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CHAP. V. Travaux de l'assemblée. Elle demande la sanction immédiate des décrets du 4 août. 1 Arrêté sur les grains. Question du droit de sucression de la branche espagnole des Bourbons. Réponse du roi. L'assemblée insiste. Le roi promet de faire publier les décrets du 4 août.-Motion de Volney sur le renouvellement de l'assemblée. Elle est écartée.

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ASSEMBLÉE NATIONALE. Il semblait que l'assemblée eût épuisé toute sa puissance logique dans les séances précédentes, bien qu'elle n'eût produit cependant, dans cette durée, qu'un ensemble de discours et de résultats entièrement disproportionnés à de si grands efforts. Dans les séances qui suivirent, ce qui apparaît surtout, c'est une irritation de parti; l'habileté se montre, non pas par des efforts pour convaincre par la force d'une démonstration rationnelle, mais dans l'art de poser les questions, dans celui de détourner la discussion par des motions incidentes, enfin dans celui des interruptions. Ainsi, quelques-unes de ces séances furent extrêmement orageuses. M. de Virieu se distingua particulièrement; c'était ce partisan du veto absolu qui, dans une des séances précédentes, avait donné le premier exemple, à la tribune, d'appuyer par des jurons la violence des paroles. Il eut le talent d'exciter encore plusieurs fois les violents murmures que sa première faute avait soulevés.

Nous passerons sur ces séances fastidieuses et sans enseignement, toutes les fois qu'elles nous paraîtront en même temps dépourvues d'intérêt révolutionnaire.

Dans la séance du 12 septembre au soir, à l'occasion de quelques entretiens sur les troubles qui agitaient la France, sur la nécessité de réorganiser l'armée, et après un rapport du comité de judicature qui proposait un arrêté pour rendre force et vigueur aux lois pénales et de police, il fut décrété que les arrêtés du 4 août seraient présentés à la sanction du roi.

Ainsi, Louis XVI se trouvait en position d'opposer ce veto, dont menaçait Desmoulins dans son Discours de la Lanterne. Cependant ce fut le côté droit, l'abbé Maury en tête, qui s'opposa à cette mesure, et par cette raison, qu'il fallait pourvoir au remplacement de tout ce qu'on abolissait, par exemple assurer la sub istance des curés, auxquels on enlevait le revenu des dìmes; déterminer le prix du rachat des droits féodaux, etc. Cela fit dire dans le public que le parti royaliste voulait ajourner les décrets du 4 août, dans l'espérance de pouvoir, dans un temps meilleur, les considérer

comme non avenus.

SÉANCE DU LUNDI 14 SEPTEMBRE. L'ordre du jour amenait la question de savoir pendant combien de législatures le veto serait suspensif.

M. Barnave. Je crois, messieurs, que nous devons savoir à quoi nous en tenir relativement aux arrêtés du 4 août. Il a été décidé samedi qu'ils seraient présentés à la sanction: mais il n'y a rien de statué quant à la forme de cette présentation. Il n'est pas encore décidé si ces arrêtés seront soumis au veto suspensif, comme les lois qui seront faites par les autres législatures.

Il faut bien les distinguer de toutes autres lois : 1° parce qu'ils sont faits par une assemblée qui réunit le pouvoir constituant au pouvoir constitué; 2° parce qu'ils touchent à la constitution.

Il serait fâcheux qu'ils fussent arrêtés par le veto suspensif, parce qu'ils ont été publics, et que le peuple les a reçus avec des transports de joie universelle. Je crois donc que nous devons surseoir à l'ordre du jour juqsu'à ce que nous ayons statué sur les arrêtés du 4 août, soit que nous décidions qu'ils seront sanctionnés purement et simplement, soit que nous décidions qu'ils seront soumis au veto suspensif.

