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arrive bien à saisir quelque chose de la réalité, si elle ne saisit pas tout, puisque les manifestations du monde extérieur qui sont spéciales à notre sens de la vue se révèlent être d'une nature indépendante des données de la vue. Il existe, en effet, d'autres rayons que les rayons lumineux visibles, et tous obéissent aux même lois. Newton avait séparé les unes des autres les radiations visibles de diverses couleurs : Fresnel a montré que ces couleurs diverses sont des notes ne différant que par leur nombre de vibrations, c'est-à-dire par leur hauteur du rouge au violet, il y a l'intervalle d'une quinte. C'est tout ce que notre œil perçoit : tandis que notre oreille est sensible à des notes échelonnées sur sept ou huit octaves, notre œil ne perçoit pas une octave entière de vibrations de l'éther. Mais il ne s'ensuit pas qu'il n'y ait que ces notes visibles dans le clavier infiniment riche des vibrations que nous envoient le soleil ou les sources de lumière. La découverte de ce clavier est bien l'œuvre du XIXe siècle. William Herschel aperçoit, en 1801, les rayons calorifiques infrarouges; ce sont les notes trop graves pour notre rétine ; l'année suivante, en 1802, Wollaston trouve les notes aiguës, les radiations ultra-violettes, capables d'agir sur certains composés chimiques : il inaugure par là un chapitre nouveau d'optique, la photochimie, d'où Niepce et Daguerre feront sortir la photographie.

L'éther lumineux peut donc transmettre autre chose que de la lumière Il transmet de l'énergie vibratoire par rayon. nement. S'il y a plus de 500 trillions et moins de 800 trillions de vibrations à la seconde, cette énergie exerce une action toute spéciale sur notre rétine : nous la voyons. Mais trop de lenteur ou trop de vitesse dans la vibration « empêche la vue », comme eut dit Pascal. Plus lente, elle échauffe le thermomètre: plus rapide, elle décompose les sels d'argent. Dans les notes graves, l'Américain Langley et ses élèves ont ajouté deux ou trois octaves: il ne reste plus qu'un vide de deux ou trois octaves inexplorées pour rejoindre les vibrations électromagnétiques de Hertz. Dans les notes aiguës, l'on connaît aussi une ou deux octaves de vibrations ultra

violettes; et par delà un intervalle inconnu encore, l'on trouve les notes suraiguës, infiniment plus rapides que les radiations visibles, apportées par ces rayons auxquels la prudence et la modestie de Roentgen ont donné le nom de rayons X.

Comment mettre l'éther en vibration ? Hertz, inspiré des beaux travaux de Thomson (lord Kelvin) sur les oscillations électriques, nous a enseigné à produire les vibrations électromagnétiques. A l'autre bout du clavier, nous voyons les rayons X naître dans les tubes à gaz raréfiés traversés par le courant de la bobine d'induction. L'électrode négative, exemple caractéristique de la différence des actions qu'exercent sur la matière les deux espèces d'électricité, — appelle à soi les particules gazeuses restées dans le tube, et les repousse en ligne droite après leur avoir communiqué sa charge négative : à ce flux matériel, qui a fait l'objet de travaux importants et de vives controverses on a donné le nom, assez mal choisi, de rayons cathodiques : l'Anglais Crookes y voyait avec raison une émission de matière, tandis que la plupart des physiciens allemands y voulaient voir une ondulation de l'éther; mais ici c'est la doctrine de l'émission et l'école anglaise qui a triomphé. En venant heurter le premier obstacle qu'ils rencontrent, les projectiles cathodiques impriment à l'éther un ébranlement qui donne les rayons de Roentgen.

Mais lorsqu'il s'agit des vibrations de hauteur moyenne, des vibrations lumineuses, les plus intéressantes pour nous en somme, notre embarras est bien plus grand. Nous ne savons guère mettre l'éther en branle pour les produire, qu'en chauffant des corps matériels, — procédé barbare en vérité et qui ne donne en énergie utilement rayonnée qu'un rendement ridicule, que les progrès de l'éclairage n'ont pas encore amélioré notablement. Du moins avons-nous acquis des données précieuses sur le rapport qui existe entre la lumière émise et la matière qu'on a chauffée. Les lumières des solides et des liquides portés à l'incandescence se ressemblent toutes, plus blanches si le corps est plus chaud, plus rouges s'il est

moins chaud. Un gaz ou une vapeur incandescents se reconnaissent au contraire à la nature des rayons qu'ils nous envoient. Une lampe à alcool salé donne une lumière jaune : il en est ainsi de toute flamme qui contient du sodium en vapeur. Et la lumière qu'un corps a pu émettre, le même corps est capable de l'absorber : la même flamme salée, mise sur le trajet du faisceau éblouissant qui vient de l'arc électrique, arrête, dans ce faisceau blanc, les rayons jaunes; et le spectre de l'arc présente une raie noire là où l'alcool salé avait donné une raie jaune brillante. Par cette expérience du renversement des raies, Kirchhoff et Bunsen, en 1860, expliquèrent les raies noires qu'avaient aperçues Wollaston et qu'avait décrites Frauenhofer dans le spectre solaire. Ces raies prouvent qu'il y a dans le soleil du sodium, du fer et de l'hydrogène, comme sur la terre. Les mêmes corps simples, peu nombreux, ont suffi à former tous les astres de l'univers. Entre les mains des deux savants de Heidelberg. le spectroscope devint un réactif merveilleusement sensible pour déceler la présence de traces de corps connus, et pour découvrir des corps simples inconnus.

