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la Roche-Jaquelin, lui dit : « M. le maréchal, » au point où vous en êtes, vous devriez pen

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ser à Dieu. Je ne me suis jamais montré à

un grand péril sans qu'auparavant je n'aie eu cette idée. »

Le maréchal s'arrêta: « Croyez-vous, lui » dit-il, que j'aie besoin de quelqu'un pour apprendre à mourir? » et après un moment de silence il ajouta : « Vous avez raison, mon camarade, il faut mourir en honnête homme et en chrétien; je demande qu'on appelle » M. le curé de Saint-Sulpice.

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On alla avertir cet ecclésiastique qui vint sur-le-champ. Il resta enfermé fort long-tems avec le maréchal; et lorsqu'il se retira, il lui promit de revenir le voir et de l'assister à ses derniers momens.

Il tint parole: à huit heures il était de

retour.

Nous revenons aux préparatifs qu'on avait faits pour l'exécution de l'arrêt rendu contre le maréchal.

Dès trois heures du matin sa garde avait été remise à M. le maréchal-de-camp comte de Rochechouart, commandant de la place de Paris, chargé par le lieutenant-général Des

pinois, d'après les ordres de MM. les commissaires du Roi, d'assurer l'exécution de l'arrêt de la cour.

A huit heures et demie, un des vétérans de garde reçut l'ordre d'aller chercher une voiture de place; il l'amena, et elle fut conduite dans le jardin, au pied de l'escalier à gauche du palais. A neuf heures on avertit le maréchal que le moment était arrivé.

Dès le matin, il s'était vêtu d'un frac bleu et avait pris un chapeau rond; il descendit de l'air le plus calme au milieu de deux lignes de militaires qui bordaient le passage et se prolongeaient jusqu'à la voiture. Quand il y fut arrivé, il s'adressa au curé de Saint-Sulpice: «< Montez le premier, monsieur le curé;

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je serai plutôt que vous là haut. » Les militaires entouraient la voiture, dans laquelle se placèrent le maréchal, le curé et deux officiers de gendarmerie. Le cortége traversa le jardin et se dirigea vers la grille du côté de l'Observatoire.

Quand on y fut arrivé, un officier de gendarmerie ouvrit la portière et dit au maréchal qu'il était tout près du lieu de l'exécution. Le. maréchal descendit, fit ses adieux au vénérable ecclésiastique qui l'accompagnait. Avant

de le quitter, il lui remit une boîte d'or qu'il le pria de faire tenir à son épouse, et des aumônes pour les pauvres de sa paroisse. Cela fait, il s'avança jusqu'au lieu où était placé le peloton de vétérans qui devait faire feu sur lui. On lui proposa de lui bander les yeux : Ignorez-vous, répondit-il, que depuis vingtcinq ans je sais regarder en face les balles et les boulets? » Il ôta son chapeau de la main gauche, l'éleva au-dessus de sa tête, et s'écria d'une voix assurée : « Je proteste contre le ju

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gement qui me condamne ;* j'eusse mieux

aimé mourir pour ma patrie dans les combats; mais c'est encore ici le champ d'hon» neur. Vive la France! » Ensuite, s'adressant aux vétérans : « Soldats! faites votre

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devoir, et tirez là », dit-il en plaçant la main droite sur son cœur. Au même instant il tomba percé de six balles, dont trois l'avaient atteint à la tête.

Son corps fut déposé sur un brancard pen

*Cette protestation du maréchal ne pouvait venir que de l'opinion où il était que la capitulation de Paris devait le mettre à couvert. Quant aux torts qu'il avait eus, il les a solennellement reconnus dans son interrogatoire, de même que Labédoyère, Biron, Montmorency et tous ceux qui, après de pareilles erreurs, se sont trouvés en présence de la mort et seuls avec leur conscience.

dant un quart d'heure, et porté ensuite à l'hospice de la Maternité, où les sœurs passèrent la nuit en prières autour de son cercueil.

Le lendemain, sa famille fit conduire ses restes au cimetière de Mont-Louis, où ils furent inhumés sans aucun appareil. *

Telle fut la fin de Michel Ney. Les faits d'armes extraordinaires qui ont signalé les vingt années dont se compose sa vie militaire, en font un de ces grands personnages qui prennent une teinte de merveilleux, quand une longue suite de siècles en a épuré le souvenir.

Elevé hors des limites de la France, il ne la connut que dans l'état d'agrandissement artificiel où l'avait conduite l'effervescence révolutionnaire. Entraîné dans le torrent des conquêtes, la part glorieuse qu'il y prit lui avait rendu cher un ordre de choses assez riche en brillans prestiges pour satisfaire une imagination vive et ardente. Ney s'y distingua

*Deux voitures seulement accompagnaient le corbillard; elles étaient occupées par quelques parens éloignés de madame la maréchale. Plusieurs domestiques de sa maison suivaient le convoi.

autant par son caractère privé que par sa bravoure. Il fut du petit nombre de ceux qui surent conserver quelque dignité en présence de Bonaparte; il ne le flatta jamais, osa souvent le contredire; et en jugeant le maréchal avec les idées qui appartiennent à ce long interrègne, entièrement isolé dans l'histoire, on ne verra rien en lui qui ne tende à lui assigner un rang honorable parmi les hommes illustres de cette époque.

Sans doute il aimait la patrie, mais il l'aimait telle qu'il avait pu la concevoir; il ne voyait rien au-delà de la gloire, et il n'en connaissait point d'autre que celle de vaincre; il sacrifia à cette seule pensée des devoirs qui dépassaient ses conceptions.

Ces réflexions n'ont point pour but d'excuser l'action funeste qui a conduit le maréchal Ney à une mort prématurée; mais de faire comprendre comment celui qui avait mérité le nom de brave des braves, a pu se rendre coupable envers l'honneur.

Il a été offert en holocauste aux principes conservateurs des sociétés. Puissent les remords qui ont suivi sa faute, et la terrible sentence qui en a été le châtiment, prouver à ceux

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