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CHAPITRE III ET DERNIER.

INTÉRÊT DU GOUVERNEMENT DANS LA QUESTION.

DITIONS DU TRAVAIL PAR RAPPORT AUX CAPITAL.

CON

Nous recommandons la question que nous discutons à tous ceux qui s'occupent des affaires du pays.

Depuis la création des chemins de fer, des grandes entreprises industrielles et financières, les capitaux se sont éloignés du commerce et de l'industrie. La condition du travail en a subi de graves atteintes qui, avant peu, en changeront toute l'économie.

Il y a vingt-cinq ans, ceux qui avaient des fonds disponibles les plaçaient sur hypothèque, ou s'ils voulaient les faire fructifier, commanditaient de nouveaux établissements. Beaucoup même étaient de simples prêteurs, heureux de retirer de leur argent un intérêt de six pour cent. Tous ces fonds mis à la

disposition du commerce et de l'industrie, formaient un capital flottant venant au secours de celui qui en avait besoin, se retirant ensuite pour passer dans les mains d'un autre.

A cette époque, les commis qui avaient plus d'intelligence que d'argent, les ouvriers qui avaient une bonne conduite et du talent trouvaient facilement la somme nécessaire pour arriver à la maîtrise. Quoique ce fût le petit nombre, chacun pouvait espérer y parvenir, c'était un encouragement pour tous. Beaucoup de chefs d'établissement qui ont fait de grandes fortunes seraient restés ouvriers s'ils n'avaient pas trouvé cette ressource.

Mais, depuis la création des grandes compagnies industrielles par actions, les capitaux ont pris une autre direction.

On n'a plus voulu placer sur hypothèque avec un intérêt de cinq pour cent et immobiliser ses fonds pour plusieurs années, ni devenir commanditaire par intérêts, alors que l'on trouvait un placement plus avantageux dans la commandite par actions, où l'on avait toujours dans les mains la représentation de son capital et dont on pouvait disposer suivant sa convenance, indépendamment des éventualités de bénéfices qu'offrait la variation des valeurs.

Le prêt hypothécaire a fait son temps, comme la commandite par intérêts; tous les capitaux flottants se sont portés sur les grandes compagnies industrielles et financières. Les uns sont devenus associés en souscrivant des actions; les autres prêteurs hypothécaires en prenant des obligations; tous ont trouvé le mode de placement qui convenait le mieux à leur caractère.

Si les capitaux n'avaient fait que se déplacer momentanément pour aider le gouvernement à doter le pays de ces nouvelles artères qui lui donnent une vie plus active et augmentent sa richesse, il n'y aurait qu'à s'en féliciter au point de vue de l'intérêt général; mais il en est ressorti une conséquence fatale pour le moyen commerce et la petite industrie, ces deux branches de la fortune publique qui occupent tant de bras, surtout à Paris.

Aujourd'hui la commandite par actions ou le prêt par obligations sont passés dans nos habitudes, on n'en veut plus d'autres. Qu'un commerçant ou un industriel ait besoin de 25 ou 30,000 francs, il ne peut espérer les trouver, donnât-il en garantie une propriété valant six fois plus.

Des spéculateurs et des financiers voyant avec quelle facilité arrivait l'argent, lorsqu'on offrait aux prêteurs

les avantages dont nous parlons, ont fait, dans le commerce et l'industrie, ce qui se pratique dans les compagnies de chemins de fer; ils ont constitué des sociétés par actions et obligations pour l'exploitation de mines, d'usines, de maisons de banque, de brevets, etc. D'autres, descendant l'échelle, ont créé des vastes magasins de nouveautés, des maisons pour la vente et la confection de vêtements, de chaussures, pour l'ameublement, etc. Et il est à remarquer que tous ces grands établissements ont été fondés pour la plupart et sont dirigés par des hommes entièrement étrangers à l'industrie. On réunit des capitaux au moyen d'annonces et de prospectus, on intéresse, on rémunère convenablement deux ou trois ouvriers intelligents, et l'on devient ainsi, du jour au lendemain, sans connaissances spéciales, chef d'une maison de commerce importante.

Là où l'on compte aujourd'hui cinq ou six cents maîtres, dans un avenir plus ou moins long, trois ou quatre grandes compagnies suffiront à la production et ruineront tous ces petits établissements.

Mais, quand le capital aura absorbé l'intelligence, que le commerce et l'industrie seront monopolisés par la spéculation et la finance, le travailleur, comme les damnés de Dante, ne pourra plus sortir du cercle dans

lequel il se trouvera forcément enfermé, et les consommateurs devront subir les exigences de ces nou`veaux suzerains, qui cherchent à fonder une féodalité commerciale et industrielle en diminuant la bourgeoisie, en transformant les patrons, les propriétaires de boutiques, et les petits entrepreneurs ou préposés, en tâcherons et salariés. Tandis, au contraire, que la division du commerce et de l'industrie, comme celle de la terre, est mère de la bourgeoisie. Elle l'entretient, l'augmente et diminue conséquemment de jour en jour le nombre des prolétaires.

Un exemple: Autrefois, les voitures publiques étaient entre les mains de plusieurs centaines de loueurs, les uns en avaient dix, les autres deux ou trois, beaucoup ne possédaient que celle qu'ils conduisaient; en général, cette industrie était exploitée par d'anciens domestiques ou des militaires qui avaient amassé ou recueilli la somme nécessaire à l'achat d'une voiture. Les premiers se rédimaient ainsi de la servitude; les seconds se créaient un état en remplacement de celui qu'ils avaient oublié à l'armée. Ils se mariaient et élevaient leur famille, plusieurs sont arrivés de cette manière à la fortune.

Mais, depuis qu'en vue de la spéculation, deux ou trois grandes compagnies se sont emparées de toutes

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