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point eu part à ce qui s'est passé, dans la journée d'hier, à la halle aux farines; nous le désapprouvons, aussi bien que les projets qu'on avait formés contre l'école militaire, contre les prisons de l'abbaye Saint-Germain et le Mont-de-Piété ; nous dévouons à la justice publique des femmes qui n'ont d'autre qualité que celle de femmes du monde, et prostituées à des personnes qui, comme elles, ne veulent que troubler le repos et la tranquillité des bons citoyens.

« Comme rien n'est plus urgent que de prévenir les maux dont la capitale est menacée, nous vous supplions', messieurs de la commune, de nous accorder quatre hommes de la garde nationale par chaque district. (Rappelons-nous qu'il y en avait soixante.) Cette force nous suffira pour faire rentrer ces femmes dans l'ordre. Nous en prenons l'engagement. »

Ce petit discours fut en effet déposé sur le bureau, et signé par les députés. Il se trouva qu'il n'y en avait que trois qui sussent écrire leur nom.

Ces dames déclarèrent ensuite que pas une d'elles n'avait de-mandé l'élargissement des prisonniers, qu'elles désapprouvaient la manière indécente dont ces femmes s'étaient présentées chez le roi et la reine, que loin d'avoir dit du mal de MM. Bailly et de Lafayette, elles les défendraient jusqu'à la dernière goutte de leur sang. La cérémonie fut terminée par les compliments du maire et les applaudissements de l'assemblée.

Lorsque ces dames furent sorties, on vint à parler de la nécessité de prendre des mesures pour empêcher de crier et colporter des écrits scandaleux ou incendiaires. En effet, l'assemblée arrêta qu'il était défendu de colporter et crier aucuns autres écrits que ceux émanés de l'autorité publique. Il était ordonné même aux sentinelles d'arrêter les contrevenants, et on devait les livrer à la justice pour être punis comme perturbateurs du repos public. Ce décret fut affiché le lendemain.

Ce jour même, on mit à exécution l'arrêté de la veille, relatif à Marat; mais cet écrivain, prévenu à temps, s'était caché : on ne put donc saisir que ses presses, et ce qui restait de son journal. Cette mesure n'irrita guère que les écrivains patriotes, qui y virent un attentat contre la liberté de la presse.

Ce qui explique en partie le peu d'effet que fit la violence commise contre l'Ami du peuple, c'est un bruit qui eut plus tard quelque créance. Plusieurs personnes assuraient que Marat était pensionné par le gouvernement anglais. Ce bruit n'acquit probablement pas de consistance, et les patriotes ne tardèrent pas à

prendre la défense de Marat contre l'hôtel de ville. Voici, en effet, un arrêté que prit en sa faveur le district des Cordeliers.

District des Cordeliers (16 octobre). — L'assemblée générale du district des Cordeliers, sur la réclamation de Marat, déclare : « que la liberté de la presse étant une suite nécessaire de celle de l'individu, elle prend sous sa protection tous les auteurs de son arrondissement, et qu'elle les défendra de tout son pouvoir des voies de fait, sauf à ceux qui pourront se trouver offensés dans leurs personnes, ou dans leur honneur, à se pourvoir par toutes les voies de droit. »

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ASSEMBLÉE NATIONALE. SEANCE DU 8 OCTOBRE. On lit une lettre de M. Mounier par laquelle il déclare renoncer à la présidence pour cause de santé.

M. Dufraisse du Chey expose un fait dont il a été témoin. Nommé pour accompagner mardi le roi à Paris, il est parti avec cinq de ses collègues dans une voiture de Sa Majesté. En passant au Point-du-Jour, une foule de peuple leur a fait des menaces et les a étendues à beaucoup de membres de l'assemblée.

M. Goupil de Préfeln. Je dois vous tranquilliser sur les conséquences de ce fait. J'ai entendu comme un autre faire des menaces contre des membres que nous honorons; mais elles ont été blàmées par tous les honnêtes gens, qui rendent à ces députés la justice qu'ils méritent.

