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ordonnances du roi Charles X, qui suspendaient la presse périodique, prononçaient la dissolution de la chambre des députés et sa réélection sur de nouvelles bases? aucune. Jamais la prospérité industrielle et commerciale de la France n'avait été si grande, et en supposant que les ordonnances eussent été imposées à la nation, cela aurait-il ralenti le cours de cette prospérité? Non, si le travail avait été suspendu quelques jours, il n'aurait pas tardé à reprendre son niveau.

En février 1848, que pouvait faire aux classes ouvrières l'extension ou la restriction du droit de réunion? assurément rien qui leur fût personnel, et cependant à ces deux époques de quoi se sont composées les armées révolutionnaires? de travailleurs pour le plus grand nombre.

Sans aucun doute, la presse avait disposé les esprits, la révolution était dans l'air pour nous servir d'une expression consacrée. Les

moteurs et les chefs de ces mouvements agissaient dans des vues politiques dont ils ne calculaient pas bien toute la portée comme on l'a vu en 1848; mais enfin ils tendaient vers un but politique qui pouvait faire leur fortune, et on peut admettre jusqu'à un certain point que le bonheur du pays était le but de leurs tendances et de leurs vœux; tandis que les ouvriers, qui quittaient leurs ateliers, abandonnaient leurs femmes et leurs enfants pour aller se ranger sous les ordres de ces chefs inconnus, auxquels ils étaient étrangers aussi bien de sentiments que d'éducation, ne partageaient ni les opinions ni les espérances de ces hommes; et cependant ils se sont rendus deux fois en dix-huit ans à l'appel du combat, sans autre mobile qu'un entraînement irréfléchi, ou peut-être encore qu'une stérile satisfaction intérieure.

Dira-t-on que c'était dans l'espoir de piller? Les faits sont là qui prouvent le contraire. En

1848, les ouvriers ont été maîtres de Paris, et aucun gouvernement n'eut plus de sollicitude pour la sûreté des habitants.

Pour le plaisir de se battre et de faire une révolution ?

Il faudrait bien mal juger les ouvriers, et méconnaître leur intelligence, pour s'arrêter à un tel raisonnement.

Non, les travailleurs, en prenant les armes, répondaient à un sentiment de malaise et d'opposition mal défini, dont ils ne se rendaient pas bien compte, mais qui n'en était pas moins vivace au fond de leur cœur, et qui à deux époques s'est traduit en révolution.

Il y a dans notre société une catégorie d'hommes que l'on nomme déclassés, ce sont pour la plupart des fils d'ouvriers aisés, de fabricants, ou de petits marchands qui, au lieu de continuer la profession de leur père, de devenir des citoyens utiles dans une condi

tion obscure et honorable, croient que l'instruction qu'ils ont reçue les appelle à des destinées autres que celles de leurs parents.

Les uns se font clercs d'huissiers; d'autres, après avoir fait leur droit et travaillé chez un avoué, établissent des cabinets d'affaires ; d'autres encore suivent la carrière des arts ou des lettres. Mais il arrive souvent que n'ayant pas reçu une instruction assez substantielle, ou que n'ayant pas de ressources suffisantes pour attendre le temps nécessaire au succès, ils se trouvent, à vingt-cinq ou trente ans, sans un état qui puisse les faire vivre honnêtement. Dans le milieu où ils se sont placés, ils ont presque toujours contracté des goûts et des habitudes peu en rapport avec leur position et celle de leur famille qui finit par les abandonner, après avoir fait pour eux des sacrifices inutiles. Alors, mécontents de la société dont ils deviennent les détracteurs et les ennemis, ils forment les cadres et l'état major des émeu

tes et des insurrections. Quant à l'armée révolutionnaire, tous ceux qui la composent ne sont soldats que par accident. Ce sont des volontaires qui, l'action terminée, abandonnent les rangs et rentrent chez eux, laissant les chefs se partager le prix de la victoire.

Comme il n'est possible malheureusement à aucun gouvernement, quel qu'il soit, de satisfaire tous les appétits désordonnés, toutes les ambitions exagérées, d'apaiser les mauvaises passions et les désirs insensés que l'envie et la haine font fermenter au fond du coeur de certains hommes, il y aura toujours des gens prêts à chercher dans les hasards des révolutions une fortune que ni leur talent ni leur conduite ne peuvent leur faire acquérir dans le cours régulier des choses.

Mais ces hommes seraient impuissants s'ils ne trouvaient, ainsi que nous venons de le dire, des soldats trop souvent disposés à les seconder dans leurs mauvais desseins. C'est

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