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CHAPITRE III.

LA RÉVOLUTION DE 1848.

COMMISSION DU GOUVERNE

MENT POUR LES TRAVAILLEURS.

SOCIÉTÉS SECRÈTES: LA MARIANNE.

LES SALAIRES.

On serait tenté de croire qu'à certaines époques les esprits sont atteints d'affections qui leur font perdre l'intelligence même de leurs intérêts, par l'exagération qu'ils mettent à les faire valoir.

A ce sujet, je rapporterai un fait qui s'est produit dans l'industrie de la tapisserie, ainsi que dans presque toutes les autres : le même esprit animait en ce moment tous les travailleurs.

On sait que la révolution de 1848 se proclama démocratique et sociale; il fallait réaliser ce programme. Le 28 février paraissait l'arrêté suivant :

« Considérant que la révolution, faite par le peuple, doit être faite pour lui;

>> Qu'il est temps de mettre un terme aux longues et iniques souffrances des travailleurs;

» Que la question du travail est d'une importance suprême;

» Qu'il n'en est pas de plus haute, de plus digne des préoccupations d'un gouvernement républicain;

» Qu'il appartient surtout à la France d'étudier ardemment et de résoudre un problème posé aujourd'hui chez toutes les nations industrielles de l'Europe;

>> Qu'il faut aviser, sans le moindre retard, à garantir au peuple les fruits légitimes de son travail;

>> Le gouvernement provisoire de la république arrête :

» Une commission permanente, qui s'appellera commission de gouvernement pour les travailleurs, va être nommée, avec mission expresse et spéciale de s'occuper de leur sort.

» Pour montrer quelle importance le gouvernement provisoire de la république attache à la solution de ce grand problème, il nomme président de la commission du gouvernement pour les travailleurs un de ses membres, M. Louis Blanc, et pour vice-président un autre de ses membres, M. Albert, ouvrier.

>> Des ouvriers seront appelés à faire partie de la commission.

>> Le siége de la commission sera au palais du Luxembourg. >>

Quoiqu'il ne soit pas parlé des patrons dans ce décret, ils ne firent pas moins partie de cette chambre du travail.

Je fus élu représentant par le commerce de meubles et de tapisserie, et je puis assurer que le doge de Gènes ne fut pas plus étonné de se voir à Versailles, que moi de m'asseoir dans un des siéges de la pairie.

J'espérais que les questions de travail et de salaire seraient traitées au grand jour de la publicité, et discutées en assemblées générales par les patrons et les ouvriers. Il n'en fut pas ainsi; deux commissions de quinze membres désignés par le sort parmi les ouvriers et les patrons, furent chargées de préparer un travail, qui devait donner une solution aux points si controversés du salaire et de l'exploitation de l'homme par l'homme. Ces deux commissions, fondues en une seule, n'eurent pas le temps de faire paraître leur rapport, et, s'il faut en croire un de ses membres, « cette dernière commission ne fit absolument rien. »> Quant aux patrons, ils ne furent plus convoqués.

Il était impossible que le congrès du travail, ainsi que l'on appelait la réunion du Luxembourg, pût régler, par des lois générales, les intérêts si multipliés

et si variés de toutes les industries; à plus forte raison, les trente commissaires ne pouvaient-ils connaître que les besoins de leurs états, les réformes et les améliorations dont ils étaient susceptibles; mais ils étaient sans connaissances et sans moyens pour tout ce qui touchait aux autres industries. Aussi ces industries non représentées dans les commissions, qui avaient chacune une organisation particulière, des habitudes à conserver, des exigences à satisfaire, déléguèrentelles quelques-uns de ses membres auprès de M. Louis Blanc pour faire connaître leurs réclamations. Naturellement on appela les patrons aux discussions privées qui eurent lieu, à huis clos, dans le cabinet et en présence de M. Louis Blanc ou de M. Vidal, secrétaire de la commission. C'est ce qui arriva dans l'industrie de la tapisserie.

La journée de travail a toujours été de neuf heures depuis le mois d'octobre jusqu'à Pâques, et de dix heures le reste de l'année.

Le salaire ordinaire, fixé à 4 francs, s'élevait jusqu'à 6 francs pour les premiers ouvriers.

Il y avait aussi des ouvriers moins habiles, trop âgés ou trop jeunes, qui ne gagnaient que 3 francs ou 3 fr. 50 centimes. En dehors de ceux qui étaient occupés à la journée, d'autres travaillaient à la tâche, ou,

suivant le mot consacré dans l'industrie, à leurs pièces; ceux-là pouvaient faire monter leur gain jusqu'à 6, 7 et 8 francs par jour. On voit combien était grande la liberté de transaction entre le maître et l'ouvrier. La journée ordinaire est de 4 francs. En dehors de ce tarif commun, les contractants fixaient le salaire de gré à gré. L'assiduité et l'habileté réglaient la journée de l'ouvrier aux pièces.

En général, les rapports de patron à ouvrier ont toujours été des plus faciles.

Cependant, le vent de l'époque avait soufflé dans quelques têtes l'esprit de réforme. Des réunions eurent lieu. Le plus grand nombre était content de l'état de choses présent; mais on leur fit entrevoir qu'avec des changements leur avenir s'améliorerait. Naturellement ils accueillirent avec transport cette espérance, et donnèrent mission aux novateurs de la réaliser. Ainsi que l'on a pu le voir, les conditions du travail étaient des plus avantageuses; on ne pouvait raisonnablement les rendre plus favorables: on résolut de les changer.

En conséquence, on présenta à la chambre syndicale des maîtres tapissiers de la ville de Paris un com-promis, qui devait être adopté après avoir été discuté entre tous les intéressés.

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