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sion qu'eut lieu l'incident suivant dans la séance du 17 décembre.

SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE. Depuis longtemps on demandait pourquoi le comité ecclésiastique ne faisait aucun rapport des affaires qui lui avaient été renvoyées. M. Treilhard, l'un des membres de ce comité, a dit qu'il était prêt à parler, et l'assemblée a désiré l'entendre.

M. Treilhard a débuté par dire qu'il y a dans l'état religieux une grande partie des profès qui désirent passer leur vie entière sous l'empire de la règle qu'ils ont embrassée ; qu'une autre partie de ces religieux demandait à être restituée au siècle; que cette diversité de vœux et d'opinions fait un devoir à l'assemblée de ne pas adopter un système unique, soit de conservation, soit de destruction. Le comité est d'avis de conserver, pour les religieux constants dans leur ferveur, les monastères situés dans les lieux les moins habités : d'où il résultera deux avantages, celui d'éloigner le moins possible les religieux de la vie contemplative à laquelle ils se sont voués, et celui de revivifier, par la consommation que font les maisons religieuses, des pays abandonnés ou négligés.

1° Que tout religieux qui a fait des vœux solennels fût tenu de déclarer dans trois mois s'il veut rester dans le cloître on rentrer dans le monde.

2o Que ceux qui sortiront des monastères seront tenus de porter l'habit clérical, pour n'être plus soumis qu'à la juridiction de l'évêque.

3° Qu'il sera fourni à tous les religieux sortant des cloîtres une pension.

4° Qu'aux abbés réguliers qui sortiront du couvent il sera assigné un revenu de 2,000 livres.

5° Que les religieux pourront être employés comme vicaires et curés; mais qu'alors ils ne percevront que la moitié de leur pen

sion.

9° Que les religieux qui voudront vivre dans la règle seront placés préférablement dans les maisons situées à la campagne ou dans les petites villes.

7° Que dans les grandes villes on pourra conserver ceux des religieux qui voudront se consacrer aux soins des malades, à l'éducation publique ou aux progrès des sciences et des arts.

8° Qu'à dater de leur sortie, les religieux seront capables de successions et donations.

9° Que le nombre des religieux réunis devra être de quinze au

moins; faute de quoi ils seront obligés de se réunir à une autre maison.

10° Que tout privilége est anéanti, et les religieux seront désormais soumis à la juridiction de l'ordinaire.

11o Les maisons qui seront conservées comme utiles aux sciences, à l'éducation publique et au soulagement des malades, pourront seules se perpétuer; mais les effets civils de la solennité des vœux sont abrogés. En conséquence, les postulants qui seront admis demeureront toujours libres de quitter leur ordre, et capables de successions et donations entre-vifs et testamentaires.

12o Il sera désigné, pour chaque ordre qui aura des maisons destinées à se perpétuer, en conséquence de l'article précédent, une maison d'épreuve, dans laquelle les postulants passeront le temps prescrit par les statuts avant leur admission.

13o Lorsqu'une maison aura cessé d'être habitée pendant trois ans par le nombre de sujets fixé par l'article X, elle sera supprimée, et les religieux en seront aussitôt répartis dans les autres maisons du même ordre.

14° Qu'à chaque maison religieuse il sera assigné 800 livres pour chaque religieux; mais chaque maison restera chargée des réparations d'édifices, de l'entretien du culte, etc.

M. l'évêque de Clermont, président du comité ecclésiastique, a déclaré qu'il croyait devoir à son caractère et à sa délicatesse (ce sont ses propres expressions) de protester contre ce plan, à la rédaction duquel il n'a eu directement ni indirectement aucune part.

CHAP. V. Affaires de Toulon. M. Albert de Rioms. Manifestations révolutionnaires dans les provinces.-Fédération du Dauphiné, de la Bretagne, etc. - Résistance du parlement de Rennes. Désordres. semblée.

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Omnipotenee de l'as

Les mouvements qui agitèrent les provinces pendant le mois de décembre eurent en général un caractère tout autre que ceux qui les avaient précédés; ils semblent avoir été provoqués par les craintes d'une manifestation de l'opposition royaliste pareille à celles qui avaient eu lieu dans quelques villes pendant les deux mois qui venaient de s'écouler et qui se répétaient encore sur quelques points. L'assemblée nationale parut aussi embarrassée de ces accès de patriotisme qu'elle avait été ennuyée des timides résistances de quelques parlements.

