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tractée par la femme du consentement du mari devient dette de communauté, mais la loi ajoute (art. 1409, 2o et 1419) sauf récompense. Quant à la récompense, elle n'établit aucune présomption, et elle a bien fait, car la présomption est fondée sur une probabilité et où est la probabilité quand la femme s'oblige avec son mari, que cette dette soit contractée dans l'intérêt du mari? C'est une question de fait que les juges décideront d'après le droit commun; l'affaire peut intéresser la communauté, le mari ou la femme; que celui qui réclame une indemnité prouve dans l'intérêt de qui la dette a été contractée. Les principes généraux sur la preuve suffisent, et ils valent mieux que les présomptions, parce que les présomptions intervertissent l'ordre régulier des preuves. Quand deux personnes s'obligent solidairement, on doit certainement croire qu'elles sont l'une et l'autre intéressées dans la dette, donc chacune pour moitié. Voilà la règle, et elle est fondée en raison. Si, par exception, l'affaire concerne exclusivement l'un des débiteurs solidaires, c'est à la partie intéressée d'en faire la preuve. Il n'est pas bon que le législateur mette sa volonté à la place de l'intérêt des parties; cette décision générale risquerait d'être injuste dans son application à des faits particuliers. La femme s'oblige solidairement avec son mari pour des travaux à exécuter sur divers fonds appartenant l'un à la communauté, l'autre au mari, le troisième à la femme. Si l'on admet la prétendue présomption de l'article 1431, la femme aura une récompense pour le tout contre le mari; ainsi le mari devra payer ce que la femme doit. Dira-t-on qu'il est admis à la preuve contraire? Nous répondrons que cette preuve est souvent très-difficile à faire. L'application du droit commun ne sera-t-elle pas plus équitable? La femme prétend que la dette intéresse exclusivement le mari ou la communauté : qu'elle le prouve! Le débiteur solidaire, dans le cas de l'article 1216, doit aussi prouver que l'affaire concerne exclusivement l'un de ses codébiteurs. Pourquoi la femme serait-elle dans une situation exceptionnelle?

96. L'article 1431 suppose qu'il n'y a que deux débi

teurs solidaires, le mari et la femme. Il peut y en avoir un troisième quel sera son recours s'il est obligé de payer toute la dette? Notre réponse est toujours la même; on applique le droit commun, puisque la loi n'y déroge point; le recours se divisera donc conformément à l'article 1214. Il y a un arrêt en sens contraire de la cour de cassation. Elle dit que lorsque deux époux communs en biens contractent solidairement une obligation, le mari et la femme ne sont pas chacun débiteurs pour moitié, la dette est celle de la communauté dont le mari est le chef et le maître, et dont la femmé est caution solidaire. L'arrêt en conclut que le troisième débiteur solidaire aura une action pour le tout, même contre la femme, celle-ci étant tenue comme caution de tout ce que doit le débiteur principal(1). Voilà une nouvelle présomption imaginée par la cour; nos textes l'ignorent. Si l'article 1431 considère la femme comme caution, c'est à l'égard du créancier; tandis que la cour de cassation considère la femme comme caution dans les rapports des codébiteurs entre eux. Et pourquoi établit-elle cette présomption? Pour donner au débiteur qui a payé un recours pour le tout contre la femme; ainsi on tourne contre la femme une disposition qui a pour objet de garantir les intérêts de la femme. Enfin où est-il dit que si une dette est contractée solidairement par les deux époux et un tiers, le mari et la femme ne forment qu'une seule et même personne, et que chacun d'eux est tenu du total à l'égard du troisième codébiteur? Voilà à quoi aboutit la doctrine des présomptions que les interprètes imaginent ils n'interprètent plus la loi, ils la font.

