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FAIT

RAPPORT

par M. GILLET-LAUMONT, à la Société d'Encouragement, sur un Plan en relief du Canal du Midi, connu précédemment sous le nom de Canal du Languedoc (1).

MESSIEURS Guérin, Bidault, Louis Lacoste et Lacoste jeune, ont construit un plan en relief représentant le Canal du Languedoc, connu aussi sous le nom de Canal du Midi, on Canal des Deux-Mers. Ils ont apporté ce plan à Paris, et ont obtenu de S. M. l'Empereur et Roi la permission de le déposer au Palais-Royal, dans les salles du ci-devant Tribunat. Ces artistes ont prié la Société, en lui envoyant un précis historique de ce Canal, de vouloir bien en faire examiner le relief, pour qu'il lui en soit fait un rapport.

Nous sommes allés voir ce plan qui donne, par son étendue, une grande idée du projet

(1) Quoique ce Rapport fait en 1809 ait déjà été inséré dans quelques ouvrages périodiques, cependant nous nous sommes décidés à l'imprimer ici, non-seulement parce qu'il renferme quelques détails qui ne sont pas étrangers à l'art de conduire les eaux, si nécessaires dans l'exploitation des mines; mais aussi parce qu'étant relatif au canal des DeuxMers ou du Midi (c'est-à-dire, à l'ouvrage le plus beau et le plus hardi qui ait été conçu et exécuté en France), il a des rapports avec l'histoire de ce Canal, publiée par M. le général Andréossy, et dont on trouve un Extrait très-instructif dans le n°. 95 de notre Journal, page 355, année 1804. (Note des Rédacteurs.)

Volume 30.

V

hardi de joindre, au midi de la France, l'Océan à la Méditerranée, en, franchissant l'espace d'environ 80 lieues qui sépare ces deux mers, et passant par-dessus la chaîne élevée des montagnes des Corbières.

Nous n'entrerons pas dans la discussion, étrangère à notre objet, de savoir quels sont les véritables auteurs de ce vaste projet. Quelques historiens ont avancé qu'il fut proposé sous l'Empereur Charlemagne, mais personne n'osa l'entreprendre; il est certain que des Commissaires s'en occupèrent par ordre de François Ier, en 1539, et que son exécution fut alors regardée comme une chimère. Ce projet fut reproduit, sans plus de succès, sous Charles IX et sous Henri IV; mais il était réservé à Louis XIV, à Colbert, de le faire exécuter par les soins de deux hommes d'un rare mérite, de Riquet et d'Andréossy (1),

Pour mettre la Société à portée d'apprécier l'utilité du plan qui fait l'objet de ce rapport, nous allons donner quelques détails sur le but du Canal qu'il représente, sur les principales difficultés qui s'opposaient à son exécution, et sur les moyens que l'on a employés pour les surmonter.

Que l'on se représente la position géographique de la France, ses côtes baignées à l'Ouest

(1) François Andréossy, né à Paris le 10 juin 1633, mourut le 3 juin 1638, neuf ans après que le Canal fut construit. Pierre-Paul Riquet, seigneur de Bonrepos, originaire de Beziers en Provence, mourut le premier octobre 1680, époque où il ne restait plus qu'une lieue du Canal à faire, pour le joindre à l'étang de Thau, près le Somail; ce fut Mathias Riquet de Bonrepos son fils, qui l'acheva six mois après la mort de son père.

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par l'Océan, et au midi par la Mediterranée; forcée, pour suivre son commerce maritime et communiquer d'une mer à l'autre, de faire faire à ses vaisseaux,sur ces mers,un voyage d'environ 400 myriamètres (7 à 800 lieues), en tournant autour de l'Espagne, passant par le détroit de Gibraltar et longeant les côtes d'Afrique. En tems de paix, que de longueurs! en tems de guerre, que de dangers dans un si long trajet! Un canal d'environ 60 lieues d'étendue devait les faire disparaître ; en 1665, Louis XIV l'ordonna, et quatorze ans après le Canal du Languedoc existait (1).

Mais que de difficultés présentait l'exécution de ce'Canal, même en se servant en grande partie des rivières de l'Aude et de la Garonne, communiquant avec celles de Fresquel et de Lers qui, coulant en sens contraire, prennent leurs sources vers le point culminant de la chaîne des Corbières qu'il fallait passer!

