Page images
PDF
EPUB

deux cent cinquante lieues sous un climat homicide, sur un sol sans végétaux; ne pouvant goûter aucun repos; passant de longues nuits sans abri, des jours entiers sans alimens; n'ayant ni le tems ni la force de rallier aucune idée, les malheureux que poursuivaient de si grandes calamités se trouvèrent, par l'excès même de leurs maux, placés hors de toutes les règles.

Il en fut cependant parmi eux qui, conservant quelques souvenirs de civilisation, ne pouvaient dérober à leur frère d'armes le vêtement d'où dépendait sa vie; qui ne pou vaient s'humilier jusqu'à baiser la main du soldat polonais, pour obtenir de lui un indispensable aliment; et qui, sur les bords du Vop ou de la Bérésina, n'osèrent précipiter dans les flots cette foule de blessés et de malades qui leur fermait les étroites avenues du pont.

Il en est même qui, au milieu de tant de souffrances, ne fermèrent point leurs cœurs aux sentimens d'humanité et de bienfaisance.

Que sont-ils devenus ces hommes généreux, lorsque vingt-deux degrés de frimas condamnaient à une mort certaine quiconque s'arrêtait un moment pour tendre la main à un ami

77

tombé?.... Le dard des hivers les a frappés, et le lévrier à longs poils a dévoré leurs dépouilles !*

A peine l'armée eut-elle passé le Niémen, qu'elle se dispersa sur toutes les routes; et, sans cesser d'être poursuivie par les cosaques, dont les poulks innombrables couvrirent bientôt la Pologne, elle se rendit derrière l'Oder, où on travailla à la réunir et à recomposer son matériel.

Le 15 janvier, l'armée française avait sa droite à Varsovie, son centre à Thorn, et sa gauche à la Baltique, près de Dantzick. L'armée russe était arrivée dans la Prusse : l'avantgarde occupait la rive droite de la Vistule; Wittgenstein était à Koenigsberg, Platow à Elbing; Alexandre passa le Niémen le 13; et Murat, dont le quartier - général était à Posen, craignant que les désastres précédens et ceux qu'il prévoyait ne compromissent la solidité de son trône, abandonna le commandement qui lui avait été confié, et partit pour Naples, déguisé en juif allemand.

* Il était effrayant de voir, dit M. Labaume, ces énormes lévriers à longs poils, que l'incendie avait chassés des villes et des villages, suivre l'armée en aboyant et dévorer tout ce qui restait en arrière.

Bonaparte, instruit de sa fuite, remit le commandement général au prince Eugène.

Celui-ci, ayant mis 20 mille hommes à Dantzick et assuré les garnisons de toutes les places de la Vistule, passa l'Oder et ravitailla également les forteresses de cette ligne d'opération. Informé que les Russes avaient quitté la Vistule pour se porter en avant, il se repliat sur l'Elbe, au-devant des nombreux détachemens que Bonaparte envoyait à la GrandeArmée. Hambourg et Berlin furent occupés par les Russes, et le roi de Prusse, délivré de son alliance avec Bonaparte; se hâta de signer ce traité de Breslaw qui fut la base de la coalition.

cr

Au 1 avril, l'armée française était déjà plus nombreuse que celle des alliés. Cependant le prince vice-roi fit évacuer Dresde et s'établit sur la Saale. Bonaparte, ayant laissé à Marie-Louise la régence de l'empire, partit de Paris le 15, et ouvrit la campagne le 28.. Le maréchal Ney passa la Saale, 'près de Naumbourg, avec 40 mille hommes; le prince Eugène, avec 50 mille hommes formant l'aile gauche, déboucha près de Hall; et la droite, forte de 40 mille hommes, était près d'Iéna. Le 29, l'avant-garde du maréchal Ney chassa

les alliés de Weissenfelds sur Léipsick; mais ils se retirèrent en bon ordre, et il fut impossible de les entamer : cette retraite décida celle de toute la ligne russe. Le 1a mai, le maréchal Ney manoeuvra pour franchir le défilé de Poserna; ayant laissé sa cavalerie en réserve, il forma son infanterie en carrés, soutenus entre eux par de l'artillerie, et engagea la canonnade avec le corps de Winzingerode, qui occupait les hauteurs. Après un combat assez vif, où fut tué le maréchal Bessières, les Russes, qui parurent n'avoir eu d'autre intention que de reconnaître les forces de l'armée française, rétrogradèrent jusqu'à Léipsick sans être poursuivis.

Cependant Wittgenstein, qui commandait en chef les armées alliées (le prince Kutusoff étant mort à Buntzlau le 28), cruț devoir prendre l'offensive. Il se porta sur la rive gauche de l'Elster, et les armées ennemies se trouvèrent en présence, le 2 mai, près de Lutzen.

Le maréchal Ney commandait le centre de l'armée française.

Les alliés commencèrent l'attaque en s'emparant du village de Kaya; malgré les efforts du maréchal Ney pour le reprendre, les alliés

le conservèrent jusqu'à la fin de la journée et en firent le pivot de leurs opérations.

Cependant Bonaparte avait considérablement affaibli son centre par l'extension qu'il avait donnée à son aile gauche, afin de tourner la droite des ennemis ; ceux-ci s'aperçurent de cette faute : ils réunirent vers le centre toute l'élite de leurs troupes ; l'empereur Alexandre et le roi de Prusse s'y montrèrent en personne, et le corps du maréchal Ney fut culbuté. Bonaparte alors se mit à la tête de sa garde qui formait la réserve, appuyée par 80 pièces de canon, et, par les mouvemens concentriques que firent de suite ses deux ailes pour soutenir le centre, il arrêta les succès des ennemis, et les força à reprendre leur première position. Bientôt ils se mirent en retraite pour repasser sur la rive droite de l'Elster, où ils furent suivis par Bonaparte. L'arrivée de l'armée française les décida à repasser l'Elbe le 4 mai. Bonaparte entra à Dresde le 8, jeta un pont sur l'Elbe près de cette ville, et continua à poursuivre les alliés.

*Ce village fut pris et repris six fois à la baïonnette. Ney conduisit en personne plusieurs de ces attaques; le général Gourrier, son chef d'état-major, fut tué à la tête des troupes.

« PreviousContinue »