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simplicité bourgeoise, si la narratrice ne se fait pas illusion sur l'étendue de son importance, en donnent une assez haute opinion; mais ce qu'elle dit de M. Duport Dutertre est peu en harmonie avec les formes sévères de ce ministre.

Voyons donc ces fameuses adresses dont personne, s'il faut l'en croire, n'a oublié l'énergie.. Toujours est-il qu'on y trouve une singularité et une liberté d'allure qu'on chercherait vainement ailleurs.

Elle disait au roi : «Vous n'ignorez pas, sire, que depuis deux ans les finances sortent de votre royaume. Le numéraire a complètement disparu; il augmente la circulation chez l'étranger; et nos richesses font fleurir chez lui le commerce et les arts anéantis en France. Le tableau n'est pas assez effrayant : on nous menace encore d'une guerre avec toutes les puissances; et pour qui ? pour vous, sire, et par qui cette guerre suscitée? par vos fréres, vos parens! Vous frémissez, sire. Il est temps de frémir pour vous, pour votre peuple! Sur quel peuple voulez-vous donc régner? Sur les pyramides des cadavres de vos propres sujets? sur des montagnes de cendres! Roi sans peuple, vous n'accepteriez le secours des puissances étrangères que pour voir dévaster vos états! Chacune déjà se réserve de prendre la province qui peut lui convenir. Voilà, sire voilà les généreux secours qu'on vous pro

met!.... Sire, il est encore temps de tout réparer : déclarez solennellement aux puissances étrangères que toutes hostilités de leur part et de celle des émigrés vous seront personnelles; que vous êtes prêt à les repousser, et que vous ordonnez, comme roi des Français, à vos frères, à tous vos parens, de rentrer dans le sein de leur famille, et de venir jouir en paix des bienfaits de nos nouvelles institutions.>>

Elle représentait à la reine qu'elle-même s'était en quelque sorte engagée à favoriser la révolution; qu'à l'âge le plus tendre elle avait fait voir une philosophie précoce. « Rappelez-vous, madame, ce temps où, entourée de vos vieilles duchesses, une étiquette tyrannique vous accompagnait partout vous la fites bientôt disparaître; vous avez la première produit la révolution des antiques usages. Que n'avez-vous pu de même alors régénérer la cour! Enfin, nous vous devons, madame, ce premier penchant vers la liberté, et vos efforts, dit-on, ne tendent qu'à nous le faire perdre ! >>>

Elle exhortait le prince de Condé à oublier tout autre intérêt que celui de la France. «Tiens-tu à ta noblesse ? vaine fumée qui passe avec nos jours! Est-ce le bien du clergé que tu voudrais rendre? il est déjà mangé et digéré. Dieu, dit-on, l'avait donné; l'enfer l'a repris.... Ne crois pas que la con

quête de la France soit si facile. L'enthousiasme est général. Un enfant de quinze ans se croit déjà un César. Pécaire ! à peine peut-il porter son fusil, Oh! vois les maux du pays! La patrie est comme un char attelé de jeunes chevaux fougueux, sur lesquels chacun lance son coup de fouet. Et puis, deviens ce que tu pourras !.....» Là-dessus,avec sa facilité naturelle à se mettre en jeu, elle s'assure que si elle eût été choisie ambassadrice pour ramener les princes émigrés, elle eût bien mieux réussi que M. Duveyrier, dont elle raille l'insignifiante mission, et dont elle compare le retour à celui de Louis XVI, lorsqu'il dit à son valet de chambre en rentrant : « Me voilà tout le monde fait ses farces; je viens aussi de faire les miennes. Il faut convenir pourtant que j'ai fait un fichu voyage. Je n'en suis pas fâché. Cela m'a instruit de ce que je ne savais pas. »

Nous touchons à une des époques les plus bril→ lantes de la vie de notre aventurière politique. Vers le mois de mars 1792, Jacques-Henri Simonneau, maire d'Étampes, prévenu que de grands troubles s'étaient élevés sur la place de cette ville à l'occasion de la rareté des subsistances, et averti que le pillage allait commencer, s'y rendit avec les insignes de ses fonctions, et s'opposa aux excès d'une multitude furieuse qui voulait le forcer à diminuer le prix des grains. «Ma vie est à vous, leur dit-il,

vous pouvez me tuer; mais je ne manquerai pas à mon devoir. La loi me défend ce que vous exigez de moi.» Ces belles paroles n'eurent aucun pouvoir sur la populace effrénée, par qui il fut massacré le 3 mars 1792.

A la nouvelle de l'héroïque dévouement de ce magistrat, madame de Gouges, alors malade au lit, oublia tout pour ne s'occuper que de l'événement qui avait causé une espèce d'exaltation dans les esprits. La première, elle conçoit le projet d'une solennité en l'honneur du maire-martyr. Elle ouvre une souscription en faveur des jeunes filles qui devaient accompagner le cortége; elle se présente à la commune, à l'assemblée nationale: partout elle reçoit un accueil favorable. Il fallait une somme considérable pour le voile et les ceintures des jeunes patriotes: elle va quêtant partout; elle écrit à la reine; elle l'assure que le peuple la verra avec reconnaissance répandre sur des citoyennes indigentes cette bienfaisance qu'une reine peut orner de tant de grâces.... « Il appartient à la beauté décorée du diadème d'encourager les vertus de son sexe... Puissent les circonstances vous rappeler cette popularité si touchante qui vous distinguait lorsque vous montiez sur le premier trône du monde! Rappelez-vous, madame, qu'à cette époque le peuple français n'était pas seulement asservi, mais qu'il était condamné aux fers des esclaves?

En vain le cultivateur arrosait le champ de ses sueurs et de ses larmes : il nourrissait les hommes, et il manquait lui-même de pain. Les anciennes déprédations de la cour avaient comblé la mesure des calamités publiques; la révolution germait dans toutes les âmes, et le soulèvement général s'est produit comme l'éclair qui brise dans un instant les nuages qui couvrent l'astre du jour! le tonnerre lui succède rapidement, la foudre éclate, et le ciel devient pur et tranquille... Méfiez-vous de cette perfide noblesse qui, depuis quinze ans, n'a cessé de vous livrer à la censure et à la persécution publiques, et de tourner les armes contre son pays et contre vous-même. >>

La pauvre reine reçoit les remontrances, et, déjà accoutumée aux humiliations, les dévore, et lui répond par M. Delaporte qu'elle laisse à sa disposition une somme de douze cents livres, et qu'elle charge du surplus messieurs les administrateurs du département (1).

(1) Olympe de Gouges avait aussi écrit à M. Delaporte, intendant de la liste civile, une lettre pleine d'arrogance. « Le bienfait que je demande ne saurait faire tort aux finances; et si elles n'avaient jamais servi qu'à d'aussi nobles emplois, on n'aurait pas tant à se plaindre de la dépravation de la cour. » Cette lettre, s'il faut l'en croire, inspira une telle frayeur, qu'on fit offrir une pension et une place chez la reine à madame de Gouges, qui refusa net.

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