Le mouvement le plus grave, moins par ce qu'il fut d'abord

que par ses suites, fut celui de Toulon. Nous avons fait mention, dans notre premier volume, des désordres que la disette produisit dans cette ville: les faits dont nous allons parler eurent un autre caractère. Depuis longtemps il existait une sourde hostilité entre les officiers de la marine, la bourgeoisie et la population: on suspectait le patriotisme de ces officiers. Vers la fin de juillet, quelques jeunes gens allèrent offrir la cocarde nationale au commandant de la place; on doutait qu'il voulût l'accepter. C'était M. de Béthisy, parent de M. de Lambesc. Il la refusa en effet, en déclarant cependant qu'il ne s'opposerait point à ce qu'on la portàt dans la ville. Les mêmes jeunes gens s'adressèrent aux membres du conseil municipal, qui, à Toulon, portaient le nom de consuls. Ceux-ci non-seulement leur donnèrent l'autorisation qu'ils demandaient, mais encore s'occupèrent de former définitivement une garde nationale à l'imitation de celle de Paris. En même temps ils demandèrent au commandant de l'arsenal, M. Albert de Rioms, de permettre aux ouvriers de porter cette cocarde. Il donna cette autorisation; mais quant à lui il conserva l'ancienne cocarde. Dans le commencement de novembre les choses étaient encore en cet état la garde nationale avait une cocarde, la marine et les troupes une autre. Enfin, à cette époque, une querelle de rue manqua d'amener une collision entre les deux drapeaux. Un officier d'un régiment du Dauphiné se plaignit d'avoir été insulté par des gardes nationaux, parce qu'il était sans cocarde; les sous-officiers de son régiment se rendirent en corps chez les consuls, et déposèrent entre leurs mains une plainte. Sur cette nouvelle, la population s'émeut; un attroupement s'empare du maire-consul au moment où il revenait de la campagne et rentrait dans la ville, et le conduit chez Albert de Rioms. La plainte fut retirée : la querelle paraissait terminée. Mais il y avait des griefs plus sérieux contre ce chef de la marine. En effet, au moment où l'on formait les compagnies de la garde nationale, il avait défendu aux ouvriers de l'arsenal d'y entrer. Il eût désiré, ainsi qu'il en fit l'aveu dans sa défense imprimée (1), que cette milice urbaine ne fût composée que de bourgeois il se défiait de l'esprit turbulent des ouvriers de la marine, qui formaient la masse du petit peuple à Toulon. Cependant, malgré ses ordres, ces ouvriers prirent rang dans la garde nationale; et au lieu de fermer les yeux sur cette infraction, le comte Albert de Rioms usa d'une autorisation qu'il avait sollicitée

:

(1) Mémoire historique et justificatif de M. le comte Albert de Rioms. Paris, 1790.

de M. de Caraman, commandant de la province, et le 27 novembre il annonça que tous les ouvriers qui avaient désobéi à la prescription antipatriotique, qui leur avait été signifiée, étaient rayés des classes. Malgré la réclamation du maire-consul, cette décision fut maintenue. Le peuple commença donc à s'attrouper le 1er décembre. Toute la force militaire prit les armes; matelots, gardes nationaux, régiments de ligne ceux-ci restèrent immobiles; les matelots se tinrent à peu près tous enfermés dans les établissements de la marine. La garde nationale dissipa l'attroupement; mais elle arrêta Albert de Rioms, ainsi que plusieurs officiers de marine; et comme on disait qu'ils avaient voulu tirer sur le peuple, la garde nationale les traita avec une brutalité qui eût été inexcusable sans cela : ils furent mis au cachot. De part et d'autre on écrivit aux autorités supérieures et surtout à l'assemblée nationale. Cette affaire occupa plusieurs séances. Toute la soirée du 7 y fut consacrée; le côté droit et le côté gauche prirent parti chacun pour sa couleur : la discussion fut très-vive, si vive qu'il fut décidé qu'aucun détail de ces débats ne serait inséré au procès-verbai. Cependant la majorité inclina à l'indulgence; si bien que l'ordre de remettre les prisonniers en liberté fut donné, reçu à Toulon le 14 et exécuté. L'assemblée cependant demanda de nouveaux renseignements et consacra encore plusieurs séances du mois de janvier à cette affaire. Elle décréta enfin que des lettres seraient écrites à M. Albert de Rioms, à la garde nationale et à la municipalité pour les féliciter de leur conduite dans cette circonstance.