M. Tronchet raconte qu'ayant demandé à plusieurs citoyens de Paris que les districts de cette ville s'expliquent et fassent connaître s'ils désirent la translation de l'assemblée nationale dans la capitale, ces districts, après avoir témoigné qu'ils ne l'avaient ni demandé, ni désiré, ont trouvé qu'il n'y avait lieu à délibérer.

M. le duc de Liancourt. Persuadé qu'en vous déclarant inséparables du roi, vous êtes déterminés à tenir vos séances à Paris s'il restait dans la capitale, j'ai demandé à Sa Majesté sì elle y demeurerait en effet. Le roi m'a répondu que l'assemblée devait prendre ses mesures pour tenir ses séances à Paris.

M. l'abbé Grégoire. La translation de l'assemblée nationale à Paris doit être la matière des plus sérieuses délibérations. Sans parler des alarmes que des personnes mal intentionnées pourront répandre dans les provinces, en voyant leurs représentants livrés à la merci d'un peuple armé, pense-t-on que les députés du clergé puissent se rendre à Paris, et braver en sûreté les outrages et les persécutions dont ils sont menacés ?

Cependant, messieurs, quel est le délit des ecclésiastiques de

cette assemblée; car, ils ont partagé avec vous tous les périls de cette régénération. La plupart sont de respectables pasteurs connus par leur zèle et leur dévouement patriotique.

C'est un ecclésiastique qui a déterminé l'assemblée à nommer un comité pour s'occuper des moyens de pourvoir à la subsistance du peuple. Les curés sont venus les premiers renoncer par une réunion courageuse aux préjugés absurdes de leur ordre. C'est parmi ces respectables pasteurs que se sont trouvés de zélés défenseurs des droits de la classe opprimée. M. l'abbé Clerget, député du bailliage d'Amont, dans un écrit, le Cri de la raison, aussi éloquent que profond, a plaidé victorieusement la cause des malheureux main-mortables, et concouru puissamment à leur affranchissement, par les lumières qu'il a repandues.

Les dimes ont été abandonnées. Les curés ont renoncé à leur casuel; ils ont souscrit les premiers à la loi qui défendait à l'avenir la pluralité des bénéfices; ils s'y sont soumis à l'instant quoiqu'elle n'eût pas d'effet rétroactif. Ils ont avec empressement porté dans la caisse patriotique des dons plus proportionnés à leur zèle qu'à leurs facultés. C'est quand on oublie ce qu'ils ont fait, et quand une aveugle effervescence les menace qu'il faut parler pour eux. Serait-il encore temps de montrer la vérité pour rappeler à la justice?

Quel est le prix qu'ils en reçoivent? Le peuple de Paris les outrage et leur fait les menaces les plus effrayantes.

Il n'y a pas de jour que des ecclésiastiques ne soient insultés à Paris. Vous pensez, messieurs, que pour l'honneur de la nation française, pour le succès de cette révolution, l'assemblée doit prendre des précautions, pour mettre en sûreté les députés du clergé dont vous avez déclaré la personne inviolable et sacrée.

Si vous croyez devoir tenir vos séances à Paris, je demande que l'assemblée nationale fasse de nouvelles proclamations pour la sûreté des personnes des députés du clergé.

M. de Montlausier. On a insulté l'assemblée ici même, lorsqu'elle se rendait chez le roi.

L'assemblée passe à l'ordre dn jour.

SÉANCE DU 9 OCTOBRE. Au commencement de la séance, le président consulte l'assemblée sur la question des passe-ports. On lui en demande environ deux cents: faut-il les accorder ou les refuser?

Cette demande occasionne beaucoup de murmures dans l'assemblée.

Plusieurs membres demandent qu'on ne délivre pas de passeports; on dit que les députés seraient aussi coupables d'abandonner l'assemblée nationale, que les soldats de quitter leurs drapeaux.

M. le baron de Marguerites. Si l'on retire les passe-ports, je demande que tous ceux qui attenteront à la liberté des députés, ou qui les insulteront, soit par des actions, soit par des paroles, soient déclarés coupables du crime de lèse-nation.

M. Desmeuniers. Vous avez décrété l'inviolabilité des députés, si un peuple égaré osait transgresser ce décret, nous mourrions mille fois plutôt que de ne pas demander vengeance. Renouvelons donc ce décret, et prenons ici l'engagement sacré de faire punir quiconque osera attenter à la liberté de quelque membre de l'assemblée.

