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landsturm qui représentent les mêmes forces en Allemagne'. >>

Les Allemands sentirent bien la nécessité d'émettre une théorie nouvelle et moins intransigeante, mais celle-ci manqua de précision et de fermeté : ils cherchèrent à légitimer leur sévérité inique par l'exigence, rationnellement fort contestable, d'un uniforme fixe et très distinctif; ils prétendirent avoir le droit de fusiller les hommes qui n'étaient pas reconnaissables, à grande distance, comme adversaires; et ils assimilèrent à la félonie le fait de combattre en dehors de ces conditions étroites. Il ne suffisait même pas à leurs yeux que les combattants, surpris par l'invasion et ayant eu à peine le temps dé s'organiser, agissent loyalement.

Les Allemands en informèrent çà et là les populations. Ainsi le général de division de Wittich, après s'être emparé de Châteaudun, fit apposer sur ses murailles incendiées l'affiche suivante :

« Je fais savoir aux habitants du pays que toutes les personnes qui, n'étant pas militaires, seront saisies portant les armes contre les troupes allemandes, ou commettant d'autres actes d'hostilité ou de trahison (sic), seront irrévocablement mises à mort.

« On ne considère comme militaires que ceux qui porteront l'uniforme ou qui seront reconnaissables à portée de fusil par des distinctions inséparables de leurs habits.

« Le général en chef.

« VON WITTICH ».

On voit quelle latitude cette détermination à portée de fusil, laissait aux Allemands pour exercer leurs violences, en retour de ce qu'ils appelaient une trahison. Ce dernier mot est particulièrement heureux.

Voici en outre le télégramme communiqué par l'entremise

1. Voir Albert SOREL. Histoire diplomatique de la guerre franco-allemande, p. 161.

du ministre des Etats-Unis (séance du Sénat du 1er septembre 1870)':

« Les hommes qui peuvent à portée de fusil être reconnus comme soldats, seront seuls considérés et traités comme tels. La blouse bleue est le costume national, le brassard au bras n'est distingué qu'à une faible distance et peut à tout instant être retiré et replacé, de telle sorte qu'il devient impossible aux troupes prussiennes de distinguer les personnes dont elles ont à attendre des actes d'hostilité. En conséquence, ceux qui ne pouvant être, en toute occasion et à la distance nécessaire, reconnus comme soldats, tueraient ou blesseraient des Prussiens, seraient traduits devant une cour martiale ».

En fait, on ne devait même pas prendre tant de formes de procédure.

A la note du chancelier ennemi, le gouvernement français répondit le 2 septembre, en séance du Sénat : «La garde nationale mobile et les francs-tireurs qui y sont assimilés par leur organisation, représentent une force constituée en vertu de la loi française; leur costume a été défini, et la blouse bleue, avec ornements rouges, des hommes de la garde nationale mobile, qui portent en outre le képi, ne saurait être confondue, de bonne foi, avec le vêtement du paysan de France. » On ajoutait encore: « Le ministre de la guerre n'hésite done pas à déclarer que si la Prusse traite comme étrangères à l'armée de semblables troupes, les chefs de corps français useront de représailles envers les hommes de la landwehr et du landsturm, qui représentent les mêmes forces de l'Allemagne ».

La blouse à liserés et le képi étaient l'uniforme d'un groupe important de combattants. Pour les Allemands ceux-ci n'étaient pas belligérants.

1. Relations étrangères des Etats-Unis, 1870, p. 142. Archives diplomatiques, 1871-1872, p. 436.

2. Voir VALFREY. Histoire de la diplomatie du gouvernement de la Défense nationale, 3 partie, ch. XII, p. 162.

Mais alors qu'était-ce à leurs yeux que l'uniforme? A quelles conditions minutieuses devait-il répondre ? Jusqu'où devait aller l'observation de son exigence qui n'avait d'autre but que de paralyser la résistance nationale? Pourquoi un combattant vêtu, comme l'étaient un grand nombre de gardes nationaux sédentaires, d'une blouse à liserés rouges et d'un képi, n'aurait-il pas été considéré comme belligérant? On se l'explique d'autant moins que l'armement et la posture de l'homme contribuent toujours largement à révéler en lui le combattant.

Laissons de côté, pour la reprendre à la fin de ce chapitre, la question de savoir si on avait le droit d'exiger d'autres conditions que la loyauté de combat de la part de populations qui, appelées à la lutte par la levée en masse, n'avaient pas eu le temps de bien s'organiser; et examinons d'abord la valeur de la prétention émise par l'ennemi de refuser le caractère d'uniforme au képi et à la blouse à liserés. Nous allons voir à quel point elle est insoutenable.

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Une armée n'a-t-elle pas le droit de déterminer les teintes et les coupes de ses tenues, de telle sorte que l'adversaire ne les discerne qu'avec perspicacité? Elle s'efforcera précisément de se soustraire le plus longtemps possible aux effets du tir ennemi, en donnant le change par son costume abstraction faite des ruses de guerre ou en s'appliquant à ce que l'ennemi ne l'aperçoive pas de loin! L'uniforme a pour l'armée une destination tout à fait intéressée : il empêche les confusions entre soldats de même nation, et il assure plus facilement le maintien de la discipline et l'ordre des manœuvres. On cherche en même temps, à l'égard de l'ennemi, à lui donner des teintes indécises qui ne le révèlent plus aux grandes et aux moyennes distances.

1. Ce procédé est tout différent, nous le verrons, de la ruse plutôt déloyale, qui consiste dans l'adoption intentionnelle de l'uniforme même de l'adversaire.

