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elle jouirait du bénéfice de division (art. 2026); elle n'est pas caution à son égard, elle est débitrice solidaire; il faut donc lui appliquer l'article 1203, aux termes duquel le débiteur solidaire poursuivi par le créancier ne peut pas lui opposer le bénéfice de division. Il en est de même du bénéfice de discussion, il appartient à la caution (art. 2021); le codébiteur solidaire ne peut pas l'invoquer, puisqu'il est considéré comme seul et unique débiteur.

La jurisprudence est en ce sens. Il a été jugé que la femme n'est réputée caution qu'à l'égard du mari. Dans l'espèce, la femme s'était obligée solidairement avec son mari au payement de la dot par eux constituée à l'un de leurs enfants: la dot était de 8,000 francs, dont 1,200 pour droits maternels et 6,800 pour droits paternels. Le mari étant prédécédé, il s'agit de savoir dans quelle proportion la femme était tenue de la dot; on prétendait que Îa donation devait être réduite comme excédant le disponible, et, par suite, la femme soutint qu'elle ne pouvait être tenue au delà de ce que devait le débiteur principal, dont elle n'était que caution. La cour repoussa cette exception; l'article 2013 dit, à la vérité, que le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, mais la femme était poursuivie, non comme caution, mais comme débitrice solidaire; elle devait donc payer toute la dot, sauf à répéter contre la succession du mari ce qu'elle avait payé au delà de sa part dans la dot (1).

Il a encore été jugé que la femme, coobligée solidaire, ne peut se prévaloir, contre le créancier, de l'article 2037, aux termes duquel la caution est déchargée lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut pas, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution. Dans l'espèce, le créancier avait fait remise d'une partie de la dette au mari tombé en faillite; la femme lui opposa l'article 2037 cette disposition, dit la cour de Paris, a été faite en faveur de la caution, qui ne s'oblige que pour rendre service au débiteur et sous la condition tacite de subrogation; elle ne peut être invoquée par le débiteur

(1) Limoges, 20 février 1855 (Dalloz, 1855, 2, 284).

solidaire. Nous avons examiné cette question au titre des Obligations (t. XVII, no 342); quant à la femme, débitrice solidaire, elle ne pouvait se prévaloir de l'article 1431 pour en induire qu'elle était une simple caution, le texte ne l'assimilant à une caution qu'à l'égard du mari (1).

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Il y a cependant un arrêt de la cour de Paris en sens contraire. On dirait vraiment qu'il n'y a rien de certain en droit! L'article 1431 distingue nettement les rapports de la femme avec le créancier, question d'obligation, et les rapports de la femme avec son mari coobligé solidaire, question de contribution ou de récompense. La distinction est élémentaire, et voilà qu'une des premières cours de France, méconnaissant le texte et les principes, décide que toute obligation contractée solidairement avec son mari par une femme est présumée de droit consentie dans l'intérêt du mari, quand le contraire ne résulte pas expressément du contrat, en sorte que la femme est réputée · simple caution (2). Nous verrons plus loin s'il est vrai que l'article 1431 établit une présomption; supposons qu'il y ait présomption: n'est-il pas de principe élémentaire que les présomptions légales sont de la plus stricte interprétation? Or, l'article dit que la femme est réputée caution à l'égard du mari; donc la loi ne la répute pas caution à l'égard du créancier, partant la présomption n'est pas absolue, comme le dit la cour. La décision est aussi contraire à la raison qu'au droit : le créancier a voulu la garantie d'une obligation solidaire, la femme l'a promise; puis quand le créancier poursuit la femme, celle-ci lui dit : Je ne suis pas débitrice solidaire, je ne suis que caution. C'est annuler les contrats : nous croyions que les juges avaient pour mission de les maintenir et d'en assurer l'exécution (3).

93. L'article 1431 dit que la femme est réputée, à

(1) Paris, 11 avril 1864 (Dalloz, 1864, 2, 127).

(2) C'est l'opinion de tous les auteurs. Aubry et Rau, t. V, p. 351, note 31, $ 510. Rodiere et Pont, t. II, p. 104, no 806; Colmet de Santerre, t. VI, p. 178, no 76 bis I. La jurisprudence est dans le même sens. Rejet, chambre civile, 4 décembre 1855 (Dalloz, 1856, 1, 58). Limoges, 20 février 1855 (Dalloz, 1855, 2, 284); Paris, 16 avril 1864 (Dalloz, 1864,2. 127). (3) Paris, 15 juillet 1854 (Dalloz, 1856, 2, 12).

l'égard du mari, ne s'être obligée que comme caution; d'où la loi conclut qu'elle doit être indemnisée de l'obligation qu'elle a contractée. C'est la question de récompense. Contre qui a-t-elle droit à une indemnité? Il faut distinguer. L'affaire, comme le dit le texte, peut concerner la communauté ou le mari. Si c'est dans l'intérêt du mari que la femme s'est obligée solidairement, elle aura une récompense contre son mari pour toute la dette; on applique, dans ce cas, les principes qui régissent les récompenses des époux entre eux. Si l'affaire est celle de la communauté, la femme aura, contre la communauté, une récompense qui s'exerce, d'après le droit commun, par voie de prélèvement, c'est-à-dire que la femme n'a de récompense que pour moitié de la dette si elle accepte, ce qui est trèsjuste; car si elle accepte, elle est tenue des dettes de la communauté pour moitié, au moins jusqu'à concurrence de son émolument. Si la femme renonce, elle aura un recours pour le tout contre le mari, car, par sa renonciation, elle devient étrangère à la communauté; celle-ci appartient au mari, qui doit aussi supporter toutes les dettes pour le tout; or, la femme a payé une de ces dettes, elle a donc un recours contre le mari pour tout ce qu'elle est obligée de payer au créancier (1).

