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en l'air n'ait contribué à assurer parfois le succès aux Allemands, mais il suffit aussi pour les couvrir de honte!

Il faut signaler quelques-uns de ces faits qui sont d'abominables assassinats.

Déjà à Spickeren-Forbach, le 6 août, l'ennemi avait timidement essayé, devant la division de Laveaucoupet, dans les bois de Gifertwald, de nous tromper en levant la crosse en l'air'. — Ils avaient aussi tenté, ce jour-là, les mêmes manœuvres à la bataille de Worth. Des compagnies de chasseurs bavarois avaient crié : « Ne tirez plus ! », pour prendre à l'aise de meilleures positions et nous fusiller de nouveau. Un autre fait plus grave avait eu lieu : au sommet d'une colline dominant le vallon de Langensoultzbach, des compagnies allemandes avaient mis soudain la crosse en l'air et accueilli nos soldats par un feu d'ensemble des plus meurtriers 2.

Mais c'est huit jours après, à la bataille de Borny, le 14 août 1870, que les Allemands devaient surtout recourir à ces lâches guets-apens :

Le 1er bataillon du 13 de ligne se trouvait à gauche du bois de Mey, bien abrité et tenant l'ennemi en respect, lorsque nos tirailleurs entendirent les cris de : « Ne tirez pas! nous sommes Français! » Officiers et soldats sortirent alors sans défiance de leurs abris une ligne allemande apparaissait en avant, tenant le fusil la crosse en l'air. Soudain, elle faisait sur nos malheureux soldats une décharge terrible : 3 capitaines, 2 lieutenants et 2 sous-lieutenants du 13 de ligne et un certain nombre d'hommes tombaient mortellement atteints; beaucoup d'autres étaient blessés '.

1. DICK DE LONLAY. Français et Allemands, II, 96-97. 2. DICK DE LONLAY. Français et Allemands, 1, 147.

La relation anecdotique de Dick de Lonlay (Français et Allemands) est loin d'être exempte d'erreurs. Elle est, en effet, plus encore que les livres de M. Grenest, une œuvre de compilation, un peu trop hâtive pour n'être pas exposée aux dangers des discordances et des renseignements mal contrôlés. Mais pour les faits que nous signalons dans notre étude et dont nous lui empruntons l'indication, l'inexactitude de ces ouvrages n'est pas à craindre; ils ne sont, a leur sujet, qu'un recueil facile à consulter et constitué d'emprunts faits à des mémoires très sûrs et à des historiques.

3. DICK DE LONLAY. Français et Allemands, III, 218.

Non loin de là, une compagnie prussienne du 1er corps d'armée venait la crosse en l'air au-devant du 1er bataillon du 64o et faisait feu à une distance de 30 mètres sur nos malheureux soldats qui, de bonne foi, avaient cessé leur tir1.

Quelque temps après et à peu de distance, le 20o bataillon de chasseurs de la division de Cissey fut victime d'une félonie pareille. Les Allemands s'avançaient sur le village de Mey depuis la lisière du petit bois abandonné par nos troupes. La nuit tombait. Pourtant on apercevait distinctement l'ennemi levant la crosse en l'air, agitant des mouchoirs et faisant des démonstrations pacifiques. C'est alors que le commandant de Labarrière s'avança presque seul pour reconnaître de plus près l'ennemi. Tout à coup les fusils allemands s'abaissèrent et une décharge soudaine coucha à terre, mortellement blessés, le malheureux chef de bataillon, un sergent et plusieurs hommes.

Près du village de Borny, le 7o de ligne, de la division Metman, s'était levé sans défiance d'une tranchée, devant de semblables manifestations de l'ennemi. Il avait aussitôt été reçu par des feux de salve et rejeté en arrière".

Pendant la première partie de la terrible journée de Rezonville (16 août 1870), les troupes ennemies du IIIe corps d'armée mettaient la crosse en l'air en face des 2o et 3e bataillons du 32o, défendant le hameau de Flavigny. Les nôtres s'étant alors approchés recevaient le feu des Allemands à bout portant. Le commandant Collignon était tué, le capitaine Malcor et un grand nombre de soldats tombaient victimes de cette trahison “.

Ce fait se renouvelait à quelque distance, presque au même moment. Le IIIe corps allemand se trouvait en effet dans une situation critique en présence de notre armée de Metz que seul il avait audacieusement attaquée. Notre 66° de ligne

1. DICK DE LONLAY. Français et Allemands, II, 531.
2. DICK DE LONLAY. Français et Allemands, II, 539.
3. Dick de LoNLAY. Français et Allemands, II, 524.
4. DICK DE LONLAY. Français et Allemands, III, 66, 67.

était accueilli avec un feu roulant par certaines compagnies prussiennes qui, placées au haut d'une crète, avaient mis la crosse en l'air'. De nombreux officiers et soldats étaient victimes de cette félonie et, surpris, notre régiment prononçait un mouvement de recul.

Dans l'après-midi du même jour, une compagnie d'infanterie ennemie cessait le feu et s'avançait la crosse en l'air audevant d'une section du 2o bataillon du 3e grenadiers. Puis elle la fusillait à courte distance: cette félonie coûtait la vie au lieutenant Fabrègue, trop confiant dans la loyauté de ses adversaires*.