A partir de l'étang salé de Thau qui communique avec le port de Cette sur la Méditerranée, il fallait traverser des ravins, des torrens, des

(1) On peut consulter sur ce Canal la belle carte dédiée aux Etats de Languedoc par le géographe Nollin, en 1697; l'Histoire du Canal du Languedoc, en 1 vol. in-fol, par de Lalande, imprimé en 1778 (chez Barrois); l'Histoire du Canal du Midi, par le général Andréossy, 1 vol. in-8°, an VIII (chez Buisson); une Histoire du méme Canal, par le même auteur, 2 vol. in-4°. avec beaucoup de figures, imprimé en 1804 (chez Crapelet); ouvrage qui a été d'un grand secours pour ce Rapport; l'Histoire du Canal du Languedoc, par les descendans de Riquet, 1 vol. in-8°, 1805 (chez Déterville); un Précis historique, brochure in-8°. distribuée par les auteurs du plan en relief du canal.

rivières, pour parvenir à la vallée de l'Aude, puis à celle de Fresquel, faire monter des bateaux sur une montagne élevée de 189 mètres (environ 600 pieds), et en descendre 63 en suivant la vallée de Lers pour les faire arriver au-dessous de Toulouse, dans la Garonne, et de là dans l'Océan. Il fallait sur cette longueur d'environ 260,000 mètres, construire un grand nombre de ponts, de chaussées et d'écluses; mais ce qui était le plus difficile, et d'où dépendait l'existence du Canal, c'était de trouver, en tout tems, dans un pays brûlant, au-dessus du point du partage, une quantité d'eau capable de le remplir, de fournir à ses pertes et à la consommation des écluses vers l'une et l'autre mer (1), à une époque où l'on ne connaissait pas les moyens nouveaux et ingénieux d'économiser les eaux.

On avait d'abord proposé de chercher au midi, dans les Pyrénées, les eaux qa'il fallait amener aux pierres de Naurouse, le point le plus élevé du Canal (2) ; mais la crainte de ne pouvoir les y rassembler en quantité suffisante donnait lieu à beaucoup d'objections et à plus d'incertitudes encore: Riquet les fit cesser en ouvrant en quelques mois, à ses frais, une petite rigole d'essai qui allait prendre, très-loin au Nord, les eaux descendues de la montagne

(1) Le Canal a 19 mètres et demi de largeur à la surface, 11 au fond, et près de 2 mètres de profondeur.

(2) Cette partie de la montagne des Corbières est de pierre calcaire-coquillère, grise, compacte, dure, d'un grain fin, abondante en cornes d'Ammon et autres coquilles anciennes.

Noire (1), et qui ne laissait aucun doute sur le succès du Canal. Enfin, il exécuta ensuite les grandes rigoles sur une longueur de 87,000 mètres qui, à l'aide d'une voûte souterraine de peu d'étendue (2), et de trois vastes réservoirs (3)

(1) Cette montagne est toute granitique, et principalement de granite à gros grains.

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(2) Cette voûte, connue sous le nom de Percée de Campmazes, a 334 mètres de longueur, dont 213 à ciel ouvert et 121 de voûtés en pierres. Elle porte les eaux de plusieurs ruisseaux dans le lit du Laudot, où elles tombent d'une hauteur de plus de 8 mètres, et de là se rendent dans le bassin de Saint-Ferréol qui en est peu éloigné.

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(3) Ces trois réservoirs sont le bassin de Lampy, celui de Saint-Ferréol et celui de Naurouse. Le premier, alimenté par le ruisseau de Lampy, est placé en avant de la percée de Campmazes; il contient 2,665,000 mètres cubes d'eau. Le général Audréossy annonce dans son ouvrage que le calcul de ce bassin, ainsi que celui de Saint-Ferréol, ont été faits par l'ingénieur en chef Garipuy. L'immense bassin de SaintFerréol contient 6,956,000 mètres cubes d'eau; la digue qui a 120 mètres d'épaisseur à sa base, supporte une hauteur d'eau d'environ 31 mètres et demi. Pour éviter les causes de destruction, et la grande pression qu'une masse aussi considérable aurait exercée sur des vannes surtout lorsque les eaux contenues dans ce vaste bassin sont poussées par les vents et passent par-dessus la digue, on a scellé dans le bas de la masse de maçonnerie trois gros tuyaux terminés par de grands robinets qui versent dans la rivière du Laudot, par un conduit dit Voûte d'Enfer. Une pyramide placée sur la tête de cette voûte s'élève dans le réservoir, et, semblable au nilomètre des Egyptiens, sert à indiquer, à mesure qn'elle se découvre, les degrés d'abaissement des eaux. Belidor regardait ce seul réservoir comme le plus grand et le plus magnifique ouvrage qui ait été exécuté par les modernes. D'après l'Encyclopédie méthodique, Art militaire, première partie, article CANAL il est dit que lorsque le maréchal de Vauban visita le canal du Languedoc pour la première fois, il fut surpris de n'y

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