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« Nous ne faisons pas la guerre aux habitants paisibles du pays. Au contraire, tout soldat animé du sentiment de l'honneur a le devoir de protéger la propriété privée et de le bon renom de notre armée soit com

ne pas
tolérer que
promis par des faits isolés d'indiscipline.

« Je compte sur le bon esprit dont est animée l'armée, mais en même temps aussi sur la sévérité et la prévoyance de tous les chefs.

« GUILLAUME ».

Il faut surtout retenir ce fameux paragraphe dont le roi renouvelait à peu près les termes dans une autre proclamation adressée aux populations françaises :

<< Nous ne faisons pas la guerre aux habitants paisibles du pays..., etc ».

Cette recommandation, qui aurait dû être surabondante, n'était pas superflue, faite à des soldats qui avaient déjà achevé des blessés à Wissembourg et à Worth'. et qui s'étaient rendus coupables de dévastations et de crimes à l'égard d'habitants inoffensifs. N'avaient-ils pas massacré, le 4 août 1870, des personnes civiles à Wissembourg et fusillé le surlendemain des paysans de Worth et de Gunstett, ainsi que les curés de ces localités, coupables peut-être d'avoir porté les secours de la religion à des blessés français1?

Quelques jours après, le 15 août 1870, alors que notre armée de Metz fera l'ascension du plateau de Gravelotte et que les corps allemands courront vers l'ouest pour lui couper la route de Verdun, le général von Wedell, commandant la 29 brigade d'infanterie (15 division, VIIIe corps), brûlera le village d'Ancy, parce que, non loin de là, des escarmou

1. Voir le chapitre : Violations de la Convention de Genève.
2. Voir DICK DE LONLAY: Français et Allemands. I, p. 132 et 219.

A Wissembourg, l'ennemi ne s'était pas borné à massacrer des prisonniers et des blessés. Il avait commis toutes sortes de violences en ville, brisant, pillant et frappant. Des habitants inoffensifs avaient été tués; le chef de la gare qui s'était réfugié dans sa cave (on s'était battu autour de la station) fut littéralement criblé de projectiles. Si Wissembourg ne fut pas incendiée, c'est que la horde victorieuse n'était pas encore sûre de continuer à vaincre

ches auront eu lieu la veille entre des éclaireurs ennemis et des détachements français.

Voilà comment l'Allemand, malgré son emphatique promesse et un offert sensible de modération au commencement des hostilités, entendait appliquer le droit des gens. Ce n'était pourtant là qu'un début il se souciait encore vraiment de montrer de la réserve et de l'équité; et ses généraux faisaient pour leur compte des proclamations identiques à celle du roi de Prusse1.

Mais bientôt l'ennemi allait se départir de toute mesure. Son attitude, avec les progrès de l'invasion, devenait de plus en plus odieuse : les pillages se multiplaient, on sentait que la violence n'était réprimée qu'avec peine, et que la sourde rancune de l'Allemand contre le Français s'exaspérait par la résistance jusqu'à éclater déjà en accès criminels, à Passavant, à Bazeilles, dans le traitement des prisonniers de l'armée de Châlons, etc.

Aussi, après le désastre de Sedan, dès le début de septembre, quand notre gouvernement de la Défense nationale reprit la lutte, l'ennemi jeta le masque. Il ne chercha plus sérieusement à contenir sa brutalité, et, en lui donnant libre cours, il sut du même coup l'employer avec calcul et en faire tourner efficacement les effets à son profit.

A la nouvelle de la reddition de l'empereur et de la capitulation de l'une des deux grandes armées françaises alors en action, les Allemands avaient eru la guerre terminée. Ils s'étaient livrés partout à de bruyantes manifestations de joie. « Dans l'allégresse première » beaucoup s'étaient imaginés « que la paix était conclue et qu'on allait rentrer au pays. Il leur fallut vider mainte coupe d'amertume avant que ce but fût atteint ». Grande et pénible fut leur désillusion quand ils apprirent qu'un gouvernement nouveau prenait en

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1. C'est ainsi que le général de Beyer, commandant la division grand-ducale badoise, disait aux habitants de l'Alsace: «Nous voulons respecter les citoyens non armés, les habitants des villes et des villages; nous garderons une sévère discipline ». (Voir Gazette de Karlsruhe, numéro du 16 août 1870).

