, et d'autres ouvrages. dramatiques.

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Un premier malheur ne tarda pas à la frapper. Son père subissait à ce moment les inconstances de la haute fortune: il trouva, à la mort de Charles III, un implacable ennemi, dans le nouveau ministre Lléréna; il fut arrêté le 24 juin 4790, et détenu avec une extrême rigueur. « Donnez-moi donc vos gardes nationales, que j'aille à la délivrance de mon père! » disait Thérésia à La Fayette dans un móment de boutade! Elle n'en eut pas besoin; le

comte d'Obranda ayant succédé à Lléréna, Cabarrus rentra en grâce.

Mais le mariage de Thérésia n'était pas heureux. Le marquis de Fontenay dissipa presque toute sa dot; et le temps était venu où il ne faisait pas bon pour les nobles de rester en France : il émigra comme les autres, après avoir consenti le divorce d'accord avec sa femme.

Elle était loin de partager, comme son mari, les idées de l'aristocratie, et sa jeune ferveur, prompte à recevoir le prestige de tout ce qui exalte la pensée, s'était tournée vers celui dont rayonnait le merveilleux, avénement du peuple, et l'inauguration imprévue de son règne. Elle ne vit bientôt plus que vertus civiques, récompenses patriotiques accordées à l'élan républicain, couronnes de chêne décernées à quiconque avait bien mérité du pays, noms inscrits sur les colonnes (décret sur la proposition de Lakanal), sociétés de bienfaisance, de bonnes mœurs et de secours fraternels, associations de femmes pour mettre en pratique toutes les vertus, partout l'oubli de soi-même et de tout intérêt personnel pour le bien général, le sentiment de liberté suppléant à tout le reste. Ceux qui contestent dans madame de Fontenay cette sorte d'enthousiasme (et ce sont presque tous ses biographes, par une galanterie entendue à leur manière) se gardent bien de parler de la lettre qu'elle adressa

à la convention le 5 floréal an 11, et dans laquelle se fait sentir, à tous mots, l'empreinte d'une âme franchement républicaine.

Comme elle est un modèle tout à la fois de style et de pensée, nous allons la rapporter ici. «<Citoyens représentans, écrit-elle, lorsque la morale est plus que jamais à l'ordre du jour de vos grandes délibérations; lorsque chacune des factions que vous terrassez vous ramène avec une force nouvelle à cette vérité si féconde, que la vertu est la vie des républiques, et que les bonnes mœurs doivent maintenir ce que les institutions populaires ont créé, n'a-t-on pas raison de croire que votre attention va se porter avec un pressant intérêt vers la portion du genre humain qui exerce une si grande

influence?

» Malheur, sans doute, aux femmes, qui, méconnaissant la belle destination à laquelle elles sont appelées, affecteraient, pour s'affranchir de leurs devoirs, l'absurde ambition de s'approprier ceux des hommes, et perdraient ainsi les vertus de leur sexe sans acquérir celles du vôtre !

» Mais ne serait-ce pas aussi un malheur si, privées, au nom de la nature, de l'exercice de ces droits politiques, d'où naissent et les résolutions fortes et les combinaisons sociales, elles se croyaient fondées à se regarder comme étrangères à ce qu

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