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giner l'indépendance de l'engagiste. Jean de Thierstein avait prévu qu'il pourrait être troublé dans sa possession par les ennemis de l'Autriche. Il avait exigé du duc Frédéric la promesse de l'indemniser de tout dommage. Si l'indemnité ne lui était pas payée, pour quelque motif que ce fût, il s'était réservé le droit de s'attaquer aux pays et aux gens de la Maison d'Autriche, de les molester de toute manière jusqu'au moment où il aurait obtenu satisfaction 1. Vit-on jamais un contrat de droit privé renfermer une disposition aussi exorbitante? Seul l'esprit féodal, persistant en plein xv° siècle dans son insolence et sa brutalité premières, explique comment une lettre de gage pouvait proclamer le droit d'un créancier de se faire justice à lui-même par la guerre privée.

Puisque la gagerie était un fief, il s'ensuivait encore que, pour être engagiste, il fallait avoir la capacité féodale. Jean de Wahlbach n'était qu'un bourgeois de Bâle. Mais cette capacité était l'un des priviléges que les empereurs avaient accordés aux citoyens de la ville épiscopale'. Au demeurant, la seigneurie ne fit que passer dans les mains de ce bourgeois. Dès la fin du XIVe siècle, les ducs voulaient de la noblesse, et de la meilleure, pour tenir leurs gageries. Ce raffinement leur coûta cher, car il donna à la seigneurie pour maîtres les Thierstein.

2° Florimont sous les Thierstein.

Le premier souci des nouveaux seigneurs fut de s'entourer d'hommes qui leur ressemblaient et qu'ils destinèrent à être les exécuteurs dociles de leurs volontés. De l'époque des Thiertein date une série de châtelains aussi agités, aussi violents que leurs maîtres; Renaud, le bâtard de Thierstein, dont les folles chevauchées et les pillages en pays bourguignon

1. P. J., 11 (1421, 16 avril, 13').

2. UB. Basel, I, 111, (1227); II, 432 (1274), 144 (1298).

excitaient encore, plus de trente ans après, les plaintes de Philippe le Bon; et Jean-Henri de Spechbach qui valut à son maître, par sa participation à la bataille de Saint-Jacques, le cartel de la ville de Bâle. Avec de tels hommes, on est loin du pacifique, bon et pieux chevalier Renaud de Delle. En même temps, les titulaires du fief castral se voyaient déchargés du soin de défendre le château. Leur fief n'était plus qu'une sinécure. Une garnison nouvelle dans la main du seigneur prenait leur place. Des aventuriers de tous pays. épaves des invasions des compagnies et des Armagnacs, en fournissaient les éléments. Ivrognes, voraces et grossiers, ils avaient bien d'autres défauts'. Dressés à surveiller sans relâche les chemins, soit de quelque embuscade, soit du haut du donjon, pour arrêter tout ce qui serait de bonne prise, compagnons ordinaires des courses de leurs maîtres, ils semaient 'eur route de pillages, d'incendies et de meurtres. La renommée les accusait d'être bons à tout faire. Au temps de Bernard de Thierstein, Bâle les dénonçait au grand bailli du landgraviat pour crime de fausse monnaie. Le comte n'essayait point d'une justification. Il menaçait la ville de sa colère et de celle de ses amis, la forçait à rétracter sa plainte, et, devant ses excuses, renonçait, pour lui et ses fidèles, à venger cette grave atteinte à son honneur. Ainsi armés, les Thierstein ne devaient ménager personne, mais leurs suzerains allaient être les premières victimes de leurs violences.

1. Sur les dépenses de bouche de la garnison de Florimont, v. P. J., 22 (1425, 14 avril-1426, 15 juin); 47 (1469), II, p. 113, n. 1.

2. Als by etwas zites verloffen ein knecht gevangen was ze Basel von valsches silbers wegen, der geseit solt han das in unser veste ze Blumenberg das selbe silber von etlichen unsern knechten gemachet solt sin worden (UB. Basel, V, 164, 1391, 5 août).

3. An unser ere groesselich gegangen. Au siècle précédent Fribourg en Vechtland avait éprouvé que s'attaquer aux Thierstein était chose périlleuse. Le comte Otton revenait d'un tournoi qui avait eu lieu à Berne. Les gens de Fribourg lui prirent des chevaux, des harnais, des vêtements, et emmenèrent en captivité plusieurs de ses varlets (Knechte. Fontes rerum bernensium V1, 568, 1340). Les représailles du comte forcèrent la bourgeoisie à lui payer une indemnité (582, 1341).

