Page images
PDF
EPUB

mer. Berthollet se trompait, mais ne se trompait qu'à demi : et de son erreur féconde devait sortir la chimie physique. En ces mêmes années, le courant électrique, instrument nouveau, décomposait les substances les plus stables, et donnait à Davy les métaux alcalins.

En 1801, Herschel découvre les rayons calorifiques du spectre solaire, les premiers en date de ces rayons invisibles qui marchent comme des rayons lumineux, et n'en diffèrent qu'en ce que notre œil ne les perçoit pas. En 1802, Thomas Young, rompant avec la théorie newtonienne de l'émission, apportait à la doctrine qui voit dans la lumière un mouvement ondulatoire propagé à travers l'espace, un argument capital avec de la lumière ajoutée à de la lumière, il faisait de l'obscurité; c'est le phénomène des interférences, que Fresnel devait retrouver, en 1816, dans sa célèbre expérience des miroirs. En 1808, Malus découvre les propriétés de la lumière polarisée. Arago trouve la polarisation rotatoire en 1811. De 1816 à 1822, Fresnel entreprendra l'explication de tous ces faits, il les assemblera dans une magnifique synthèse, et assiéra sur des bases solides la théorie des ondulations lumineuses. Fizeau et Foucault mesureront directement, en 1849, la vitesse de la lumière dans l'air et dans l'eau : et cette comparaison décisive portera le dernier coup à la doctrine de l'émission.

Cependant Erstedt reconnaît, en 1819, que le courant électrique agit sur l'aiguille aimantée. Ampère apprend cette expérience à Genève : il en devine du premier coup les conséquences les plus lointaines : en quelques semaines il a fondé toute une science, l'électrodynamique. Avec Arago, il crée l'outil essentiel de toute communication électrique à distance. qu'il s'agisse de transport de la force ou de transport de la pensée : l'électro-aimant. Après avoir trouvé les mouvements que produisent les courants, il reste, pour fonder l'électricité moderne, à trouver la production des courants par le mouvement : ce sera l'œuvre de Faraday, qui observe en 1832 les phénomènes d'induction.

Au cours des années 1842 et 1843, Robert Mayer, Joule et

Colding arrivent séparément à reconnaître l'équivalence de la chaleur et du travail. Helmholtz généralise leurs conclusions et proclame, dans son écrit de 1847, le principe de la conservation de l'énergie. Deux ans après. Clausius et lord Kelvin, chacun de leur côté, éclairent à la lumière de ce principe nouveau les « Réflexions sur la puissance motrice du feu » qu'avait publiées, en 1821. Sadi Carnot; et ils en tirent le second des grands principes qui régissent les transformations de l'énergie, le principe de la dégradation de l'énergie ou principe de Carnot.

De ces découvertes, la seconde moitié du XIXe siècle a surtout développé les conséquences: elle a moins profondément renouvelé et bouleversé les idées. Elle a vu, pourtant, s'accomplir les grandes synthèses des substances organiques, une œuvre où les travaux de Berthelot tiennent la première place; elle a vu la découverte de la dissociation par SainteClaire Deville renverser la barrière entre la chimie et la physique : elle a vu enfin Maxwell annoncer, Hertz réaliser des rayons de force électrique qui se propagent dans l'air avec la vitesse des rayons lumineux, et leur sont tellement semblables en toutes leurs propriétés qu'on a pu regarder la lumière même comme un phénomène électrique d'un genre spécial. A cette gamme déjà si riche de rayons électriques, calorifiques, lumineux. devaient s'adjoindre, à la fin du siècle, les mystérieux rayons de Roentgen de Becquerel.

[ocr errors]

au sens

On peut dire que les conquêtes de la physique, le plus général de ce mot, se sont faites dans deux domaines, le domaine de la matière et le domaine de l'éther. La physique moléculaire, la chimie proprement dite, la physico-chimie ou chimie physique, nous ont apporté sur la matière et sur les divers genres de matières, des données précieuses. L'électricité, l'optique, la chaleur rayonnante nous ont amenés à concevoir un milieu qui existe jusque dans le vide, et dont l'élasticité, quelle qu'en puisse être la structure intime, en fait l'agent de transmission de la lumière et de la chaleur, l'agent de radiation de l'énergie: c'est ce

milieu qu'on nomme l'éther. Sur la nature de l'éther, nous ne sommes pas plus avancés que sur la nature de la matière. Mais sur la liaison entre les phénomènes dont l'éther est le siège, nous avons acquis, au cours du XIXe siècle, des notions importantes et qui paraissent définitives. Les relations entre la matière et l'éther sont, par-dessus tout, ce qui reste « le grand mystère »: les découvertes récentes qui ont redonné au siècle finissant quelque chose de l'activité créatrice du siècle commençant, ont peut-être soulevé un coin du voile, mais le mystère n'est pas encore éclairci.

