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ner avec une rigueur singulièrement violente et inique. Contrairement à la doctrine généralement admise, qui a pour elle la raison et la justice, la juridiction et la procédure étaient abandonnées à l'arbitraire des chefs militaires. Selon la conception de Wellington, la loi martiale signifiait absence de lois. Les chefs allemands avaient le droit, en prenant des

Lorraine; il avait pour mission de poursuivre les habitants pour tout crime, délit ou excès commis par eux sur les Allemands. (Voir la Relation historique du grand état-major prussien. Traduction E. COSTA DE SERDA. V, p. 1307).

En règle générale, nos magistrats, n'étant point regardés eomme investis de fonctions politiques, n'étaient nullement inquiétés.

Mais, en fait, pour éviter le plus possible toute occasion de rapports officiels avec l'ennemi, les cours et les tribunaux prenaient tacitement la résolution de suspendre leurs travaux.

C'est ainsi que le 3 novembre 1870, alors que Dijon était occupée depuis trois jours déjà par la division badoise de Beyer, la Cour de cette ville déclarait à l'audience de sa chambre civile qu'a aucune cause civile n'étant prête à plaider », il y avait lieu de suspendre provisoirement ses travaux. En réalité, ce n'était là qu'une formule, 35 causes avaient été appelées.

La chambre correctionnelle de la même Cour jugeant au civil prenait une résolution identique, « aucune cause n'étant portée au rôle, disait-elle, ou prête à plaider ». (Extrait des feuilles d'audience au greffe de la Cour de Dijon).

Le tribunal de Laon avoua dans une délibération motivée du 15 octobre 1870, qu'il y avait lieu pour lui, « sans se démettre de ses fonctions, d'en cesser provisoirement l'exercice ». Les autorités allemandes n'avaient-elles pas exigé que ce tribunal rendit la justice « au nom de la loi » sous prétexte qu'elles n'avaient pas reconnu la République proclamée à Paris?

Toutefois la justice répressive ne pouvait interrompre absolument ses travaux, dans l'intérêt des accusés et des prévenus. C'est ainsi que la cour d'appel (chambre correctionnelle) de Dijon tint quelques audiences en novembre et décembre 1870. La chambre des mises en accusation se réunit aussi à cette époque.

Il en était généralement de même dans tous les tribunaux des villes occupées. Les juges de paix, de leur côté, ne faisaient plus guère que des actes dépendant de leur juridiction gracieuse (scellés, tutelle etc.).

D'une manière générale, l'activité du ministère public était alors très atténuée; outre que le concours de la gendarmerie française, se repliant devant l'invasion, lui faisait défaut, il cherchait à ne poursuivre que le moins possible. Le fonctionnement de toutes les institutions était d'ailleurs bouleversé.

Aussi dans les gouvernements généraux institués par l'ennemi, autres toutefois que celui d'Alsace, les préfets provisoires allemands étaient-ils chargés de juger les délits de droit commun si l'on avait recours à eux. En dehors des départements de l'Est, traversés de bonne heure par les grandes armées allemandes (août-octobre), et qui reçurent un commencement d'organisation stable et définitive, le régime des autres départements occupés fut très mal caractérisé. En Bourgogne, par exemple, tout fut essentiellement provisoire de la part d'un ennemi sans cesse sur le qui-vive et en pleine agitation de lutte de plus, les événements y déterminèrent par intermittences une reprise complète de la vie nationale.

mesures, de ne s'inspirer que des circonstances et des nécessités du moment.

La proclamation du roi de Prusse, émise en août 1870, en édictant la peine de mort pour toutes personnes qui, ne faisant pas partie de l'armée française, se comporteraient avec hostilité à l'égard des troupes allemandes, ajoutait : « Dans chaque cas, l'officier ordonnant la procédure instituera un conseil de guerre chargé d'instruire l'affaire et de prononcer le jugement. Les conseils de guerre ne pourront condamner à une autre peine qu'à la peine de mort. Leurs jugements seront exécutés immédiatement ».

Aucune forme protectrice sérieuse, aucune possibilité de recours n'étaient donc assurées.

Ce n'était là que l'application exagérée des facultés que laisse le droit des gens. Mais l'ennemi recourut aussi à de tout autres procédés.

Terroriser, influencer les volontés par les moyens les plus illégitimes, exercer par des manœuvres condamnables une pression indirecte sur le moral de ses adversaires, au mépris de toute justice et de toute loyauté, agir parfois avec de véritables raffinements de cruauté sur la population inoffensive, sur les individus étrangers à la lutte, avec une connaissance perverse de la psychologie humaine et dans le but d'énerver la résistance, voilà quels ont été pour l'ennemi les facteurs certains de son succès; c'est avec cela autant qu'avec son organisation, ses qualités militaires, son heureux mélange de prudence, d'opiniâtreté et d'audace, qu'il a vaincu et qu'il a pu venir à bout d'une gigantesque résistance nationale.

Le principe de la conduite des Allemands a été (nous rapportons les propres termes du grand état-major prussien') : « d'assurer en toutes circonstances les pouvoirs absolus de l'autorité militaire et d'adopter contre les sujets ennemis qui, d'une façon quelconque, porteraient préjudice aux

1. Relation du grand état-major prussien. Traduction COSTA DE SERDA. V, p. 1443, 1444.

armées allemandes, une procédure aussi rapide et aussi sévère que possible ».

