Page images
PDF
EPUB

Celuy qui aduertit le roy de la conspiration du mareschal de Biron estoit le sieur de la Fin, lequel auoit luy mesme trempé en ceste conspiration, pour quelque mescontentement qu'il disoit auoir, de ce qu'ayant hazardé plusieurs fois sa vie pour le seruice de S. M., il s'étoit enfin endebté, tellement qu'il n'osoit plus paroistre; mais qu'ayant découuert que l'on ne se contentoit pas de faire la guerre au roy et troubler le royaume, que mesmes il y auoit des desseins sur la vie de S. M. et de son dauphin, qu'il

s'en estoit retiré.

Affin d'esclaircir mieux ceste conspiration, il faut la prendre à sa source, et la finir par la mort du conspirateur.

Au voyage que le mareschal de Biron fit à Bruxelles pour veoir iurer la paix à l'archiduc, il vit mettre sa valeur en telle estime par les Espagnols, qu'il ne trouua point mauuais qu'vn nommé Picoté, chassé d'Orléans et retiré en Flandres, luy dist Qu'il estoit en sa puissance de s'esleuer en vne souueraine fortune auec les Espagnols qui admiroient ses mérites. ( son orgueil recent du contentement de ces paroles); le mareschal luy respondit Que s'il venoit en France il seroit bien aise qu'il luy en parlast plus clairement. Picoté faict ce rapport aux Espagnols, qui deslors s'asseurerent de l'avoir de leur party, ou qu'ils le perdroient.

A son retour de Flandres le roy le voulut marier; il faict du difficile, et donne à cognoistre qu'il recherchoit vne princesse, où il ponuoit bien aspirer; mais estant promise à vn plus grand que luy, il luy estoit impossible d'y paruenir. Le cheualier Breton venant en France ( ainsi que nous auons dit ci-dessus, pour traicter les affaires du marquisat de Saluces), Juy proposa du mariage de la sœur bastarde du duc, auec deux cents mille escus.

Par la paix de Veruins il voyoit la guerre finie et les espees remise au fourreau: il iugea que sa valeur n'auroit plus de crédit, et qu'il estoit inutile en temps de paix. Il commença deslors à se plaindre du peu de recompense qu'il auoit eu des seruices faicts à la couronne, quoy qu'il eust eu des recompenses si grandes, qu'il n'y auoit seigneur à la cour de sa qualité qu'il ne lui en portast enuie. Le roy l'auoit faict admiral, puis mareschal de France, lieutenaut général au siege d'Amiens, quoy qu'il y eust des princes du sang, de baron qu'il estoit seulement, il l'avoit faict duc et pair; mais son arrogance et son ambition luy firent tenir des propos de mespris contre le roy son bienfaicteur, et vser de beaucoup de paroles libres et desbordees contre S. M.

Chacun cherche son semblable. Le mareschal de Biron trouue le sieur de la Fin retiré en sa maison mescontent de S. M., pour vne querelle qu'il auoit contre le sieur Desdiguieres, et aussi pour les raisons cy dessus dites. Il sçauoit bien que la Fin auoit négotié autrefois auec l'Espagnol et le duc de Sauoye; c'est pourquoy il le iugea propre pour luy fier 'ses desseins. Leurs volontez furent bien tost vnies pour esleuer leur fortune à la ruine et au trouble de leur patrie.

La Fin donc est confident du mareschal; ils enuoyent au duc de Sauoye un curé et un religieux de l'ordre de Cisteaux à Milan, et Picoté en Espagne pour voir et proposer leurs intentions.

Le voyage que le duc de Sauoye fit à Paris déracina le peu de fleurs de lys que le mareschal auoit encores dans le cœur, sur l'offre que l'on lui fit du mariage de la troisiesme fille du duc de Sauoye; ce fut un grand contentement à son ambition, car deslors il se présuma d'estre un iour cousin de l'empereur et neveu du roy d'Espagne; aussi il fit dire au duc

qu'il donneroit tant d'affaires au roy dans le royaume, qu'il ne songeroit pas au marquisat. Voilà pourquoy le duc de Sauoye ne se soucia de tenir les promesses du traicté de Paris.

La guerre déclaree en Sauoye, le mareschal prend plusieurs places en Bresse et enuoye par deux fois la Fin conferer auec Roncas à Sainct Claude. Roncas les entretient sur l'esperance de ce mariage. Le mareschal, pour faire paroistre sa bonne affection enuers le duc, en venant trouuer le roy à Anecy, fit semblant de vouloir recognoistre quelques passages, ausquels il se fit conduire, mais c'estoit pour faire passer Renazé, afin d'aller aduertir d'Albigny, lieutenant du duc, de se retirer, lequel sans cest aduis eust esté deffaict, et aussi pour dire au duc auquel estat estoit l'armée du roy.

Or il donna cet adais incontinent apres que le roy l'eut refusé de luy laisser disposer de la citadelle de Bourg quand elle seroit prise.