Indépendamment des applications qui ont transformé la vie et les relations des hommes, la physique du XIXe siècle laisse, comme le lot le plus précieux de son héritage, quelques principes d'une haute portée philosophique, et qui, de plus en plus, feront partie intégrante de l'esprit humain, lois très générales dans l'énoncé desquelles n'entre rien de spécifique, et qui font apercevoir entre les phénomènes déjà connus et les phénomènes plus nombreux que notre siècle a découverts, des liaisons inattendues électricité et optique, chimie et mécanique, physique de l'éther et physique de la matière, tout est soumis à ces lois qui régissent les transformations de l'énergie: ce sont les principes de la thermodynamique, ou encore de la science de l'énergie, de l'énergétique. Sans être explicatifs, au sens métaphysique du mot, ces principes éclairent l'histoire du monde matériel, en réduisant dans une proportion énorme le nombre des faits contingents. Certains faits réels seront toujours conçus par l'esprit humain comme ayant pu être autres qu'ils ne sont. Quelle que soit la théorie admise pour la formation de la terre, il eût pu y avoir une terre détachée de la nébuleuse primitive et pour laquelle les contours du continent américain eussent été différents des contours de notre Amérique. Pourquoi cette forme et non une autre? Il ne semble pas possible de rattacher ce fait contingent à d'autres faits antérieurs dont le groupement ne présente pas déjà quelque chose de contingent. Mais la forme du golfe du Mexique une fois donnée, l'existence du Gulf-Stream et la nature du cli

mat de l'Europe en résultent comme des conséquences inévitables. Le rôle de la science est justement de révéler ces rapports nécessaires entre des faits contingents.

A cet égard, aucun progrès antérieur des sciences physiques ne saurait être comparé à la découverte des deux principes de la thermodynamique. On peut aller plus loin, et, sans être taxé de présomption, prédire qu'à l'avenir on ne trouvera pas de nouveaux principes qui leur soient comparables en portée et en généralité. Sans doute nous ignorons beaucoup, et bien plus que nous ne savons ; il nous reste bien plus à connaître que nous ne connaissons déjà sur la nature des corps simples, sur les rapports de l'éther et de la matière. Mais il n'y a certainement pas, dominant le monde, un nombre indéfini de grandes lois comparables aux principes de la science de l'énergie: une fois ces lois reconnues, quelque chose d'acquis existe qui n'est pas susceptible de progrès ultérieur. Si nous n'avons pas scruté tous les mystères, notre vue générale du monde physique s'est éclairée, les grandes avenues de la physique future sont esquissées.

Après avoir passé en revue les principales acquisitions de la physique de l'éther et celles de la physique de la matière, dans notre siècle, nous nous proposons de montrer en quelques mots la portée de ces principes directeurs.

LA PHYSIQUE DE L'ÉTHER: L'ÉLECTRICITÉ ET LA LUMIÈRE

Dans tous les phénomènes que présente la nature inanimée, nous sommes habitués aujourd'hui à ne voir que des transformations d'énergie. La machine à vapeur nous montre l'énergie chimique contenue en réserve dans le charbon passant à l'état d'énergie calorifique, pour fournir en fin de compte de l'énergie mécanique. Toutes ces formes d'énergie étaient connues avant notre siècle. Sans doute,après nous l'on en découvrira d'autres qui sont entièrement insoupçonnées à l'heure présente. Mais il est une de ces formes d'énergie que notre siècle a presque vue naître, et qui est la plus sou

ple, la plus aisée à transporter et à transformer, la plus commode et la plus pratique qui soit : c'est l'énergie électrique. Le siècle qui s'ouvre sur l'invention de la pile et qui se ferme sur l'étude passionnée des rayons cathodiques et des rayons de Roentgen, n'est-il pas le siècle de l'électricité?

« Je désire donner en encouragement une somme de 60,000 francs à celui qui, par ses expériences et ses découvertes, fera faire à l'électricité et au galvanisme un pas comparable à celui qu'ont fait faire à ces sciences Franklin et Volta, mon but spécial étant d'encourager et de fixer l'attention des physiciens sur cette partie de la physique, qui est, à mon sens, le chemin des grandes découvertes. »

Tel est l'avis qué faisait insérer dans le Moniteur, Bonaparte, premier consul et membre de l'Institut. André Ampère, professeur au lycée de Bourg, se promettait bien de gagner le prix « quand il en aurait le temps ». Mais « les lois d'Ampère» sur l'électrodynamique ne sont venues qu'en 1820; le prix était depuis longtemps attribué à Humphry Davy pour la décomposition de la potasse et de la soude par le courant.

«Le courant électrique », c'est Ampère, en 1820, qui a créé l'expression. En 1819, Œrstedt parle encore de conflit électrique. Mais quel que puisse être le nom, la chose existe depuis Volta. Avant 1800, avant Volta, l'on avait simplement des corps électrisés. L'électricité statique est bien la science du XVIIe siècle, la science de Franklin qui établit que la foudre n'est qu'une étincelle :

Eripuit cælo fulmen, sceprtumque tyrannis,

la science de Coulomb, qui montre que les corps électrisés s'attirent et se repoussent suivant la même loi qu'avait trouvée Newton pour les corps célestes. En réunissant par un fil métallique continu les deux pôles de sa pile, Volta fit quelque chose de profondément nouveau. Que l'on coupe ce fil et qu'on en plonge les deux bouts dans un vase plein d'eau acidulée, l'eau se décompose : l'expérience est faite en An

« PreviousContinue »