Ainsi les Allemands dénièrent insolemment le droit de défense à la France envahie. C'est à peine s'ils souffrirent les nouvelles levées légales de troupes déjà avant Sedan, dans le courant d'août, ils avaient massacré en partie à Passavant un bataillon de mobiles de la Marne fait prisonnier. Pour eux, la seule résistance véritablement admissible, parce qu'ils pouvaient facilement en venir à bout, était celle de nos dernières troupes régulières. Et encore ne l'admettaient-ils en quelque sorte qu'à découvert : le plus souvent, une maison d'où partait quelque coup de feu, était une maison condamnée à être détruite, et ses habitants étaient parfois massacrés. Les troupes mobiles, les gardes nationales mobilisées et sédentaires, les corps francs dont l'organisation était cependant avancée, ne furent admis que bien difficilement par eux au titre de belligérants; et certes, ils ne ménagèrent pas les brutalités de toutes sortes aux hommes de ces corps qui tombèrent entre leurs mains. Beaucoup d'entre eux furent fusillés comme des criminels, de même que tous les citoyens qui, obéissant aux ordres de levée en masse, prirent part à la défense de la Patrie isolément et sans une complète organisation!

Ruses perfides sur les champs de bataille, terrorisme obtenu par l'application d'une solidarité injuste, par les meurtres, les exécutions sommaires, les incendies, les réquisitions arbitraires, les indemnités énormes, les prises d'otages, la répression impitoyable de toute tentative de résistance locale, voilà les moyens avec lesquels les Allemands complétèrent leur victoire et cherchèrent sans cesse à étouffer l'initiative de la défense. La répétition constante de ces actes de brutalité démontre surabondamment par elle seule que l'ennemi a obéi sciemment à un système d'intimidation réfléchi et déterminé. Il l'a mis à exécution par ordre; aucune violence sérieuse de sa part n'a été véritablement réprimée par ses chefs, et les officiers ennemis ont presque toujours présidé, au contraire, à ces violations du droit.

CHAPITRE II

Pressions illégitimes sur les populations et sur l'armée

Il importe d'abord de rappeler quelques règles aussi simples que certaines.

Le respect de la personne des habitants inoffensifs et celui de leur propriété privée constituent deux principes fondamentaux du droit des gens moderne en ce qui concerne la guerre continentale.

Il est certain que l'occupant ne doit ni massacrer, ni faire prisonniers les habitants qui ne prennent nullement part à la lutte; il doit réprimer sévèrement les meurtres, les arrestations arbitraires, les violences de toutes sortes dont ses soldats peuvent se rendre coupables à leur égard.

Au sujet des biens, l'ennemi doit s'abstenir des destructions qui ne peuvent aider directement au succès de ses opérations militaires.

Le vol est odieux, qu'il résulte du pillage, appropriation individuelle, capricieuse et violente des biens des habitants, ou du butin, expropriation collective des biens des personnes suivant l'armée. Pillage et butin ne sont pas honorables, car il répugne d'être poussé au devoir par l'appåt de richesses volées; et ils sont injustes, parce qu'on donne en prime aux passions brutales des soldats les biens des particuliers qui ne font pas la guerre. Toutefois les nécessités ont fait admettre le droit de réquisition par lequel

l'armée d'occupation peut contraindre les habitants à la prestation de certaines choses matérielles et exceptionnellement de services personnels, pourvu que ceux-ci ne constituent pas contre la Patrie des actes d'hostilité directe et immédiate. Le droit de réquisition doit être un ultimum subsidium, se proportionner aux ressources du pays et se rapporter à des besoins indispensables. Son exercice doit être prescrit par l'autorité régulière de l'armée et il importe qu'en échange de la prestation des objets requis un récépissé soit délivré aux habitants fournisseurs.

Au lieu de la réquisition, on peut employer le droit de contribution. Il consiste dans la perception d'une somme d'argent que doivent payer les habitants du territoire envahi. Ce droit obéit aux mêmes règles que celui de réquisition.

Telles sont les seules dérogations admises au principe du respect de la personne et des biens des habitants ne participant pas à la lutte. Nous allons montrer maintenant quel respect les Allemands eurent de l'application stricte de ces règles du droit des gens et comment ils les observèrent.

Du jour où la résistance de la France devint vraiment nationale, l'ennemi ne se préoccupa plus guère de la légitimité de ses moyens. Il lui importait de vaincre. Son souci de réduire l'adversaire, déjà essentiellement pratique dans ses eflets, devint radicalement exclusif et relégua presque sans hésitation toute autre considération gênante.

L'Allemand voulut surtout étouffer cette exaspérante guerre de détail qui le fatigua tant et qui, par suite de l'insuffisance de l'initiative locale et de la maladresse d'un grand nombre de nos corps francs, fut pourtant, dans son ensemble, assez mal organisée. Par elle, l'ennemi se voyait dans l'obligation de multiplier les avant-postes et les reconnaissances; c'était pour le soldat allemand un danger constant, un surmenage intense dans le service et dans les marches. Aussi fut-il féroce dans certaines régions où la lutte se renouvela à chaque pas, comme dans les Vosges, autour d'Or léans, en Bourgogne et en Normandie.

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