M. le comte de Mirabeau. Un de vos décrets a déjà déclaré l'inviolabilité de vos membres; mais il me semble qu'on ne se fait pas une idée juste du mot inviolabilité; ce mot ne peut s'entendre que pour les poursuites judiciaires ou ministérielles ; toute autre inviolabilité ne peut être prononcée. Quelle différence peut-il exister entre nous et un citoyen quelconque ? on ne peut en insulter aucun. Vous voulez défendre les injures; mais je mourrais de peur, si l'on pouvait punir quelqu'un, parce qu'il m'appellerait sot! Si les injures sont vomies dans un écrit anonyme, un honnête homme n'y prend pas garde et les méprise; si cet écrit est signé, il devient alors un délit ordinaire qui doit être puni par les lois.

Je pense donc qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la proposition d'un nouveau décret d'inviolabilité, et je crois encore que des hommes qui ont fait serment de ne pas se séparer, ne doivent pas délibérer longtemps sur la demande de refuser des passe-ports.

La discussion se prolonge. Enfin on adopte la motion suivante du comte de Mirabeau.

<«< Aucun passe-port de l'assemblée nationale ne sera délivré aux députés qui la composent, que sur des motifs dont l'exposé sera fait dans l'assemblée. »>

On passe à la délibération sur quelques articles destinés à la réforme du code criminel.

Cette délibération est interrompue par l'arrivée d'un officier de la milice parisienne, porteur d'une lettre du roi. Il est reçu dans le parquet de la salle.

Lettre du roi au président.

« Les témoignages d'affection et de fidélité que j'ai reçus de la ville de Paris me déterminent à y fixer mon séjour le plus habituel;

et plein de confiance dans l'assurance que l'assemblée m'a donnée, je désire que vous nommiez des commissaires pour se transporter à Paris, et y choisir le local le plus convenable pour y tenir ses séances. Ainsi, sans interrompre vos utiles travaux, je rendrai plus exacte et plus intimne la communication qui doit exister entre moi et l'assemblée nationale. >>

Cette lettre fut vivement applaudie.

Mais il s'éleva une vive discussion sur la réponse qu'elle demandait un grand nombre de députés voulaient qu'elle fût ajournée; la majorité enfin décida que l'assemblée se transporterait à Paris aussitôt qu'il y aurait un local prêt à la recevoir.

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Séance du soir. Un membre de la noblesse se plaignit que toutes les lettres qu'il recevait étaient décachetées par le district SaintRoch. Il est remarquable que ce district était l'un des plus réactionnaires dans le sens bourgeois. Cette plainte fut renvoyée au comité des rapports.

Dans la même séance on vota le décret relatif à la réformation provisoire de la législation criminelle. En voici les dispositions principales :

Tous les actes d'instruction d'un procès criminel, antérieurs à l'arrestation du prévenu, seront faits avec l'assistance de deux adjoints nommés, parmi les notables, par les municipalités.

Après l'arrestation du prévenu ils seront faits contradictoirement avec lui, et publiquement. L'accusé pourra toujours communiquer avec son conseil; il sera interrogé dans les vingt-quatre heures de l'arrestation; la copie de toutes les pièces de la procédure lui sera remise; il lui sera permis de proposer ses défenses en tout état de cause, et d'appeler les témoins qu'il voudra; le rapport du juge, les conclusions du ministère public, le dernier interrogatoire de l'accusé et la prononciation du jugement auront lieu en audience publique. Tout jugement, portant condamnation, exprimera les faits sur lesquels il se base, et la formule pour les cas résultants du procès est sévèrement interdite.

L'art. XIV portait : l'usage de la sellette au dernier interrogatoire et la question dans tous les cas sont abolis (1).

Ce décret répondait à une exigence tellement vive que le lendemain même où il fut voté, un officier de la garde nationale, envoyé par M. de Lafayette, venait encore auprès du président en solliciter

(1) On avait continué jusqu'à ce moment à donner la question préalable, celle qui précédait le supplice et qui avait pour but de forcer l'accusé à déclarer ses complices. Voici un arrêt que nous choisissons entre plusieurs autres pour

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