Du spectroscope, Fizeau se servit encore pour mesurer la vitesse des étoiles,—de ces étoiles dont Kirchhoff et Bunsen faisaient, sans sortir de leur laboratoire, l'analyse chimique; les notes lumineuses qui nous arrivent des astres varient un peu de hauteur suivant que ces astres s'éloignent ou se rapprochent, comme le sifflet d'une locomotive est un peu plus aigu quand elle vient vers nous que quand elle s'en va. C'est là le principe de Fizeau, qui s'est montré si fécond en astronomie. Il a permis de distinguer, dans le spectre solaire, les raies solaires des raies telluriques, dues à l'absorption par l'atmosphère terrestre. Il n'est pourtant que l'observation d'une apparence : le mouvement d'une source de lumière ne fait pas varier la hauteur réclle de ses vibrations. C'est au contraire une variation de la période vibratoire, un changement réel de ton, qu'a observé Zeeman en mettant la flamme lumineuse dans un champ magnétique intense, comme si les molécules incandescentes, à la façon des particules qui

forment les rayons cathodiques, étaient bien des corps chargés d'électricité dont le magnétisme dérangerait le mouvement pour l'accélérer ou le ralentir. En s'attachant aux phénomènes si curieux de phosphorescence et de fluorescence, dans son beau livre de la Lumière, Edmond Becquerel avait pressenti quel jour pourrait jeter sur les relations entre l'éther et la matière l'étude de la genèse des radiations lumineuses ou invisibles. Cette étude est loin d'être achevée, et les rayons de l'uranium, découverts par Henri Becquerel, paraissent avoir, de toutes les radiations, l'origine la plus mystérieuse.

L'éther remplit le vide. Il est répandu dans les interstices moléculaires de tous les corps, opaques ou transparents. II n'a pas de poids, au sens ordinaire du mot. N'est-il pas entrainé par le mouvement de la terre? Dans un courant d'eau rapide, la lumière ne va pas tout à fait aussi vite, un peu plus ou un peu moins vite, suivant le sens du courant, que dans l'eau tranquille : l'expérience est due à Fizeau. Dans quelle mesure y a-t-il de même entraînement de l'éther par la matière des astres? C'est un sujet sur lequel le dernier mot n'est pas dit. Ce milieu, partiellement entraîné, ne semble pourtant pas provoquer des frottements qui ralentiraient à la longue le mouvement des planètes. Ne serait-ce pas lui encore qui transmettrait d'un corps céleste à un autre l'attraction universelle? Les tendances de la physique contemporaine inclineraient à l'admettre, mais on n'a pour s'arrêter à cette idée que des raisons de sentiment. Tout ce qu'on peut affirmer, c'est que, si l'attraction mettait comme la lumière ou la chaleur un temps fini pour se propager, sa vitesse devrait être incomparablement plus grande que la vitesse de la lumière.

Il serait aisé de rendre plus longue, en ce qui concerne la nature de l'éther, cette « revue de notre ignorance », suivant la pittoresque expression qu'employait un jour lord Salisbury. Si nous essayons de nous figurer ce que peut être l'élasticité d'un pareil milieu, nous tombons de contradictions en contradictions. Mais cela ne doit pas nous empêcher

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de regarder comme démontrée par la physique du XIXe siècle l'étroite liaison des phénomènes de l'éther. — électriques, magnétiques et lumineux, — et la parenté des radiations de toute sorte, invisibles ou visibles- qui sillonnent l'espace

en tous sens.

LA PHYSIQUE DE LA MATIÈRE PHYSIQUE MOLÉCULAIRE

ET CHIMIE

L'étude des propriétés de la matière est devenue, dans notre siècle, incomparablement plus minutieuse et plus précise. Elle a conduit souvent à des résultats qu'on ne peut réduire en formules simples elle a montré que certaines lois, admises comme absolues, ne sont qu'approchées; ses conclusions ont pu surprendre et scandaliser quelques physiciens, trop enclins à se faire une étroite idée de la « simplicité des lois de la nature », oublieux que la nature, suivant le mot de Fresnel, recherche la simplicité des moyens, mais ignore les difficultés d'analyse. C'est ainsi que les longs et patients travaux de Regnault ont montré que les gaz compressibles obéissent à une loi plus compliquée que la loi de Mariotte à ceux qui seraient portés à le regretter, on n'a qu'à dire que les nombres mêmes de Regnault sont la base solide sur laquelle se sont appuyées les premières preuves précises des conséquences de la thermodynamique. Une œuvre qui apparut à quelques-uns comme destructive a donc fourni des matériaux pour construire.

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La matière existe sous trois états: solide, liquide, gazeux. Au début du siècle, nombreux étaient les corps solides qu'on n'avait pu fondre et volatiliser, nombreux les gaz qu'on n'avait pas liquéfiés et solidifiés. Il n'y a plus aujourd'hui ni solide réfractaire, ni gaz permanent. Sainte-Claire Deville a fondu en grandes masses le platine et l'iridium; Moissan a pu fondre le charbon sous pression et reproduire le diamant. Faraday appliqua sa méthode de liquéfaction des gaz au chlore et à l'hydrogène sulfuré. En 1878. Cailletet en

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