M. le comte de Mirabeau. Il n'est pas nécessaire de mettre en question si les arrêtés du 4 août doivent être sanctionnés; certainement ce point-là est jugé, et nous ne prétendons point le remettre en question. Il fallait sans doute les promulguer plus tôt : ce n'était pas obscurcir le travail de la constitution; c'était, au contraire, le rendre moins difficile. Il paraît impossible dans ce moment d'en suspendre plus longtemps la promulgation; tous 1-s esprits ne sont que trop enflammés et trop inflammables. Les arrêtés du 4 août sont rédigés par le pouvoir constituant; dès lors ils ne peuvent être soumis à la sanction; et permettez-moi de vous le dire, vous n'auriez Jamais dû décider d'autres questions sans juger celle-ci; vous n'auriez pas dû songer, permettez-moi cette expression triviale, à élever un édifice sans déblayer le terrain sur lequel vous voulez construire. Les arrêtés du 4 août ne sont pas des lois, mais des principes et des bases constitutionnelles. Lors donc que vous avez envoyé à la sanction les actes du 4 août, c'est à la promulgation seulement que vous les avez adressés; et le corps législatif éprouverait des débats terribles, des questions épineuses, des débats de compétence, si les arrêtés n'étaient pas promulgués purement et simplement. Je conclus fortement à ce que rien ne soit décidé sur ce qui peut rendre immuables, consolider, renforcer les prérogatives royales avant que les arrêtés ne soient sanctionnés.

M. de Lally-Tolendal. J'ai partagé aussi vivement que qui que ce

soit l'enthousiasme patriotique qui nous a tous enflammés dans la nuit du 4 août. J'en parlais encore, il y a peu de temps, dans cette même tribune, et j'en parlais comme doit en parler tout bon citoyen. Mais n'est-ce pas une vérité reconnue, que parmi les articles résolus dans cette nuit célèbre, quelques-uns ont été étendus par la rédaction qui l'a suivie, et qui n'a été définitivement arrêtée que le 11? Pouvons-nous nous dissimuler que des réclamations se sont fait entendre, et l'exagération même de l'héroïsme n'a-t-elle pas ses dangers?

Je n'ai pas oublié ce qu'en a dit un des membres de cette assemblée, un des plus éloquents, un des mieux écoutés. Peut-être eussions-nous dú faire nos arrêtés du 4 août avec plus de lenteur et les faire précéder d'une discussion utile. On aurait plus respecté les propriétés et les usages. Les revenus de l'État n'auraient peut-être pas reçu une diminution si sensible Ainsi s'exprimait M. le comte de Mirabeau, dans la séance du mercredi soir 19 août; et les mêmes paroles qui ont obtenu faveur dans sa bouche trouveront peut-être grâce dans la mienne.

La sanction, vous a-t-on dit, n'est pas nécessaire pour les arrêtés du 4 août; nous sommes pouvoir constituant, et il s'agit de constitution. Je dis, moi, que la sanction est nécessaire, si jamais elle le fut. Je n'examine pas ce qu'on entend par pouvoir constituant, ni les variations dans lesquelles on est tombé à cet égard; mais j'observe qu'il n'est pas question ici de constitution. L'organisation, la définition, la séparation, la limitation des pouvoirs, voilà ce que j'entends par la constitution.

Il ne s'agit de rien de tout cela dans les arrêtés du 4; il s'agit de lois, et nous-mêmes avons reconnu que les lois devaient être revêtues de la sanction royale; et le désir des peuples, comme leur intérêt, réclame cette sanction; et j'entends par sanction la réunion du consentement, du sceau, de la promulgation; et je ne doute pas qu'une grande et une très-grande partie de l'assemblée ne l'entende comme moi.

Je ne me perdrai point dans la discussion de tous les étranges principes qui nous ont été révélés; mais puisqu'on a parlé de lever le voile, je prétends, moi, le lever à mon tour, et ne plus dissimuler aucune vérité.

J'ai entendu murmurer encore cet éternel et banal reproche; ce nom d'aristocratie, jadis odieux, aujourd'hui ridicule. Je l'ai prononcé, ce nom, avec autant d'indignation, je l'ai combat u avec autant de force, je l'ai poursuivi avec autant de persévérance que qui que ce soit, tant qu'il a signifié quelque chose; mais j'avoue que 5

TOME II.

je ne l'entends plus proférer qu'avec dégoût, depuis que c'est un mot vide de sens; et je ne crains pas de dire qu'il ne peut plus désormais être mis en action que par ceux-là même qui en abusent dans le discours.

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Quant à l'autorité royale, je l'ai déjà dit, et je répète que si les vertus du roi peuvent me la rendre chère, c'est l'intérêt du peuple qui me la rend sacrée. Je puis dire encore qu'autant je respecte cette autorité dans son exercice légitime, autant j'en ai combattu les excès et les abus, et j'en prends à témoin, sinon l'assemblée en tière, du moins une grande partie de l'assemblée qui m'a entendu sur cet objet dans un autre lieu et à une autre époque; car j'ai toujours eu pour principe d'avoir des avis aussi forts, quand on me plaçait en deçà de la liberté, que modérés quand on voulait m'emporter au delà.

