Page images
PDF
EPUB

Dans la matinée du 14, Ney, qui était déterminé à exécuter cet ordre, fit venir chez lui les lieutenans-généraux Lecourbe et de Bourmont. Là, soit qu'il voulût avoir leur avis sur la démarche à laquelle il allait se porter, soit qu'il n'eût d'autre intention que celle de les associer à sa faute, il leur répéta tout ce qui lui avait été dit dans la nuit par les émissaires de Bonaparte; leur communiqua la proclamation qu'ils lui avaient remise, et leur dit qu'il allait la publier. Comme les dépositions du maréchal et celles de MM. Lecourbe et de Bourmont sont entièrement opposées au sujet de cette entrevue, il ne nous est pas possible de dire quelle fut la conduite qu'ils y tinrent, et quels sentimens ils y manifestèrent. Mais s'ils n'approuvèrent pas ouvertement la résolution du maréchal, il paraît constant qu'ils ne firent pas de grands efforts pour l'en détourner; peut-être approcheraiton beaucoup de la vérité en disant qu'ils évitèrent de se prononcer, et qu'ils crurent devoir se tenir dans une réserve qui leur permît d'agir séparément, suivant leurs propres. idées.

Quoi qu'il en soit, le maréchal Ney or donna à M. de Bourmont d'aller faire ranger

les troupes en bataille; M. de Bourmont ayant exécuté cet ordre, revint quelques heures après chercher le maréchal qui, avec lui et le général Lecourbe, se rendit sur la grande place, où il lut aux troupes assem¬ blées la proclamation suivante :

[ocr errors]

ORDRE DU JOUR.

Le maréchal prince de la Moskowa aux troupes de son gouvernement.

[ocr errors]

Officiers, sous-officiers et soldats!

» La cause des Bourbons est à jamais per» due! La dynastie légitime que la nation française a adoptée va remonter sur le » trône : c'est à l'empereur Napoléon, notre souverain, qu'il appartient seul de régner » sur notre beau pays! Que la noblesse des » Bourbons prenne le parti de s'expatrier >> encore, ou qu'elle consente à vivre au mi» lieu de nous, que nous importe? La cause » sacrée de la liberté et de notre indépen» dance ne souffrira plus de leur funeste in>>fluence. Ils ont voulu avilir notre gloire

[ocr errors]

militaire; mais ils se sont trompés: cette gloire est le fruit de trop nobles travaux,

» pour que nous puissions jamais en perdre » le souvenir.

>>

>> Soldats! les tems ne sont plus où l'on gouvernait les peuples en étouffant tous » leurs droits; la liberté triomphe enfin, et Napoléon, notre auguste empereur, va l'affermir à jamais. Que désormais cette » cause si belle soit la nôtre et celle de tous » les Français! Que tous les braves que j'ai » l'honneur de commander se pénètrent de » cette grande vérité !

» Soldats! je vous ai souvent menés à la » victoire, maintenant je veux vous conduire » à cette phalange immortelle que l'empereur Napoléon conduit à Paris, et qui y sera sous » peu de jours; et là, notre espérance et > notre bonheur seront à jamais réalisés.

>>

» Vive l'empereur!

» Lons-le-Saulnier, le 14 mars 1815.

>>

» Le maréchal d'empire,

Signé prince DE LA MOSKOWA. »

FIN DU DEUXIEME LIVRE.

LIVRE TROISIÈME.

La plus belle partie de l'histoire

que nous écrivons est terminée. Cette estime de soi-même, qui fait trouver tant de charmes dans la gloire, est éteinte dans l'ame du maréchal. Il n'a rien perdu de son intrépidité; nous le retrouverons encore aux champs de Waterloo, ce qu'il a toujours été dans les combats; mais la paix de sa conscience est troublée, et le tems du bonheur est passé pour lui. Il est encore sans peur, mais il n'est plus sans reproche; le souvenir d'une seule action empoisonne sa vie. Il s'avance au-devant de l'homme qui lui coûte tant de sacrifices; mais il y va sans joie, sans empressement, et comme pour s'acquitter d'une tâche douloureuse que sa conduite lui imposait.

A peine eut-il lu la proclamation aux troupes, que les soldats se répandirent dans la

ville. Encore ivres des acclamations qu'ils venaient de faire éclater en présence de leur général, ils se livrèrent à des transports que tous les officiers étaient loin de partager, mais qu'ils n'osaient réprimer. Quelques désordres furent commis à Lons-le-Saulnier.

Cependant le maréchal, accompagné des généraux Lecourbe et de Bourmont, rentra chez lui; il invita son état - major à dîner. Le repas fut court, et les convives, mornes et pensifs, laissaient échapper des signes d'une inquiétude sombre. Ils se séparèrent promptement et allèrent réfléchir sur le parti qu'ils prendraient, les uns suivant leur intérêt, les autres suivant leur conscience.

Dès le même soir, le maréchal dicta et signa un itinéraire pour diriger vers Bonaparte, les troupes qu'il commandait. Cet ordre prescrivait de remplacer les signes de la royauté, par les emblêmes impériaux. Dans la nuit il partit pour se rendre à Dole, où il arriva le 15 au matin.

Le 14 au soir, plusieurs officiers supérieurs voulant rester fidèles à leurs sermens avaient annoncé au maréchal qu'ils abandonnaient le service. Il ne chercha point à contraindre leurs intentions, et il a exprimé depuis l'es

« PreviousContinue »