94. La loi dit que la femme doit être indemnisée de l'obligation qu'elle a contractée. Elle a une récompense contre le mari ou contre la communauté, selon qu'elle s'est obligée pour les affaires du mari ou pour celles de la communauté. D'après le droit commun, celui qui réclame une indemnité doit prouver qu'il y a droit et établir le montant de la récompense. Ce principe reçoit-il son application à l'obligation solidaire de la femme? L'opinion générale est que la femme n'a rien à prouver, parce qu'elle a une présomption légale en sa faveur. On invoque les termes de l'article 1431 la femme n'est réputée, c'est-à-dire présumée, ne s'être obligée que comme caution; or, la caution s'oblige dans l'intérêt du débiteur principal, il y a donc présomption que la femme s'est obligée pour les affaires du mari

(1) Co.met de Santerre, t. VI, p. 179, no 76 bis I.

ou de la communauté. Cette présomption, dit-on, est fondée sur ce qui arrive d'ordinaire. Quand la femme s'oblige solidairement avec son mari, c'est sur la demande du créancier qui exige cette garantie; l'affaire concerne presque toujours le mari ou la communauté. La loi pouvait donc, à bon droit, présumer que la femme n'intervenait que comme caution, sauf la preuve contraire, qui est, en règle générale, admise contre toute présomption légale. Le mari est donc reçu à prouver que la dette a été contractée dans l'intérêt personnel de la femme; dans ce cas, elle n'aura point de recours contre le mari; c'est, au contraire, le mari qui, s'il est obligé de payer comme codébiteur solidaire, aura une récompense contre la femme (1). 95. Est-il vrai que l'article 1431 établisse, en faveur de la femme, une présomption qui la dispense de prouver le fondement de la récompense qu'elle réclame? Nous croyons, avec M. Colmet de Santerre, qu'il n'y a pas de présomption (2). Il ne faut pas perdre de vue la définition que le code donne de la présomption légale : c'est celle qu'une loi spéciale attache à certains actes ou à certains faits. Quel est, dans l'espèce, le fait auquel la loi aurait, dans l'opinion générale, attaché une présomption? C'est le fait de l'obligation solidaire contractée par la femme avec son mari la loi attache-t-elle à ce fait la présomption que la femme s'oblige dans l'intérêt du mari ou de la communauté? Si telle avait été l'intention du législateur, il aurait dit : « La femme qui s'oblige solidairement avec son mari est réputée caution de son mari et doit être indemnisée de l'obligation qu'elle a contractée. » Est-ce là ce que dit l'article 1431? Non, il dit : « La femme qui s'oblige solidairement avec son mari pour les affaires de la communauté ou du mari est réputée caution. » Il y a donc une condition requise pour que la femme soit réputée caution, c'est qu'elle se soit obligée pour les affaires du mari ou de la communauté; elle doit, par conséquent, pour jouir du bénéfice de la caution, prouver qu'elle s'est obli

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 350, note 30. § 510, et les auteurs qu'ils citent. Il faut ajouter Demante, t. VI, p. 178, no 76.

(2) Colmet de Santerre, t. VI, p. 279, no 76 bis II et III.

gée dans l'intérêt de la communauté ou du mari; c'est dire que si elle réclame une récompense, elle doit prouver la dette est contractée dans l'intérêt de la communauté ou du mari.

que

On objecte le mot réputé. Dire que la femme est réputée caution, c'est dire qu'elle est présumée ne s'être obligée que comme caution; or, toute présomption légale dispense de la preuve celui au profit duquel elle existe (art. 1352). Nous répondons que l'article 1431, loin de déroger au droit commun, ne fait que l'appliquer. Quel est le droit commun en ce qui regarde les rapports des codébiteurs solidaires? La règle est qu'entre eux ils ne sont tenus de la dette que chacun pour sa part et portion. Cela suppose que la dette a été contractée dans un intérêt commun. Il se peut que la dette ne concerne que l'un des débiteurs solidaires : c'est l'hypothèse de l'article 1431; l'article 1216 prévoit le même cas, et décide en termes généraux que « si l'affaire pour laquelle la dette a été contractée solidairement ne concernait que l'un des coobligés solidaires, celui-ci sera tenu de toute la dette vis-à-vis des autres codébiteurs, qui ne sont considérés, par rapport à lui, que comme ses cautions. » Il y a identité d'espèce entre les deux dispositions et identité d'expressions. L'article 1431 suppose que la femme s'est obligée solidairement avec son mari pour les affaires de la communauté ou du mari, donc pour une affaire qui ne concerne que l'un des coobligés solidaires, le mari; la conséquence en est que la femme n'est réputée s'être obligée que comme caution, ou, comme le dit l'article 1216, qu'elle n'est considérée, par rapport au mari, que comme sa caution. Il n'y a pas là de présomption proprement dite, car il n'y a aucun fait inconnu, l'on suppose qu'il est constant que l'un des codébiteurs solidaires est seul débiteur; les autres ne l'étant pas, sont nécessairement des cautions; seulement ils ne sont cautions qu'à l'égard du débiteur, ils ne le sont pas à l'égard du créancier. C'est ce que dit aussi l'article 1431.

On invoque l'esprit de la loi pour expliquer et justifier la présomption de l'article 1431. Il est vrai que la loi tient compte des faits quand elle dispose que toute dette con

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