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allemand, M. de Kahlden, ordonnait à la commune de Vendeuil (Aisne), de rétablir avant le lendemain, dix heures du matin, des ponts qui avaient été rompus, sous peine d'une amende de 20.000 francs, et en outre de « l'emprisonnement et du fusillement des principaux habitants. » Ce ne sont là toujours que des exemples choisis dans la masse des faits.

D'autres fois l'ennemi s'emparait d'otages lorsque quelquesuns de ses soldats avaient été capturés. Il tentait même par des menaces d'en obtenir la restitution. Nous avons dit qu'à Vézelize, le maire et les deux plus jeunes conseillers municipaux furent menacés de mort si les gendarmes allemands arrêtés par nos francs-tireurs des Vosges n'étaient pas restitués! Et l'ennemi obtint ainsi, parait-il, le résultat voulu!

A la suite du combat de Châtillon-sur-Seine (19 novembre), les Allemands prirent des otages dans le même but. Ils menacèrent aussi de bombarder cette ville si leurs prisonniers ne leur étaient pas rendus. Le président du tribunal civil et le juge de paix firent une démarche auprès de Garibaldi pour obtenir cette restitution! N'ayant obtenu aucun résultat, ils se rendirent à Tours où on n'accueillit pas leur supplique.

Les Allemands ont encore motivé plus étrangement certaines prises d'otages. Nous devons entrer ici dans quelques explications rapides.

Il est une coutume de la guerre maritime qui est vivement critiquée et qui tend à disparaître de la nomenclature des actes tolérés par le droit des gens, c'est celle qui autorise la capture des navires de commerce avec leurs équipages et avec la marchandise privée ennemie qu'ils renferment. En faveur du maintien de cette coutume, on dit qu'il importe de suspendre le commerce maritime des Etats parce que celui-ci constitue une des sources les plus fécondes de leur fortune : c'est le moyen d'amener un pays à composer et à se soumettre aux prétentions du vainqueur. Une pareille justification de ce droit est fort contestable.

Mais, en ce qui concerne la capture des navires de commerce eux-mêmes et surtout de leur équipage, cette coutume

de guerre est beaucoup plus facile à légitimer. Les navires de la marine marchande et les hommes qui les montent, peuvent être utilisés immédiatement, et presque sans instruction préalable des hommes, dans la marine de guerre à laquelle même les marines marchandes appartiennent virtuellement dans les pays où existe, comme en France, l'inscription maritime; il y a une grande différence entre eux et les habitants inoffensifs, qui ne deviennent pour la plupart dangereux dans la guerre continentale qu'après une période de préparation et d'entraînement'.

Mais les Allemands, qui sont toujours décidés à manifester de la délicatesse et des scrupules quand leurs intérêts le commandent, allaient, en 1870, se montrer particulièrement hostiles à ce procédé de lutte et se refuser même à admettre sa légitimité.

Déjà, au moment de la guerre de 1866, la Prusse et l'Italie, de concert avec l'Autriche, avaient renoncé au droit de prise.

En 1870, la marine allemande était de beaucoup inférieure à la nôtre. Aussi le roi de Prusse chercha-t-il de suite à éviter le grave danger qu'elle courrait en engageant la lutte avec nos forces de mer. Il prit les devants sur un ton de générosité, et dans une proclamation du 18 juillet, déclara que les navires français ne pourraient être ni amenés, ni

1. Ces arguments sont déterminants, et ce mode de prises est toujours admis en droit international. Il faut reconnaitre toutefois, nous l'avons dit, qu'une tendance marquée se manifeste vers sa suppression, surtout en ce qui concerne la propriété privée. Proposée au Congrès de Paris en 1856, cette suppression ne fut pas adoptée par suite de l'opposition de l'Angleterre. Pourtant on admit déjà que : 1o la propriété ennemie, embarquée sous pavillon neutre, doit être respectée, sauf les articles de contrebande de guerre ; 2o la marchandise neutre est insaisissable, même sous pavillon ennemi. Depuis et après 1870, particulièrement, certains Etats ont renoncé au droit de prise par traités spéciaux, comme l'Italie et les Etats-Unis (traité du 28 février 1871). En 1877, l'Institut de droit international a même émis l'avis suivant : « L'Institut, en rendant témoignage des progrès faits par la conscience publique et qui sont constatés par des faits nombreux et notoires, propose la règle suivante comme une réforme indispensable du droit international : La propriété privée, neutre ou ennemic, naviguant sous pavillon ennemi ou sous pavillon neutre est inviolable ».

capturés. Mais la France ne fut pas dupe de cette avance; et comprenant que de cette façon, la supériorité de ses forces navales serait en grande partie neutralisée, elle refusa d'agir de même. L'Allemagne dut, par suite, revenir elle-même à la pratique de la capture. Par un décret du 24 juillet, le roi de Prusse invita même les particuliers à se mettre, eux et leurs navires, à la disposition du gouvernement, pour courir sus aux navires de guerre français, et pour prix de ce service, des primes variant de 10.000 à 50.000 thalers furent promises suivant la force et le rang des bâtiments capturés.

