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1. Que c'était un usage consacré depuis les premiers âges de la monarchie française, que chaque homme, à quelque condition qu'il appartînt, fût jugé par ses pairs.

2°. Que depuis l'établissement de la pairie en France, tous les membres de ce corps, frappés de prévention pour quelque crime que ce fût, avaient été jugés devant la cour des pairs.

3°. Que si pendant la révolution, les citoyens étant rentrés dans le droit commun, on avait été obligé d'adopter de nouvelles classifications pour tous les genres de délits, un tel ordre de choses ne pouvait avoir d'effet sous un régime qui rendait à la pairie ses priviléges et ses honneurs.

3.149 Que les autorités tirées des anciens usages de la monarchie s'appliquaient exactement à la procédure du maréchal, puisqu'il était pair de France dans le moment où il avait commis l'action pour laquelle il était recherché..

5o. Qu'ainsi la chambre des pairs pouvait scule prononcer d'une manière légale dans cette affaire.

Après le plaidoyer de M. Berryer, le général Grundler prit la parole, et, rappelant

quelques-uns des moyens qu'avait employés cet avocat, il les fit servir de base à ses conclusions. Mais autant le premier avait fatigué les juges et l'auditoire, autant le second parut captiver l'attention générale par une érudition concise et mesurée, par un goût sûr, et par un choix d'exemples qui faisait de son plaidoyer une dissertation historique du plus grand intérêt.

Les fonctions de commissaire du Roi étaient remplies par un employé supérieur de l'armée, le commissaire ordonnateur Joinville. Il essaya de s'élever contre les principes développés par le rapporteur, et conclut à ce qu'on procédât au jugement sans désemparere

Le conseil se retira pour délibérer. Revenu après une demi-heure, le jugement suivant fut prononcé : ai sb

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« Le conseil, après avoir délibéré sur la question de savoir s'il était compétent pour juger M. le maréchal Ney, a déclaré, à la majorité de cinq contre deux, qu'il n'était pas compétent.

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>> Le conseil charge M. le général comte Gundler, rapporteur, de donner connaissance du présent jugement à M. le maréchal Ney. »

Et ont signé au procès-verbal,

S. Ex. le maréchal Jourdan; S. Ex. le maréchal Masséna, prince d'Esling; S. Ex. le maréchal Augereau, duc de Castiglione ; S. Ex. le maréchal Mortier, duc de Trévise; M. le lieutenant-général comte Gazan; M. le lieutenant-général Claparède; M. le lieutenantgénéral comte Villate, seuls lieutenans-géné raux employés dans la première division militaire; M. le comte Grundler, rapporteur; M. Joinville, ordonnateur en chef, procureur du Roi; M. Boudin, greffier.

Le lendemain, 11 novembre, le commissaire-ordonnateur, procureur du Roi près le conseil de guerre, déclara se pourvoir en révision contre le jugement d'incompétence rendu par ce conseil.

Le maréchal avait obtenu ce qu'il désirait, ou peut-être ce qu'on avait désiré pour lui; cependant sa situation particulière sembla dès ce moment, s'embarrasser de plus en plus. Engagé dans des discussions dont il n'apercevait ni les motifs, ni l'issue, le souvenir de sa gloire, qui semblait s'obscurcir dans les ténèbres de la chicane, paraissait l'inquiéter, et ne se réveiller en lui que pour ajouter un tourment de plus au malheur de sa position.

Sa conduite était l'objet de l'étonnement général: cette défiance qu'il avait montrée envers ses anciens camarades confondait tous les esprits; plus on croyait avoir de raisons pour leur supposer une indulgence extrême, plus les récusations du maréchal semblaient partir d'un caractère ombrageux que rien ne pouvait rassurer.

Toutefois, l'espèce de précipitation que le conseil avait mise dans sa décision fit croire que les militaires qui le composaient s'estimaient heureux de ne plus être placés entre des devoirs difficiles et des sentimens qui peut-être se réfléchissaient sur eux-mêmes. Dans un tems qui touche encore de si près aux incertitudes politiques, la conscience des juges n'est pas toujours pour eux une règle sûre et tranquillisante. Quelquefois le souvenir de ce qui n'est plus, l'idée de ce qui aurait pu être, viennent combattre les vérités les plus positives, et la raison indécise reste suspendue entre le passé et le présent.

FIN DU QUATRIÈME LIVRE.

LIVRE CINQUIEME.

A peine le jugement qui dessaisissait le conseil de guerre de l'affaire du maréchal Ney fut-il connu, qu'il fit naître les sensations les plus vives et les plus opposées. Le ministère pensa que la justice ne pouvait pas être retardée. plus long-tems, et qu'il était indispensable d'adopter de suite des mesures qui fixassent l'indécision des esprits.

C'était le to novembre qu'avait été rendu le jugement d'incompétence; dès le 11 parut une ordonnance que nous croyons devoir transcrire textuellement.

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LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre;

» Vu l'art. 33 de la Charte constitutionnelle; nos ministres entendus, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit:

>> La chambre des pairs procédera, sans dé

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