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CHAPITRE VI

Violations de la Convention de Genève

Il y avait six ans, en 1870, qu'avait été conclue la Convention de Genève, œuvre d'une initiative généreuse et inspirée par la constatation de l'abandon lamentable des blessés sur le champ de bataille de Solférino. On s'était proposé par elle d'améliorer le sort des soldats victimes de la guerre, et, avec l'adhésion successive des Etats, on avait transformé en obligations juridiques et positives des règles dictées par l'humanité, mais jusque-là facultatives pour les belligérants.

Signée le 22 août 1864, complétée dans une nouvelle con férence réunie à Genève le 20 octobre 1868, cette Convention a été plus ou moins observée par la France et l'Allemagne pendant la campagne de 1870-1871.

Des tâtonnements inévitables se sont alors manifestés dans son application ; elle a servi de moyen d'abus, et elle a été l'objet de violations à l'examen desquelles nous devons étendre cette étude.

L'armée française fut généralement assez mal instruite sur les dispositions de cette Convention. S'il lui arriva parfois d'en faire une application défectueuse, ce fut surtout par ignorance. On n'avait même rien préparé en France, au début de la campagne, pour l'observation immédiate de cette Convention. C'est ainsi qu'à l'armée de Metz, la plus grande partie du personnel des hôpitaux et des ambulances ne reçut le brassard que vers le 15 août, au début de la marche sur Verdun qui devait être si promptement arrêtée par les batailles de Rezonville et de Saint-Privat.

Nos officiers eux-mêmes étaient alors fort peu pourvus de réglementation et d'idées sur le service hospitalier en campagne. Sur maints champs de bataille, nos blessés pensaient se trouver absolument à l'abri des investigations des Allemands: c'est ainsi que dans la grande ambulance de SaintPrivat, on entendit des officiers français blessés demander : «Est-ce qu'ils (les Prussiens) vont nous faire prisonniers ici?

Mais non, leur fut-il répondu par d'autres, cela ne se fait pas: ils n'en ont pas le droit, ici, c'est neutre ! »

« Et de fait cette dernière assertion fut prononcée avec tant d'assurance par des officiers, dont quelques-uns portaient les médailles de Crimée et d'Italie, que tous crurent qu'il en serait ainsi. Pourtant on n'aurait pas dû s'y tromper, car déjà des sentinelles étaient placées à toutes les issues de l'ambulance. C'étaient des grenadiers de la garde prussienne1».

Voici les dispositions essentielles de la Convention de

Genève :

Les militaires blessés ou malades doivent être recueillis et soignés, à quelque nation qu'ils appartiennent. D'après l'article 6, ceux qui tombaient entre les mains de l'adversaire et paraissaient désormais incapables de reprendre les armes, devaient être renvoyés dans leur pays; ceux qui semblaient en état de continuer la lutte n'étaient remis en liberté qu'à la condition de ne pas reprendre les armes pendant la durée de la guerre. La Convention de 1868 allait plus loin encore: elle stipulait (art. 5) que « sous la réserve des officiers dont la possession importerait au sort des armes,... les blessés tombés entre les mains de l'ennemi, lors même qu'ils ne seraient pas reconnus comme incapables, devront être renvoyés dans leur pays après guérison, ou plus tôt si faire se peut, à la condition toutefois de ne pas reprendre les armes pendant la durée de la guerre ».

1. DICK DE LONLAY. Français et Allemands. IV, p. 372.

Mais ces articles étaient trop absolus pour être observés à la lettre et de fait, en 1870, ils ne le furent ni par l'un, ni par l'autre des adversaires. Il y a dans tout blessé qui tombe entre les mains de l'adversaire, un prisonnier qui doit cependant recevoir un traitement spécial. En conséquence, on appliqua plutôt une solution transactionnelle très voisine de l'opinion émise par un jurisconsulte allemand, C. Lueder : « Les militaires blessés et malades des deux armées seront recueillis et traités de la même manière dans les hôpitaux et ambulances. Ceux qui appartiennent à l'armée ennemie devront, s'ils sont reconnus incapables de servir, à leur départ de l'ambulance, et s'ils en expriment le désir, être renvoyés dans leur patrie. Les autres officiers appartenant à l'armée ennemie seront, s'ils sont guéris lorsqu'ils quittent l'ambulance, traités de la même manière que leurs autres camarades prisonniers. »

C'est par l'application de cette doctrine que les 17 et 18 août 1870, près de 4,000 de nos blessés de Rezonville, restés en arrière dans les ambulances, tombèrent au pouvoir des Ire et II armées allemandes, lorsque celles-ci exécutèrent leurs mouvements préliminaires de la bataille de Gravelotte-SaintPrivat. Ils furent retenus prisonniers, sauf certains d'entre eux pris, avec une ambulance du 2o corps, à la ferme de Mogador, près Gravelotte, et qui, échangés par les Allemands contre un nombre égal de leurs blessés, rentrèrent à Metz quelques jours après.

Partout le même système fut appliqué.