I

Dès le commencement du xve siècle, ils se prenaient de querelle avec Léopold le Superbe et Catherine de Bourgogne. La fille de Philippe le Hardi, se fondant sur la charte de 1387, qui mettait Florimont au nombre des seigneuries affectées à sa rente dotale, avait-elle usé du droit de rachat prévu dans cet acte 1? Bernard refusait-il de recevoir son dû pour conserver le gage, ou parce qu'il ne trouvait point suffisante la somme qui lui était offerte? ou bien le différend avait-il surgi à l'occasion de l'abandon du droit d'angal à la bourgeoisie de Florimont? Catherine avait agi d'elle-même, sans prendre l'avis de ses conseillers. Il y avait là, en effet, un acte qui outrepassait les pouvoirs réservés à l'Autriche dans la seigneurie. Par le contrat de gage Bernard avait acquis en masse les droits seigneuriaux, et, depuis, à deux reprises, en faisant renouveler ses titres et en revendiquant certains droits comme une dépendance naturelle du gage, il avait montré à ses suzerains la sollicitude ombrageuse avec laquelle il veillait sur son fief '.

Bernard, soutenu par son frère Jean, se rendit coupable envers ses maîtres de certains torts dont les textes ne nous font pas connaître la nature. Il refusa la réparation, alléguant sans doute qu'il était dans son droit. Il encourait la commise. Leopold et Catherine emportèrent, par une de ces surprises qui étaient à peu près toute la tactique de ce temps, Florimont, et Delle qu'il tenait également en gage'. Aussi

I. P. J., 3, les conventions matrimoniales de Léopold le Superbe et de Catherine de Bourgogne, II, p. 17.

2 Domina ducissa per se (P. J., 8 1404, 26 fév.).

3. P., J., 4 (1399, 19 août): 6 (1400, 31 déc.).

4 UB. Basel, V, 353 (1407, 24 janv.).

5. [Bernhart von Tierstein] bekriegete Lútpolten von Oesterrich und sin wip, die hertzogin, die im hattent genomen die vesti Bluomberg und Dattenriet (Ròteler Chronik, Basl. Chron., V. p. 135).

tôt les deux Thierstein partirent en guerre contre leurs suzerains. Les courses en pays autrichien, les pillages, les incendies commencèrent, et, par une erreur que l'aveuglement de la colère et l'ardeur de la vengeance expliquent mal, atteignirent des bourgeois et des sujets de Bâle. La ville, menacée depuis longtemps dans son commerce et dans ses libertés par l'Autriche, vivait alors avec sa dangereuse voisine sur le pied d'une amitié plus apparente que réelle1. Mais elle avait autrefois offensé gravement le comte Bernard, et elle venait d'établir chez elle le régime plébéien. Elle répondit à cette agression en instituant la commission des IX, composée en majorité d'hommes des tribus, qu'elle chargea de préparer la guerre. Peu après, les Thierstein conclurent une trêve avec Léopold, qui, de son côté, avait hâte de partir pour l'Autriche.

Au mois de juin 1406, soit que l'armistice eût pris fin, soit que les Thierstein n'eussent attendu que le départ de leur suzerain pour rompre les trêves, les hostilités recommencèrent. Maximin de Ribeaupierre, que Léopold, déjà sur la route de Vienne, avait nommé grand bailli de la HauteAlsace, renforça hâtivement les garnisons du Sundgau '. Les chevaliers investis de fiefs castraux accoururent avec leurs

1. Le 17 février 1405. Bâle et Strasbourg concluaient un traité d'alliance pour la défense de leurs libertés municipales. Le même jour, elles se promettaient de ne se point allier avec l'Autriche aussi longtemps que durerait ce traité (UB. Basel, V, 331, 332). Les rapports corrects de Bâle et de l'Autriche remontaient à la bataille de Sempach. (Heusler, p. 297).