Le surlendemain, 18 août, durant la gigantesque lutte de Gravelotte-Saint-Privat, l'ennemi essayait encore de recommencer ces odieuses manœuvres. Nos soldats étaient cette fois plus avisés. Devant Amanvillers, une compagnie du 15e de ligne allait toutefois se faire prendre au piège, quand le commandant Commerçon, du 13e de ligne, qui se souvenait de Borny, ordonnait à ses hommes de faire sur l'ennemi des feux de bataillon, qui le forçaient à reculer en désordre '. Les Allemands avaient tenté la même manœuvre devant le 65° de ligne.

Vers la fin de cette bataille du 18 août 1870, près de SaintPrivat, attaqué dans une lutte effroyable par la garde prussienne et le XIIe corps saxon, un fait inouï se passa vers la face nord du village, défendue en grande partie par notre 93 de ligne. Des compagnies des régiments saxons, no 100, 101 ou 107, mirent genou à terre et élevèrent leurs fusils la crosse en l'air. Des officiers se portèrent en avant des colonnes de compagnie et, ôtant leurs larges ceintures d'argent, firent des signes en les agitant en l'air! Tout à coup, on put même voir ces compagnies allemandes arrêtées sur

1. DICK DE LONLAY. Français et Allemands, III, 63, 64.
2. Dick de LONLAY. Français et Allemands, III, 337.
3. DICK DE LONLAY. Français et Allemands, IV, 421.
4. DICK DE LONLAY. Français et Allemands, IV, 432.

notre front, former les faisceaux sous notre feu, puis les hommes se coucher à plat ventre en arrière sous la pluie des balles renversant, faussant et brisant les fusils. Alors, une hésitation se manifesta dans notre ligne. Que signifiait cette attitude de l'ennemi ? Le feu cessa, et c'est alors que les soldats saxons se précipitèrent sur leurs faisceaux et reprirent leur course vers notre ligne. Du coup celle-ci faillit être entamée; notre feu recommença cependant assez tôt et avec une intensité suffisante pour maintenir encore quelque temps l'ennemi à distance'.

Le lendemain matin de cette grande journée du 18 août 1870, alors que nos régiments du 2o et du 3e corps abandonnaient par ordre les positions où ils s'étaient intrépidement maintenus la veille autour des fermes du Point-du-Jour et de Moscou, l'aube naissante mit inopinément en présence les derniers défenseurs de nos tranchées et les Allemands qui s'étaient avancés vers elles pendant la nuit. L'ennemi tenta alors le « coup » de la crosse en l'air; un certain nombre des nôtres furent atteints, entre autres le commandant Notet du 85e 2.

A la suite des grandes batailles de Metz, parut un ordre du jour du quartier général de l'armée du Rhin enjoignant à nos soldats de ne tenir aucun compte des levées de crosse en l'air faites par l'ennemi.

La nouvelle de pareils incidents s'était d'ailleurs répandue dans l'armée et nos soldats se montraient furieux de ces actes de félonie. Dès la journée de Rezonville, beaucoup des nôtres. qui avaient vu aussi clouer au sol des blessés, criaient déjà dans les charges de cavalerie: «A mort les traitres! Pas de quartier!» La guerre tendait à prendre le caractère sauvage qu'elle avait eu entre Français et Prussiens dans la courte campagne de 1815. Quand, enfin, la division française Aymard pénétra le soir du 31 août dans le village de Servigny, que les nôtres allaient d'ailleurs si mal garder, 18 soldats alle

1. DICK DE LONLAY. Français et Allemands, IV, 338-339.

2. GRENEST. L'Armée de la Loire, I, 79, note.

mands levèrent la crosse en l'air devant des hommes de notre 85o de ligne ceux-ci exaspérés les massacrèrent jusqu'au dernier!

:

Un peu partout dans cette guerre, les mêmes ruses déloyales se manifestèrent. C'est ainsi que l'intrépide capitaine Huot, chef d'une compagnie franche, fut grièvement blessé dans un coup de main près de Fresne-Saint-Mammès, le 11 décembre 1870. L'escorte d'un convoi de ravitaillement ennemi faisait signe qu'elle se rendait à merci. Trop confiant, Huot se leva et reçut un coup de fusil qui le mit en péril de mort et contribua à sauver l'ennemi.

Le 11 octobre, au combat d'Orléans, vers 4 heures du soir, le 3o bataillon du 27o de marche, abrité derrière les talus du chemin de fer d'Orléans à Blois, engageait une vive fusillade avec des tirailleurs embusqués à quelques centaines de pas de là. Tout à coup, ces derniers s'avancent, agitant les bras comme pour inviter à ne plus tirer. L'un d'eux porte même un mouchoir blanc au bout d'un fusil. Notre feu cesse : le nombre des hommes qui s'approchent de nos soldats augmente sans cesse; ils font timidement des signes. Alors M. d'Entragues, lieutenant d'état-major, à qui ces gestes semblent singuliers et quelque peu suspects, pousse son cheval vers ces hommes: ce sont des Bavarois; un de leurs officiers lui lâche un coup de revolver qui ne l'atteint pas et c'est sous une grèle de balles que notre lieutenant revient auprès des nôtres pour les inviter à reprendre leur fusillade sur l'ennemi1.

A la même heure, non loin de là, une félonie plus grave encore avait lieu devant le 8° chasseurs de marche près de la gare des Aubrais. Tout à coup des Bavarois levaient la crosse en l'air, le commandant Antonini, deux officiers, un clairon et quelques hommes s'avançaient confiants vers les Bavarois, mais aussitôt une décharge terrible éclatait: le

1. GRENEST. L'Armée de la Loire, 1, 67.

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