2. Major SCHEIBERT. La guerre franco-allemande. Traduction E. JAEGLÉ, p. 282.

France la direction de la résistance et que la lutte recommençait sur tous les points du territoire non encore envahis.

Les Allemands n'admirent guère qu'après la défaite des principaux groupes de nos troupes régulières, on cût le droit de leur disputer encore la victoire. La lutte se poursuivant longuement, leur fureur ne connut plus de modération, ils en vinrent presque à prétendre la défense illégitime, ou du moins ils attaquèrent de mauvaise foi le plus qu'ils purent sa légitimité1.

Certes, il ne faut pas oublier les circonstances d'alors, les difficultés d'une guerre terrible, l'immensité et la multiplicité des soucis du vainqueur, l'énergie et l'activité fiévreuse qu'il a dû déployer pour surmonter une résistance de détail sans cesse renaissante. Mais il faut comprendre aussi que s'il a triomphé en définitive, c'est en ne reculant devant aucune violation du droit. Il prit bien vite un parti: celui de désarmer ou de paralyser la nation tout entière par un système de terreur prémédité, sans s'arrêter vraiment à des préoccupations de justice. Son seul but a été d'aboutir, n'importent les moyens, à la victoire définitive. Il a appliqué rigoureusement et sans pitié tout ce qui, dans le droit international, favorisait son entreprise. Il a méconnu aussi de parti pris tout ce qui retardait le triomphe de sa force; et chaque fois qu'il y a eu intérêt, il a restreint les obligations que le droit des gens lui imposait. C'est dans toute sa rigueur que l'Allemand a appliqué cet axiome célèbre du général von der Goltz : « Toute idée de philanthropie à la guerre est une erreur des plus pernicieuses ».

En cette occasion, se sont amplement manifestés les tristes côtés du caractère de l'Allemand, mélange étrange de senti

1. L'Allemand n'admettait plus la résistance, parce qu'il était vainqueur. A ses yeux, ses premiers et décisifs succès lui avaient donné de suite le droit de s'imposer et de commander sans conteste. Il se montrait généralement à l'égard de ses hôtes forcés, soit arrogant et dominateur, soif excessif de familiarité. Rarement la délicatesse lui inspirait la juste mesure. Il lui semblait que sa victoire l'autorisait à pénétrer dans l'intimité même des familles ou à y parler en maître.

mentalité et de brutalité pratique, de naïveté et de ruse, de fourberie, d'obséquiosité et de souplesse dans le danger et les revers, d'arrogance, d'orgueil et de dureté dans le succès. Certes, dans la masse des armées allemandes, il y a cu des soldats chevaleresques, difficilement portés à l'attitude violente, versatile, étroitement pratique, qu'avait adoptée nos ennemis, et qui était si bien conforme aux tendances de leur grand inspirateur, M. de Bismarck. Il y eut naturellement des hommes de cœur ; ceux de nos compatriotes qui les ont connus en ont gardé fidèlement le souvenir, car ce furent là des exceptions bien rares. Au point de vue de la vérité, il importe essentiellement, en effet, de détruire l'absurde légende du « bon Prussien ».

Les Allemands commencèrent par asseoir fortement leur souveraineté de fait sur les territoires occupés'. Ils usèrent du droit extrême de faire prisonniers les hauts fonctionnaires du gouvernement et, autant qu'ils le purent, ils arrêtèrent les préfets et les sous-préfets. Le préfet de la Côted'Or, M. d'Azincourt, qui tomba, par exemple, entre leurs mains à Dijon, où il avait eu l'imprudence de rentrer quelques jours après le 30 octobre 1870, fut conduit en captivité. Le sous-préfet de Montargis fut compris parmi les otages emmenés à la suite de la bataille de Beaune-la-Rolande; celui de Gray dut partir pour Brème avec les otages de Dijon, Gray et Vesoul, etc. Des maires furent même arrêtés comme prisonniers d'Etat celui de Montbéliard entre autres, M. Lalance, fut interné à Strasbourg.