Mais je demanderai si c'est de bonne foi qu'on peut craindre aujourd'hui les excès et les abus de l'autorité royale? Où est le despote? Où sont les suppôts du despotisme? Où est l'armée? Où sont même les courtisans? Les flatteurs aujourd'hui sont ceux qui médisent de l'autorité royale. Ah! loin d'en craindre les excès, craignez plutôt de ne pouvoir pas de longtemps, même avec toute votre volonté, rendre au pouvoir exécutif la vie qu'il doit avoir. Portez vos regards autour de vous; portez-les au loin; voyez partout l'interruption des revenus publics, la cessation de toute justice, la disette au milieu de l'abondance, le despotisme au sein de l'anarchie, et craignez, si vous perdez encore des instants aussi précieux, de ne pouvoir plus retrouver cette unité d'action, ce centre de forces, qui seuls, dans un empire aussi vaste, peuvent tenir toutes les parties liées entre elles, et maintenir la stabilité du grand ensemble.

Lally-Tolendal fut remplacé à la tribune par le comte Virieu. La discussion dégénéra immédiatement, et les interruptions commencèrent. Rewbel, l'abbé Maury, le comte de Mirabeau, Pétion, Robespierre, Tronchet, Malouet, Chapelier, prennent successivement la parole. Cependant, dit le Moniteur, depuis longtemps on demandait la question préalable, chicane ordinaire du parti qui veut éluder une question; des nobles, et entre autres celui qu'on connaît pour se laisser emporter jusqu'à laisser échapper des f..... (M. de Virieu) se comportait comme un furieux. Ses voisins avaient toutes les peines du monde à le retenir. Cet homme atrabilaire, ou enthousiaste, défavorisait, à force de colère, la cause qu'il défendait.

M. Barnave propose une seconde rédaction; la voici :

Qu'il soit sursis à l'ordre du jour jusqu'à ce que les articles du

4 août et jours suivants aient été promulgués par le roi, que l'assemblée, etc.

Puis enfin une troisième version à peu près la même que la seconde :

Qu'il soit sursis à l'ordre du jour jusqu'à ce que la promulgation des articles du 4 août et jours suivants ait été faite par le roi, et que l'assemblée, etc.

La priorité est réclamée pour la dernière version, et elle est décidée à la majorité, après une seconde épreuve.

La priorité décrétée, M. le président propose la question préalable, c'est-à-dire la question de savoir s'il y a lieu ou non à délibérer sur la motion de M. Barnave; mais il est impossible au président de prononcer le décret.

Il était prêt à décider qu'il n'y avait pas lieu de délibérer, parce qu'il avait cru voir la majorité pour cette opinion; mais les réclamations opiniâtres d'une grande partie de l'assemblée l'ont empêché de prononcer conformément à ce qu'il croyait avoir vu.

Enfin, la séance se termine sans rien décider. L'assemblée se retire tumultueusement à trois heures et demie.

Dans la séance du soir, on décréta que les détenus politiques seraient renvoyés devant les tribunaux existants. Depuis le jour où l'on avait commencé à s'occuper de la déclaration des droits, il avait été convenu que les réunions de l'après-dîner seraient unique▾ment consacrées aux affaires extra-parlementaires. Ce ne fut donc que le lendemain 15 septembre, que la discussion recommença sur la motion de Barnave; mais elle fut détournée coup sur coup par des propositions incidentes. On reprit la discussion de la constitution, et cette discussion donna lieu elle-même à une motion incidente, qui fut débattue avec passion pendant trois séances. Il s'agissait de décréter l'hérédité de la couronne. M. Arnoult proposa un amendement tendant à exclure de la succession royale la branche d'Espagne, dans le cas où la branche régnante viendrait à s'éteindre. La maison d'Espagne avait renoncé en effet à la couronne de France par le traité d'Utrecht; si l'assemblée adoptait l'amendement d'Arnoult, cette clause du traité devenait un article fondamental de la constitution française et l'exspectative de la couronne était ouverte à la maison d'Orléans. Le côté droit ne vit dans cette motion qu'une tentative du duc d'Orléans pour se rapprocher du trône. Depuis longtemps, en effet, on accusait ce prince de fomenter les troubles de la capitale, dans le but de s'emparer de l'autorité de Louis XVI; on allait jusqu'à lui attribuer l'insurrection de juillet et

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