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Il est bon, en effet, de rappeler les termes de la fameuse ordonnance sur la landsturm promulguée en 1813 par le roi Frédéric-Guillaume III de Prusse.

«Préambule. A l'approche de l'ennemi, les masses de la landsturm doivent emmener tous les habitants du village avec leurs bestiaux et leurs effets, emporter ou détruire les farines, les grains, faire couler les tonneaux, combler les puits, couper les ponts, incendier les moissons approchant de la maturité. L'Etat indemnisera les citoyens après la retraite de l'ennemi...

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Article 1er. Chaque citoyen est tenu de s'opposer aux ordres de l'ennemi et à leur exécution, de quelque nature qu'ils soient, de braver ses défenses, et de nuire à ses projets par tous les moyens possibles.

Article 5.

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Chaque citoyen qui n'est pas en face de l'ennemi ou n'appartient pas à la landwehr doit se considérer comme faisant partie de la landsturm quand l'occasion s'en présente.

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Article 7. En cas de convocation de la landsturm, le combat est une nécessité, une défense légitime qui autorise et sanctionne tous les moyens. Les plus difficiles sont les meilleurs, car ce sont ceux qui servent de la façon la plus efficace une cause juste et sacrée.

Article 8. La landsturm a donc pour destination spéciale de couper à l'ennemi ses chemins ou sa retraite, de le tenir sans cesse en éveil, d'intercepter ses munitions, ses

n'appartenaient pas d'ailleurs aux levées régulières cherchassent, en servant la Patric, a éviter autant que possible la lutte ouverte, dangereuse et trop inégale pour eux. Nest-ce pas une règle élémentaire de la guerre que celle qui prescrit de faire le plus de mal possible à l'adversaire, sans souffrir soi-même, pourvu que l'action soit loyale? Or, ce n'est pas manquer à la loyauté qu'agir par surprise et par ruse simple. Geffcken rappelle enfin que Masséna faisait fusiller en 1810 comme assassins et voleurs les paysans portugais de l'Ordenanza, commandés par des officiers payés et agissant sous les lois militaires. Ces hommes sans uniforme étaient, dit l'auteur, des milices, et il s'associe à la protestation de Wellington. Mais qu'étaient-ce que la plupart des hommes fusillés par les Allemands en 1870 pour avoir été pris les armes à la main ? Des membres d'une milice, la garde nationale sédentaire, qui, le plus souvent, avaient un uniforme, rudimentaire, il est vrai. Cela a-t-il empêché les meurtres de Rambervillers et autres lieux.

approvisionnements, ses courriers, ses recrues; d'enlever ses ambulances, d'exécuter des coups de main pendant la nuit; en un mot de l'inquiéter, de le fatiguer, de le harceler sans relâche, de l'anéantir par troupes ou en détail, de quelque façon que ce soit....

Article 13.- La landsturm n'a ni uniforme, ni signes particuliers, car ces uniformes et ces signes serviraient à les faire reconnaître par l'ennemi et l'exposeraient aux persécu

tions. >>

Les Français, en 1870. comme le fait judicieusement remarquer M. J. Guelle, sont allés bien moins loin que les Prussiens en 1813, et cependant « on sait les réclamations et les clameurs de ces derniers. C'est le cas de dire, avec Moser, que parfois un souverain blame chez son ennemi des choses qu'au besoin il n'éprouve pas le moindre scrupule à faire lui-même. >>

La solution de l'ordonnance prussienne de 1813 était d'ailleurs légitime, sous cette réserve qu'elle ne semblait pas se préoccuper assez de certaines conditions qui doivent s'imposer à l'action du belligérant la guerre doit être loyale; il convient d'observer toujours le droit des gens, et de ne pas agir « de quelque façon que ce soit. »

Malgré son absence d'équité, l'ennemi s'arrêta en principe à l'exigence d'un costume déterminé et très visible. Par suite, les Allemands reconnurent en général comme belligérants, avec les soldats de marche, les mobiles et les mobilisés. Leurs décisions furent plus incertaines à l'égard des gardes nationaux et des francs-tireurs imparfaitement ou capricieusement équipés. Ceux qui souffrirent le plus de leur brutatalité furent les malheureux gardes nationaux sédentaires de nos campagnes, dont l'uniforme était assez rudimentaire ; ils furent plus éprouvés encore que les francs-tireurs portant généralement un uniforme complet, quoique souvent fort étrange.

1. J. GUELLE. Précis des lois de la guerre sur terre, I. p. 83.

Les exécutions furent tout à fait hàtives. L'ennemi fusilla après un simple interrogatoire ou une courte constatation. Quelquefois l'acte fut encore plus brutal: on exécutait l'individu sans désemparer. Il y eut rarement une forme de procès. Toutefois, pour quelques-uns comme pour le garde national Vigneron, dont nous parlerons, et les paysans de Seveux dont nous avons dit quelques mots, l'ennemi rendit un jugement sommaire. La sentence concernant Vigneron fut même affichée.

Les francs-tireurs, lorsqu'ils eurent un uniforme très complet, furent, en principe, admis par les Allemands comme belligérants. Ceux-ci les respectèrent comme prisonniers quand ils tombèrent entre leurs mains. On pourrait citer, à l'appui de cette affirmation, de nombreux exemples. Ainsi, après la résistance du 18 octobre, à Châteaudun, 44 francs-tireurs de Paris, parmi lesquels le capitaine Loridan et le lieutenant Amaury, et 6 francs-tireurs de Cannes, furent pris par des troupes de la division von Wittich. Ils furent respectés et ⚫ emmenés comme prisonniers.