1. Leur prétention, à ce point de vue, fut encore excessive. C'est ainsi qu'ils exercèrent d'une manière abusive la jouissance reconnue à l'occupant sur les biens du domaine privé de l'Etat. On connait l'arrêt fameux de la Cour de Nancy: l'autorité militaire allemande avait vendu à des banquiers de Berlin 1,500 chènes à raison de 3 thalers, alors que chacun d'eux valait au moins 150 francs. Un Français se substitua aux premiers acquéreurs. La paix signée, la Cour de Nancy, par arrêt du 3 août 1872, déclara la vente nulle, pour ce motif qu'il y avait là plus qu'un acte de jouissance, que ce contrat dépassait par suite les droits de l'occupant, et aussi pour des raisons morales et patriotiques.

Tout était prêt par ailleurs pour la conquête'. Une ordonnance élaborée en 1867, mais publiée seulement le 20 juillet 1870, simplifiait, en l'adaptant aux circonstances, la procédure des tribunaux militaires. La justice martiale allait fonction

1. Des gouverneurs assistés de préfets et de sous-préfets auxiliaires, généralement choisis parmi les auditeurs allemands, prenaient en mains l'administration des départements occupés. Ils comptaient bien utiliser le personnel auxiliaire français. Exceptionnellement, en effet, le droit international autorise le vainqueur à imposer aux fonctionnaires qu'il maintient certaines mesures sous forme de réquisitions d'office. Les Allemands employèrent fréquemment ce procédé en 1870, auprès des maires, des agents des ponts et chaussées, des agents des postes, etc. Le personnel administratif français refusa souvent son concours à l'ennemi ou ne le lui prêta que contraint par la force. Ce n'est pas cependant que les menaces de destitution et de plus rigoureuses encore lui aient été épargnées. En voici un exemple : « M. Thiroux, directeur intérimaire des postes françaises à Versailles, ayant rappelé dans une circulaire au personnel de son administration l'article 77 du code pénal, aux termes duquel est puni de mort quiconque aura entretenu des intelligences avec les ennemis de l'Etat, à l'effet de seconder les progrès de leurs armes sur les possessions ou contre les forces françaises, et ayant assumé la responsabilité du refus qu'il lui ordonnait d'opposer à toute injonction faite par les agents prussiens, fut arrêté, écroué à la prison de la ville, et quelque temps après, emmené en captivité en Allemagne ». (P. PRADIER-FODÉRÉ. Traité de droit international public européen et américain, t. VII, p. 148-149).

Ce fut là pour les Allemands la cause de grandes difficultés. Ainsi l'ennemi ne parvint pas à percevoir les contributions indirectes, comme il en avait l'intention; il préleva seulement une contribution personnelle dont le montant fut calculé sur le revenu des impôts de 1869. Il est vrai qu'il ne se fit pas faute de remplacer cette source espérée de profits qui lui manquaient par des contributions, des amendes et des réquisitions arbitraires de toutes natures. (Voir, dans la relation historique du grand état-major prussien, traduction COSTA DE SERDA, III, supplément 17, l'ordre portant création d'un gouverneur général à Reims, fonction attribuée au grand-duc de Mecklemboug-Schwerin. - Dans la Côte-d'Or, le général de Manteuffel désigna, à la date du 14 février 1871, M. Igel, intendant de l'armée du Sud, pour exercer provisoirement les fonctions de préfet à la place de M. Luce-Villiard).

Pour ce qui est de la justice ordinaire statuant civilement ou pénalement, la souveraineté de fait de l'occupant ne l'empêchait pas en principe de fonctionner régulièrement et au nom de l'Etat occupé. Lors de l'occupation de Dijon par les Badois, il avait été stipulé que la justice serait rendue au nom de la République. Cette clause était surabondante. Les provinces de l'Est, comme l'Alsace, subirent cependant un régime à part l'ennemi les organisa déjà en vue de la conquête définitive. A Nancy, n'avait-il pas eu la prétention d'imposer à nos tribunaux l'obligation de libeller leurs jugements « au nom des hautes puissances allemandes occupant le territoire? » La Cour de Nancy avait protesté en audience solennelle et avait suspendu ses travaux. Dans le gouvernement général d'Alsace, des conseils de guerre permanents furent créés pour connaître des délits commis par les habitants contre leurs compatriotes; afin d'assurer leur fonctionnement régulier, on fit venir des magistrats de l'Allemagne.

Un tribunal spécial fut institué à Nancy pour le gouvernement général de

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