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» Ces paroles et ce concert entre les gé-: néraux firent sur les esprits une impression 'telle que cet homme, accoutumé jusqu'alors à se regarder comme au-dessus de toutes les lois, se voyant soumis à celles de la nécessité,: se mit à verser un torrent de larmes. »

Bonaparte ayant consenti à souscrire l'acte d'abdication en faveur de son fils, Ney, Macdonald et Caulincourt, se chargèrent de porter à Paris çet acte, et de stipuler ses intérêts et ceux de sa dynastie auprès de l'empereur Alexandre.

Ils furent reçus par ce souverain dans la nuit du 5 avril, et ne négligèrent rien pour le décider en faveur de la régence. Alexandre penchait, dit-on, pour ce parti, mais il ne voulut pas se prononcer sans avoir entendu. les membres du gouvernement provisoire. Il les manda de suite près de lui, et discuta avec eux les considérations qui avaient été mises en avant par les négociateurs de Bonaparte.. Les hauts intérêts de la France et de l'Europe furent débattus dans cette conférence: le prince Talleyrand démontra tous les inconvéniens de la régence, le peu de stabilité qu'elle offrait, la certitude qu'on pouvait avoir. que Bonaparte conserverait toujours son in

fluence à l'aide de ce gouvernement, et la facilité qu'il aurait même d'en reprendre les rênes; il détruisit ensuite toutes les objections qu'on opposait au rétablissement des Bourbons, et, secondé par ses collègues, il réussit à convaincre l'empereur de Russie que le seul moyen d'assurer la tranquillité de l'Europe était d'élever une barrière aux idées d'usurpation, en proclamant la légitimité des trônes. A deux heures du matin les ambassadeurs de Bonaparte, introduits de nouveau, apprirent de la bouche même du czar que la cause de leur maître était perdue.

Ils retournèrent de suite à Fontainebleau ; le maréchal Ney entra le premier dans les appartemens du palais : « Avez-vous réussi? dit Bonaparte en l'apercevant. — En partie, Sire ; votre vie et votre liberté sont garanties, mais la régence n'est pas admise ; il était trop tard; le sénat reconnaîtra demain les Bourbons. Où me retirerai-je? lui demanda Bonaparte. -Où voudra Votre Majesté ; à l'île d'Elbe, par exemple, avec 6 millions de revenu. » Bonaparte choisit cette retraite, et la résignation qu'il montra est peut-être un motif de croire qu'il entrevoyait déjà l'espérance funeste de profiter du voisinage où cet exil le laissait de

ses anciens partisans pour troubler de nouveau la paix du monde.

Le maréchal Ney, se regardant alors comme extrêmement libre envers Bonaparte, écrivit au prince de Bénévent la lettre suivante;

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Monseigneur, je me suis rendu hier à » Paris avec M. le duc de Tarente et M. le » duc de Vicence, comme chargé de pleins >> pouvoirs pour défendre près de S. M. l'em>> pereur Alexandre les intérêts de la dynastie » de l'empereur Napoléon. Un événement » imprévu ayant tout-à-coup arrêté les négo»ciations, qui cependant semblaient pro>> mettre les plus heureux résultats, je vis dès» lors que, pour éviter à notre chère patrie » les maux affreux d'une guerre civile, il ne >> restait plus aux Français qu'à embrasser >> entièrement la cause de nos anciens rois; » et c'est pénétré de ce sentiment que je me >> suis rendu ce soir auprès de l'empereur » Napoléon pour lui manifester le vœu de la >> nation.

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L'Empereur, convaincu de la position >> critique où il a placé la France, et de l'impossibilité où il se trouve de la sauver lui» même, a paru se résigner et consentir à

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» l'abdication entière et sans aucune restric

» tion. C'est demain matin que j'espère qu'il >> m'en remettra lui-même l'acte formel et authentique ; aussitôt après j'aurai l'hon» neur d'aller voir votre altesse sérénissime. » Je suis avec respect, etc.

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Fontainebleau, 6 avril 1814, onze heures et demie du soir. »

Le 12 avril, M. le comte d'Artois, faisant son entrée à Paris, entouré de la foule immense qui avait été le chercher au château de Livry, on aperçut un groupe de maréchaux de France sortant des barrières pour venir au-devant de S. A. R.: « Monseigneur, » dit le maréchal Ney en portant la parole >> au nom de ses frères d'armes, nous avons » servi avec zèle un gouvernement qui nous >> commandait au nom de la France; V. A. R. » et S. M. verront avec quelle fidélité et avec quel dévouement nous saurons servir notre >> Roi légitime.

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Que de réflexions douloureuses fait naître l'histoire des hommes !

FIN DU PREMIER LIVRE.

LIVRE DEUXIEME.

Aux promesses de fidélité offertes par le maréchal Ney à M" le comte d'Artois au nom des maréchaux de France, S. A. R. avait répondu : « Messieurs, vous avez porté dans » les contrées les plus éloignées la gloire du >> nom français; à ce titre le Roi revendique >> tous vos exploits; tout ce qui a été fait » pour la France n'a jamais été étranger au » Roi. »

Ces expressions magnanimes furent généreusement confirmées par S. M. * A peine Louis XVIII fut-il assis sur le trône de ses pères, que les maréchaux de France se virent

* Le maréchal Ney était au nombre des maréchaux qui furent à Compiègne au- -devant de S. M. Il en fut reçu avec la plus grande bonté. C'est dans une des fréquentes visites qu'il était admis à lui faire, qu'il lui donna le conseil de choisir sa garde dans la garde impériale.

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