2. Als wir und die únsern jetzent und ze disen ziten wider recht, glimpf, bescheidenheit und mit unrechtem gewalt umbgezogen, ze kumber kosten und schaden an lib und an guot mit nome und gefengnisse bracht werdent (UB. Basel, V, 346, 1400, 20 mars). Les Thierstein ne sont pas nommés, mais on ne voit pas de quel autre côté ces agressions auraient pu venir. La commission des Ix était formée du maître-bourgeois, du maître général des tribus, d'un chevalier, de deux bourgeois, de deux conseillers et de deux maîtres des tribus (Heusler, p. 385).

3. Le 27 mai 1406, Léopold d'Autriche et Catherine de Bourgogne dataient de Fribourg-en-Brisgau l'acte qui nommait Maximin de Ribeaupierre leur bailli en Alsace. Deux jours après Catherine était à Neustadt dans la Forêt-Noire, et le 31 mai Léopold se trouvait à Gültlingen dans le Wurtemberg (Rappoltstein. UB., II, 713 a, 714, 715). Le séjour de Léopold en Autriche commença le mois suivant (Basl. Chron., IV, p. 23, n. 5).

varlets pour occuper les forteresses'. Cela n'arrêta pas les Thierstein. Ils répandirent de nouveau leurs bandes dans le pays, et recommencèrent leurs dévastations. Bâle seule allait en avoir raison.

Oubliant toujours qu'ils n'étaient pas en guerre avec la grande ville, les Thierstein avaient accumulé contre eux les motifs de plainte les plus sérieux : dommages aux gens et au territoire de la bourgeoisie; enlèvement de deux pauvres serviteurs de la duchesse dans la banlieue; retraits de fiefs contre ceux de leurs vassaux qui avaient le droit de cité; atteintes graves au commerce de Bâle. Ce crime surtout était impardonnable. Au commencement du mois de décembre 1406, le conseil de Bâle, averti que Bernard et Jean de Thierstein se trouvaient réunis avec leurs gens à Pfeffingen, résolut une surprise contre le château '. Toutes les forces de la ville se présentèrent brusquement sous les murs de la forteresse. L'armée se montait à plus de deux mille hommes, dont un grand nombre servaient pour obtenir le droit de bourgeoisie. Elle était commandée par le chevalier Arnold

1. Les hostilités étaient déjà rouvertes le 24 juin. On trouve à cette date dans un compte de Conrad Martin de Zofingue une dépense de 34 sous 6 deniers faite à Altkirch par le grand bailli Maximin de Ribeaupierre pour le damoiseau Thierry de la Wittenmule. Or, d'après un autre document, cette dépense eut lieu dans la guerre du comte Bernard de Thierstein. in grafe Bernharts von Tyerstein krieg (Rappoltstein. UB., II, 761, 1408, p. 578; III, 6, 1409, p. 5. 1. 40). Autre compte de Conrad Martin relatif aux déplacements du grand bailli Maximin de Ribeaupierre, commençant à la Pentecôte (30 mai) 1406. Sous la date du 21 juillet on lit ce qui suit : Item sin gesellen hant ză Phirt verzert 19 lib. 14 s., item vnd 21 vierdenzal habern, als er sine gesellen gen Phirt sant von Altkirch zu lantwer, als graff Bernhartz frid vs waz gangen (Rappoltstein. UB, II, 760, p. 575).

2. Land und lúte umb uns gelegen schedigetent, in dem si zwene knehte in unser banmile viengent, die der hertzogin worent, und uns damitte kouffe und merkt nidergeleit hattent (Chronikalien der rathsbücher, Basl. Chron., IV, p. 23). Pour le retrait des fiefs, v. UB. Basel, V, 349 (1406, nov. 6), p.362, 1.2. 3. Erat in castro Bernardus, comes de Tierstein, et Johannes de Tierstein, comes, cum ceteris suis adjutoribus (Grössere Basler Annalen, Basl. Chron., V, p. 39). — L'expédition partit de Bâle le vendredi 5 novembre 1406, commença le siége le même jour et rentra dans la nuit du dimanche 7. Pour le traité entre les comtes et les Bâlois v. UB. Basel, V, 349 (1406, 6 nov.).

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4. Le nombre des bourgeois sous les armes était fixé officiellement à dixhuit cents (Basl. Chron., IV, p. 185, n. 6). Il fallait ajouter un nombre variable de cavaliers du patriciat, de mercenaires et de volontaires.

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