En ce moment, au reste, il se manifestait en plusieurs lieux un excès de patriotisme dont les esprits timides devaient être effrayes et fatigués. On apprenait qu'en Dauphiné, une armée, une véritable armée de plus de douze mille soldats-citoyens s'était réunie le long du Rhône et avait prononcé, le 29 novembre, le serment fédératif qu'on va lire :

« Nous, soldats-citoyens de l'une et de l'autre rive du Rhône, réunis fraternellement pour le bien de la chose publique, jurons à la face du ciel, sur nos cœurs et sur nos armes consacrées à la défense de l'État, de rester à jamais unis: abjurant toute distinction de province, offrant nos bras et nos fortunes à la patrie pour le soutien des lois émanées de l'assemblée nationale; jurons de nous donner mutuellement toute assistance pour remplir des devoirs aussi sacrés, et de voler au secours de nos frères de Paris ou de toute autre ville de France qui serait en danger pour la cause de la liberté. Déclarons par le même serment que dès ce moment, tout ce qui est relatif aux subsistances est sous notre sauvegarde;

que non-seulement nous favoriserons le transport des blés par le Rhône et par terre, mais que nous nous aiderons respectivement dans nos approvisionnements; jurons de dénoncer tous ceux qui, en paroles ou en écrits, oseraient manquer au respect dû aux décrets de l'assemblée nationale. >>

Le 13 décembre une autre réunion de six mille hommes eut lieu sous les murs de Montélimart, et l'on prêta un serment semblable.

Au reste, ce n'était pas un fait particulier à cette partie de la France, soit que la pensée de se fédérer fût inspirée par un sentiment de réaction contre les tentatives et les craintes du mois précédent, soit que les dangers d'une disette menaçante inspirassent ce moyen de conservation. En effet, l'embarras des subsistances, qui avait cessé à Paris, semblait s'être transporté dans les contrées du sud-est. Il était difficile de ne pas y voir l'effet des démarches des accapareurs, qui, chassés de Paris par la terreur, allaient se dédommager dans les provinces.

La ville de Dijon venait d'écrire une circulaire à toutes les municipalités de Bourgogne, et les avait invitées à se réunir par député pour aviser entre elles aux moyens de pourvoir à l'approvisionnement de Lyon, qui était en effet menacé d'une disette prochaine.

Dans une autre extrémité de la France, en Bretagne, la jeunesse provoquait une pareille union. Le 30 novembre, les jeunes gens de Quimper signaient cette déclaration :

<< Considérant que plusieurs parlements du royaume, après avoir levé le masque par une insurrection audacieuse contre les décrets de l'assemblée nationale, peuvent tout oser contre la régénération qu'ils ont tant d'intérêt d'arrêter; considérant que ces mêmes parlements font des mouvements qui tendent à troubler l'ordre et la tranquillité publique, et notamment dans la province de Bretagne :

« Ont arrêté et arrêtent d'inviter tous les jeunes citoyens de la Bretagne à renouveler le pacte d'union qui a jusqu'ici servi de sauvegarde contre les mauvais desseins de nos ennemis, et à former une ligue patriotique contre les derniers efforts des magistrats aristocrates. A cet effet, ils ont nommé pour rédiger et signer, en leur nom, l'adresse à faire en exécution de leur arrêté, MM. Goez, Vacherot, Raby et Kératry (1). »

(1) « Les expressions manquent, écrivait Desmoulins après avoir lu les adresses du Dauphiné et de Quimper, les expressions manquent pour témoigner la reconnaissance que tous leur devons. Chez les Grecs, à la fin de la guerre, c'était l'usage de décerner le prix du courage à celui de tous les peuples qui s'était le plus

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