C'était là une mesure très voisine de la course, qui, on le sait, avait été abolie par la déclaration du 15 avril 1856 : cette suppression avait été acceptée successivement par la plupart des Etats, et spécialement par la France et la Prusse. Le gouvernement français protesta. Les avocats de la couronne d'Angleterre consultés déclarèrent cette protestation non fondée, faisant observer que cette marine volontaire, placée sous les ordres des chefs militaires et astreinte à la même discipline que la marine officielle, devait être assimilée aux corps francs de terre, dont l'emploi n'est nullement interdit par le droit des gens. C'est un rapprochement assez curieux que celui de cette institution allemande et des francs de terre dont nos ennemis furent si souvent tentés de contester la légitimité.

corps

En fait, le décret du roi de Prusse resta lettre morte et la marine volontaire ne fut pas organisée. La guerre maritime ne prit aucune extension, nos forces de la Baltique ayant été bientôt appelées à concourir à la défense du territoire continental envahi.

Toutefois, il y eut quelques captures de navires allemands. C'est ainsi que 40 capitaines marchands de la marine allemande furent pris par notre flotte. Chose digne de remarque, ils appartenaient à la ville libre de Brème où, en 1859, une réunion de commerçants avait rédigé une protestation contre le maintien du droit de prise, et émis le vœu que les diverses puissances maritimes s'entendissent pour prononcer sa sup

pression. Mais ce n'était là qu'un vœu le droit de prise n'avait pas été formellement condamné par le droit international.

En cet état de choses, il n'y avait qu'à reconnaître la légitimité des prises françaises. Mais c'eût été extraordinaire de la part des Allemands; aussi l'idée leur vint-elle de faire payer à chaque département français une contribution s'élevant à million de francs pour les pertes causées par la capture des navires de commerce' et de prendre des notables civils français en nombre égal à celui des officiers de leur marine marchande internés à Clermont ! C'était violer encore une fois le droit des gens! L'ordre fut envoyé de Versailles de prendre 40 habitants de Bourgogne et de Franche-Comté pour les interner à Brême*: 20 devaient être choisis à Dijon, 10 à Gray et 10 à Vesoul. Le vénérable évêque de Dijon, MET Rivet, télégraphia vainement au roi Guillaume pour réclamer au nom de la parole donnée.

Pourtant « le droit de l'Allemagne, avoue M. Geffcken", n'était pas si clair, qu'elle fût autorisée à user de représailles et à envoyer à Brême comme prisonniers 40 notables de Dijon, Gray et Vesoul, si ce n'est à titre de mesure de retorsion pour les mauvais traitements infligés à des prisonniers allemands », traitements dont il faudrait faire la preuve.

La liste des otages fut arrêtée; ceux de Dijon partirent le vendredi 2 décembre. Ils se joignirent à Lunéville aux otages

1. Cette contribution était motivée aussi par le préjudice causé par l'expulsion des sujets allemands, Relation du grand état-major prussien, V, p. 1306. 2. Voir J. JEANNEL. De Dijon à Brême, 1870-1871.

3. GEFICKEN. Note au Droit international de l'Europe de HEFFTER. Traduction BERGSON, 4 édition française, 290.

4. On ne pouvait, en outre, considérer, comme l'a dit le chancelier de Bismarck, tout habitant de France comme susceptible d'être fait prisonnier. sous prétexte qu'il était formellement appelé à porter les armes au service de la République. S'il ne participait pas en fait au combat, il ne pouvait être raisonnablement considéré comme belligérant. Qui ne voit, en effet, la fausseté de la comparaison entre un officier de la marine marchande et un civil de tout age, appelé, très indirectement en fait, à concourir à la défense du pays envahi par une résolution de levée en masse? Le premier est vraiment un soldat, Fautre est souvent sans arme, et de plus sans expérience. Rationnellement il ne se révèle belligérant que par un acte d'hostilité ou en prenant les armes.

de Gray et de Vesoul, et, après avoir passé par Strasbourg, Manheim, Francfort', Cassel et Hanovre, ils arrivèrent le 14 décembre à Brème. Là, nos otages furent traités comme des officiers prisonniers de guerre, vivant à leurs frais et s'installant chacun selon ses goûts et ses moyens.

Parmi ces otages se trouvait un membre de l'Institut, le baron Thenard, enlevé de son château de Talmay, et que les journaux brémois appelaient «l'instituteur Thenard », parce qu'il faisait des cours de science à nos soldats prisonniers; on y comptait aussi M. Gaudemet, professeur de la Faculté de Droit de Dijon, M. Jeannel, professeur à la Faculté des Lettres, un certain nombre d'avocats, etc.

Il est inutile de dire que tous se trouvèrent en butte à des vexations et à des humiliations multipliées. Ce fut seulement le 24 février que des passeports leur furent distribués pour rentrer dans la Patrie vaincue et désarmée.

On reconnaît à l'occupant un droit de réquisition personnelle, voisin en apparence de la prise d'otage, c'est celui de requérir des guides pour le conduire à travers le pays envahi, et des ouvriers pour faire les travaux urgents, que seul il ne peut exécuter: c'est la réquisition de services personnels. Cette mesure est contraire au respect de la personne, mais elle est tellement nécessaire à la réussite des opérations d'une armée, que les règlements militaires des Etats l'ont autorisée et que la Conférence de Bruxelles n'a pas osé la proscrire. Ce n'en est pas moins là une pratique exorbitante et d'une légitimité morale fort contestable. On doit limiter son emploi autant qu'il est possible, et ne l'exercer qu'à deux conditions:

1° Il ne faut pas que le service constitue un acte d'hostilité directe et immédiate contre la patrie:

2o Il ne faut pas qu'il expose les individus requis au mème danger que les combattants.

1. A Francfort, la municipalité fit une magnifique réception à nos otages. C'est que depuis 1866 et mème antérieurement la Prusse avait su se faire connaître et détester dans cette ville.

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