L'armée allemande a-t-elle fait autre chose en changeant récemment la couleur de son manteau et en adoptant le couvre-casque1?

Or la blouse, comme tout autre vêtement et toute coiffure, peut être adoptée par un groupe de combattants à cause de ses avantages pratiques: peu importe que cet uniforme soit dangereux de quelque façon pour l'adversaire.

L'extrême diversité des tenues de nos troupes de la Défense nationale et surtout de nos corps francs, venait souvent même d'une émulation à découvrir les teintes et les coupes les plus satisfaisantes. On cherchait à choisir des vêtements difficilement reconnaissables à une courte distance: ceux des francs-tireurs de Nantes (armée des Vosges) par exemple, et de beaucoup d'autres compagnies franches, étaient fort peu voyants. Et cependant c'étaient là des uniformes. L'habileté dans le choix du costume n'est, en effet, pas plus une déloyauté que l'habileté dans le choix des positions. Ainsi, par suite de soucis de simplicité, de variété, de commodité ou d'élégance, chacune de nos troupes franches avait un uniforme fixe et qui lui était spécial : c'était fréquemment un costume de teinte brune, avec des ornements sombres; le feutre servait souvent de coiffure. Or, les Allemands ne pouvaient guère prétendre connaître toutes ces variétés de tenue. On peut se demander dès lors ce que devenait la portée de la règle de la spécialité et de la fixité de l'uniforme? Cette diversité de tenue ne pouvait être, cependant, un motif sérieux pour refuser d'admettre ces corps comme belligérants. Depuis quand une nation est-elle obligée de mettre l'adversaire au courant des variétés de costumes de son armée? N'est-elle pas seule juge des uniformes à choisir et ne peut-elle pas les adopter en tout temps, quelque complexes qu'ils soient? Elle-mème sera d'ailleurs la première à souffrir de cette diversité.

1. La diversité des uniformes allemands est peu importante pour la coupe et même les teintes, sauf dans la cavalerie; elle réside plutôt dans de nombreux, mais infimes détails.

La blouse et le képi constituaient en réalité un équipement spécial adopté pour un grand nombre de combattants et auquel, seule, la mauvaise foi pouvait refuser le caractère d'uniforme'.

En se montrant de parti pris si sévères et en formulant cette exigence absolue du costume militaire', les autorités allemandes méconnaissaient, d'ailleurs, de mauvaise foi un principe consacré par la législation de leur propre pays.

1. Serrée d'ordinaire à la taille par le ceinturon du sabre-baïonnette, munie d'ornements, adoptée comme vêtement par des groupes considérables, pourquoi la blouse n'aurait-elle pas été un uniforme? Le plus souvent, celui-ci était complété par le képi et le pantalon à bande.

2. Voir au sujet des corps francs : Le Droit international de l'Europe par A.-G. HEFFTER, professeur à l'Université de Berlin, traduit par Jules BERGSON, 4 édition française, une note de P. Heinrich GEFFCKEN, p. 273, 276 et 277, tendant à justifier l'attitude prise par les Allemands à l'égard de nos corps francs et des gardes nationaux. Il s'attache d'abord à démontrer l'obligation de l'uniforme à laquelle, dit-il, ont contrevenu souvent nos gardes nationaux et nos francs-tireurs. Cet uniforme constitue, dit-il, le côté extérieur visible de l'autorisation du gouvernement dont il exige aussi la nécessité. « Pour remplir son but international, il faut que l'uniforme ait deux propriétés : la première, c'est d'être visible à une distance suffisante; la seconde, c'est que l'homme qui le porte en soit pour ainsi dire marqué, le signe distinctif devant être tel qu'il ne puisse ni s'enlever, ni se remettre facilement. » C'est toujours la théorie de T'obligation d'avoir un uniforme visible à l'œil normal et à portée de fusil. Quel arbitraire n'entraînera pas l'application de cette règle et quel arbitraire en fait n'a-t-elle pas entraîné? «Les francs-tireurs, ajoute-t-il, qui paraissaient dans le costume national des blouses bleues, ont souvent contrevenu a cette ordonnance ». Comment cela ? C'était généralement là l'uniforme (avec le képi) non pas des francs-tireurs, mais des gardes nationaux sédentaires, pour lesquels la force des circonstances rendait impossible l'uniforme complet. Si, d'ailleurs, l'uniforme avait été prescrit, c'était en grande partie dans un but d'ordre, de méthode, d'organisation militaire et pour empêcher toute confusion entre troupes de même nationalité. L'auteur veut bien avouer que lexigence par l'Allemagne d'une autorisation spéciale du gouvernement français pour chaque homme était un abus. Puis il critique la levée en masse qu'il regarde comme un fléau pour la nation qui Fordonne. Qu'importait anx Allemands? Si les combattants agissaient loyalement à leur égard, ils devaient les respecter. Etait-ce, comme le dit M. Geffeken, un appel à l'assassinat que cette circulaire du préfet de la Côte-d'Or adressée aux populations le 21 novembre 1870 et ainsi conçue : « La patrie ne vous demande pas de vous réunir en masse et de vous opposer ouvertement à l'ennemi; elle attend de vous que chaque matin trois ou quatre hommes résolus partent de la commune et se portent à un endroit désigné par la nature elle-même, d'où ils puissent tirer sans danger sur les Prussiens »? C'était simplement l'invitation à la guerre de partisans ; si elle était faite sans félonie, avant toute occupation acceptée, elle était absolument légitime ; il était rationnel que des gens qui

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