Ce refus, comme nous auons dict, le porta et le troubla de telle sorte, qu'on tient qu'il se résolut deslors d'effectuer l'entreprise sur la personne du roy, laquelle le sieur de la Fin et Renazé ont découverte en leur depositions.

Peu de iours apres il enuoye la Fin à Thurin vers le duc de Sauoye et vers le comte de Fuentes à Milan, où il arriua aussi Picoté revenant d'Espagne, apportant les responces des propositions du mareschal.

Le duc de Sauoye, le comte de Fuentes, l'ambassadeur d'Espagne en la cour de Sauoye, la Fin et Picoté sé trouuent à Some. Le secret de ceste assemblee estoit le mariage du mareschal de Biron et de la troisiesme fille du duc de Sauoye, auec cinq cents mille escus de dot, et le transport de tous les droicts de la souueraineté de Bourgongne L'on y

traicta aussi des entreprises et desseins du mareschal de Biron, et des moyens que l'on tiendroit au printemps de l'an 1601 pour ioindre les forces d'Espagne que le comte de Fuentes auoit au Milannois auec celles du duc de Sauoye, et par ce moyen donner au roy tant d'affaires qu'il lui faudroit oublier la demande de son marquisat. Mais Dieu disposa autrement de tous ses conseils, par la paix qui fut arrestee à Lyon, ainsi que nous auons dit cy dessus.

Le mareschal de Biron se trouua autant esbahy de la conclusion de ceste paix, que le duc de Sauoye et le comte de Fuentes en faisoient des marrys. Il est aduerty que le roy auoit sceu quelque chose des practiques de la Fin touchant ce mariage. Il s'aduisa d'aller trouuer le roy, qui se promenoit alors dans le cloistre des Cordeliers, à Lyon, où après auoir parlé à luy, et que S. M. lui eut commandé de s'en aller à Bourg, il commença à luy dire ce qui s'estoit passé touchant le mariage qu'il auoit poursuiuy, sans son consentement, auec la fille duc de Sauoye; et aussi que s'estant transporté de cholere depuis le refus que S. M. lui auoit fait de la citadelle de Bourg, il avoit eu de mauuaises intentions contre son seruice, dont il lui en demandoit pardon. Le roy voulut sçavoir de lui comme le tout s'estoit passé, mais il ne luy en dist que le moins qu'il pust, toutes fois auec un semblant de grande repentance. Le roy pensant sçauoir tout ce qu'il auoit faict, luy pardonna pour ceste fois, à sa charge de n'y plus retourner,

L'ambition du mareschal et la haine implacable qu'il auoit contre le roy estoient les deux furies qui bourrelloient son ame; aussi il ne fut sitost party de deuant le roy (qui auoit noyé toutes ses mauuaises intentions dans la mer de sa clémence) qu'estant arriué à Vimy pour s'en aller à Bourg, despecha incontinent vn moine nommé Farges vers le sieur de la Fin, lequel

estoit pour lors encore à Some auec le comte de Fuentes; et aussi tost qu'il fut arriué à Bourg, il luy despecha encores de Bosco, cousin de Roncas.

Au départ de l'assemblee de Some, le duc de Sauoye retourna à Thurin, et la Fin alla à Milan auec le comte de Fuentes. Le comte entra en quelque soupçon de la Fin, et creut qu'il ne luy falloit pas fier cest affaire, sur une certaine réponce qu'il luy feist, laquelle il ne trouua pas bonne; ce que le comte dissimula, et renuoya la Fin pour parler au duc, auquel il aduoit donné aduis qu'il s'en falloit desfaire; mais la Fin en ouyt du vent et s'en douta; il se contente d'enuoyer Renazé vers le duc, qui le feist retenir prisonnier; et luy prit le chemin des Grisons, et de là se sauua à Basle et retourna en France.

Ceste conspiration ne fut pas pour cela discontinuee; le mareschal ne fit que changer de negociateur; le baron de Lux print la place de la Fin, et Roncas et Casal la continuerent avec luy.

et

La Fin est fasché contre le mareschal de ce que Renazé est prisonnier en Piedmont, et sur tout de ce qu'il n'estoit plus employé en cest affaire, que le baron de Lux luy en auoit osté la confidence. Le roy en oyt quelque vent de ce mescontentement. Il mande la Fin, qui estoit alors retiré en sa maison, pour venir parler à luy. La Fin en aduertit le mares-1 chal de Biron, lequel lui manda, Qu'il tenoit sa vie et sa fortune entre ses mains; qu'il brulast ses papiers; qu'il se desfit de tous ceux qui auoient fait des voyages auec luy; qu'il ne parlast plus de Renazé, non plus que de celuy qui n'estoit plus au monde; qu'il luy conseilloit de n'aller en cour qu'à petit train; qu'il se préparast d'auoir des rudes paroles à son arrivee, mais qu'il les pouuoit adoucir, en asseurant le roy qu'il n'estoit allé en Italie que pour une déuotion qu'il auoit à Notre-Dame de-Lorette, où, en passant à

« PreviousContinue »