Parfois même, les Allemands renvoyèrent nos officiers sans condition. C'est ainsi que le général Albert Cambriels, atteint à Sedan d'une blessure à la tête alors qu'il commandait une division du 12o corps, fut considéré par nos ennemis comme frappé si grièvement qu'ils le remirent en liberté sans condition. Or, quelques jours après, très souffrant encore de sa blessure, cet homme de cœur vint se mettre à la disposition du gouvernement de la Défense nationale, qui le chargea d'abord du commandement supérieur de Belfort, puis de la direction de nos premières forces de l'Est. Son

dévouement fut, hélas! sans profit pour la France : à vrai dire, ce général était alors entièrement démoralisé.

D'après l'article 1er de la Convention de Genève1, les ambulances et les hôpitaux sont déclarés inviolables (l'article dit improprement neutres). Ils ne doivent pas être occupés par les troupes dans un but offensif ou défensif. Reconnaissables par l'insigne de la Convention de Genève (croix rouge sur fond blanc), ils ne peuvent servir de but aux coups de l'ennemi. Les Allemands tinrent rarement compte de cette règle en 1870. Le 30 octobre, à Dijon, par exemple, les projectiles s'abattirent en masse sur l'ambulance des Capucins, dans le faubourg Saint-Nicolas, alors qu'on se battait en dehors de la ville. Partout où il y eut combat autour de localités, à Sedan, à Beaugency, etc., les ambulances ne furent jamais sérieusement respectées. Une grêle de balles et d'obus tombait sur les édifices surmontés du drapeau à croix rouge que les Allemands pouvaient, cependant, fort bien apercevoir. Nulle part ce pavillon ne détourna réellement des ambulances le feu de l'ennemi; c'est sur elles plutôt qu'il semblait s'acharner. A Strasbourg, le lycée, l'évêché, les écoles, les hôpitaux transformés en ambulance, servirent de point de mire aux Allemands. Il y eut à la fin du siège de Paris une protestation vigoureuse du commandement français. Le document est intéressant: il faut le citer tout entier avec la réponse par laquelle l'ennemi essaya de s'excuser en invoquant la distance qui ne lui permettait pas, prétendait-il, de préciser son tir:

1. Il y a de fortes présomptions que l'ennemi ait violé quelquefois la Convention de Saint-Pétersbourg du 11 décembre 1868 et se soit servi de balles explosibles.

Voici le texte très intéressant de cette Convention : « Considérant que les progrès de la civilisation doivent avoir pour effet d'atténuer autant que pos sible les calamités de la guerre ; que le seul but légitime que les Etats doivent se proposer durant la guerre est l'affaiblissement des forces militaires de l'ennemi ; qu'à cet effet, il suffit de mettre hors de combat le plus grand nombre d'hommes possible; que le but serait dépassé par l'emploi d'armes qui aggraveraient inutilement les souffrances d'hommes hors de combat, ou rendraient leur mort inévitable; que l'emploi de pareilles armes serait dès lors contraire à l'humanité : les parties contractantes s'engagent a renoncer mutuel

« Déclaration du gouverneur de Paris à Monsieur le général comte de Moltke, chef d'état-major des armées allemandes'.

«Depuis que l'armée allemande a ouvert le feu de ses batteries au sud de Paris, un grand nombre d'obus sont venus atteindre des établissements hospitaliers consacrés de tout temps à l'assistance publique, tels que la Salpêtrière, le Valde-Grâce, l'hôpital de la Pitié, l'hospice de Bicêtre et l'hôpital des Enfants malades.

« La précision du tir de l'artillerie et la persistance avec laquelle les projectiles arrivent dans une direction et sous une inclinaison constantes, ne permettent plus d'attribuer au hasard les coups qui viennent frapper dans les hôpitaux les femmes, les incurables, les blessés ou les malades qui s'y trouvent enfermés.

« Le gouverneur de Paris déclare ici solennellement à Monsieur le général comte de Moltke, chef d'état-major des armées allemandes, qu'aucun des hôpitaux de Paris n'a été distrait de sa destination ancienne. Il est donc convaincu que conformément au texte des conventions internationales et aux lois de la morale et de l'humanité, des ordres seront donnés par l'autorité militaire prussienne pour assurer à ces asiles le respect que réclament pour eux les pavillons qui flottent sur leurs dômes.

« Paris, 11 janvier 1871.

« Signé Général TROCHU. »

lement, en cas de guerre entre elles, a l'emploi par leurs troupes de terre et de mer, de tout projectile d'un poids inférieur à 400 grammes, qui serait explosible, ou chargé de matières fulminantes ou inflammables ». Or beaucoup de combattants français ont affirmé que l'ennemi viola souvent cette convention. Il aurait employé des balles explosibles, notamment au combat de Nuits du 18 décembre 1870. Le colonel Mesny, du 34° de marche, dira en parlant du combat d'Orléans du 11 octobre: «Parmi les projectiles lancés sur nous, et j'insiste sur ce point, se trouvent des balles explosibles ». V. GRENEST. L'Armée de la Loire, I, p. 62.

Toutefois nous pensons que les faits de cette nature, très difficiles à vérifier, n'ont pas été suffisamment constatés.

1. V.: Relation historique du grand état-major prussien, IV, supplément 455-456.

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