Il est vrai que c'était surtout contre les francs-tireurs, ces indépendants qui les génaient sans cesse dans leurs incursions, que les Allemands manifestaient leur haine. Ils proféraient sans cesse leur nom avec exécration'. Beaucoup d'entre eux furent fusillés dans l'exaspération des combats, comme à Varize, le 29 novembre; et çà et là un grand nombre de malheureux regardés à tort par l'ennemi comme francstireurs, furent massacrés, tels que certains mobiles des Vosges après le combat de Nompatelize. L'ennemi fusillait parfois nos volontaires pris isolément'; d'autres fois, il choi

1. Les Allemands disaient que « le métier de franc-tireur n'est pas autre chose que l'assassinat patenté ».

2. Bien plus, les francs-tireurs furent mis hors la loi par certaines proclamations, et selon la règle adoptée par nos ennemis, les communes furent responsables de leurs actes et même de leur simple présence. Voici un extrait d'une proclamation du général major Wenden, commandant la 3e division de réserve, datée de Boulzicourt, 10 décembre 1870 :

« Je préviens les habitants du pays que, selon les lois de la guerre (!). seront

sissait des victimes parmi les prisonniers ! Après le combat de Varize, pour citer un fait, une dizaine de francs-tireurs du bataillon Lipowski furent fusillés par les Allemands (29 novembre)'.

Il est peu de régions envahies qui n'aient été témoins d'actes de sauvagerie commis sur des francs-tireurs. Les faits de ce genre sont innombrables et l'un d'eux a eu dans notre Bourgogne un douloureux retentissement: le corps franc de Bourras, après avoir honorablement combattu dans les Vosges les troupes du XIVe corps d'armée allemand, avait reculé devant elles jusque dans la Côte-d'Or, où il continuait de leur faire une guerre sans trève d'escarmouches. A la fin de novembre 1870, il parcourait la chaîne des hauteurs au sud de Dijon. Le 20 novembre, un combat eut lieu à Nuits entre quelques-unes de ses compagnies et un parti badois. Les francs-tireurs furent bientôt contraints de battre en retraite. C'est alors que les Badois s'emparèrent d'un jeune homme de 18 ans, Léon Mesny de Boisseaux, d'Arbois (Jura), engagé volontaire dans le corps franc. Cet infortuné n'avait pu suivre ses camarades; il fut saisi par l'ennemi près de la route de Chaux, accablé d'outrages et de coups et entraîné vers le nord de Nuits pour un affreux supplice. Léon Mesny « fut conduit à une demi-lieue de là, sur la route de Dijon, derrière le jardin anglais... Il marchait sous les coups de crosse et les coups de sabre, sous les

responsables toutes les communes sur le territoire desquelles les délits prévus auront lieu.

Les maires des endroits dans les environs doivent prévenir le commandant du détachement prussien le plus près, sitôt que les francs-tireurs se montrent dans leurs communes.

«Selon la même loi, toutes les maisons et villages qui donneront abri aux francs-tireurs, sans que le maire donne la notice susdite et d'où les troupes allemandes séront attaquées, seront brûlés ou bombardés ».

Pourtant, malgré ces faits et ce texte, il est vrai de dire qu'en principe Tennemi respecta les francs-tireurs prisonniers.

L'ennemi exigeant une autorisation officielle pour les corps francs, deux decrets, l'un du 29 septembre 1870, l'autre du 11 octobre 1870, ordonnèrent que tous les corps francs ou volontaires seraient spécialement rattachés á un corps d'armée en service ou à une division militaire territoriale, et devraient opérer conformément à leur direction supérieure officielle.

1. GRENEST. L'Armée de la Loire, I, 299, 300.

injures et les crachats, râlant, brisé, la figure déchirée, sanglant... A la fin, Mesny tomba. Alors longuement, lentement, avec des hourras de cannibales, les soudards teutons lardèrent à coups de baïonnette cette chair palpitante, jusqu'à ce que, froide et rigide, elle ne fut plus qu'un cadavre portant 38 blessures, avec la tête presque séparée du tronc1».

A la nouvelle de cet acte infàme, Bourras écrivit au général de Werder, à Dijon, la lettre suivante:

« Monsieur le général,

« J'ai l'honneur de porter à votre connaissance ur fait <«< indigne de toute nation civilisée, qui s'est passé hier à << Nuits.

«Le franc-tireur Mesny, d'Arbois (Jura), harassé, fatigué, « n'a pu suivre ses camarades et a été fait prisonnier. Le <«< chef badois dont je ne connais pas le grade, l'a amené à la « place où un cavalier badois avait été blessé le matin et l'a «fait fusiller après l'avoir taillé à coups de sabre. Cet offi<«cier a commis une action d'autant plus honteuse, qu'avant « de la commettre il s'était informé de la manière dont on « avait traité le blessé badois le matin et qu'il savait perti« nemment qu'il avait été parfaitement soigné.

« J'aime à espérer que cet acte est un fait isolé et que vous « en ferez faire promptement justice. »

Hélas! non, le martyre de Léon Mesny ne fut pas un fait isolé. La protestation du commandant Bourras n'eut pas le don, d'ailleurs, d'émouvoir beaucoup le général allemand. Voici sa réponse :

« Au commandant du corps franc des Vosges, l'honorable «M. Bourras, à Nuits.

« Je viens de recevoir votre honorée lettre de ce jour, et « je réponds à cet égard qu'il n'y a aucun ordre de fusiller « quelqu'un surtout prisonnier, quoiqu'il appartienne à un « corps franc.

1. Ch. REMOND. Les batailles de Nuits, 2 édition, p. 11 et 12.

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