97. L'article 1431 suppose que la femme s'est obligée solidairement avec son mari. Que faut-il décider si elle s'est obligée conjointement avec son mari, mais sans solidarité? Dans l'opinion générale, on répond que la présomption de la loi reste applicable; elle n'est pas attachée, dit-on, au fait que la femme s'est obligée solidairement,

(1) Rejet, 29 novembre 1827 (Dalloz, au mot Contrat de mariage,no 1059). Troplong (t. I, p. 365, no 1046) et tous les auteurs approuvent. Aubry et Rau, t. V, p. 351, note 32, § 510, sauf Marcadé, t. V, p. 548, no II de l'artıcle 1431.

elle est attachée au fait que la femme s'oblige avec son mari, et n'intervient, en réalité, que comme caution, dans l'intérêt du mari (1). Si l'on admet que l'article 1431 consacre une présomption légale, il faut rejeter cette interprétation qui étend une présomption légale, parce qu'il n'est pas permis d'étendre une présomption par voie d'analogie. Dans notre opinion, la décision de la question est très-simple. Le mari et la femme s'obligent conjointement sans solidarité : donc chacun est tenu pour moitié à l'égard du créancier. Si la femme paye la moitié de la dette, aura-t-elle une récompense contre son mari? Elle en aura une, d'après le droit commun, si elle peut prouver que la dette concerne les affaires du mari ou de la communauté. Mais il faut qu'elle en fasse la preuve. Elle ne peut invoquer aucune présomption; il n'y en a pas. La loi ne prévoit pas même l'hypothèse et l'on veut que, dans une hypothèse non prévue, la loi établisse une présomption, alors que, d'après l'article 1350, il faut une loi spéciale pour qu'il y ait présomption! La prétendue présomption que l'on imagine soulève à chaque pas de nouvelles difficultés, tandis que l'application des principes généraux n'en présente aucune.

98. Il y a encore un cas qui n'est pas prévu par la loi. Les deux époux s'obligent solidairement en faveur d'un tiers. Dans notre opinion sur le sens de l'article 1431, la solution n'est pas douteuse. On applique les principes généraux de droit. Si le mari et la femme se sont obligés solidairement, chacun d'eux sera tenu pour le tout à l'égard du créancier; et celui qui paye toute la dette aura un recours contre l'autre en vertu de l'article 1214. La femme ne peut réclamer qu'à titre de récompense, le mari l'indemnise de ce qu'elle a dû payer, car il ne s'agit point de récompense dans l'espèce: la dette étant contractée dans l'intérêt d'un tiers, la communauté est hors de cause, de même que le mari comme chef de la communauté (2).

(1) Duranton, t. XIV, p. 416, no 306. Rodière et Pont, t. II, p. 107, n° 809. Troplong, t. I, p. 313, no 1039. Comparez Colmet de Santerre, t. VI, p. 183, no 76 bis VII.

(2) Colmet de Santerre, t. VI, p 183, no 76 bis VIII.

Dans l'opinion générale, la question donne lieu à des difficultés, et ce n'est qu'au prix d'une inconséquence que l'on s'est tiré d'embarras. La cour de cassation a posé comme principe que si les deux époux contractent une obligation solidairement, c'est la communauté qui est débitrice et la femme n'est que caution solidaire (n° 96). Si tel était le sens de l'article 1431, il faudrait décider que la femme a toujours et de plein droit un recours contre son mari et un recours pour le tout, puisqu'elle ne serait que caution. Ce serait bouleverser les notions les plus simples de droit et faire un nouveau code civil. Nous préférons l'ancien. La jurisprudence et la doctrine ont laissé là cette mauvaise interprétation de l'article 1431, et ont décidé la question d'après les principes généraux. Une femme s'oblige solidairement avec son mari à payer le prix de remplacement d'un de leurs enfants. La femme prétendait n'être que caution en vertu de l'article 1431. Il a été jugé qu'elle était tenue personnellement, et non comme caution. Comment la cour écarte-t-elle la prétendue présomption de l'article 1431? En disant que c'est une présomption juris tantum qui admet la preuve contraire (1). On voit que l'opinion générale sur le sens de l'article 1431 ne sert qu'à embrouiller les choses et à créer des difficultés. Il n'y a aucune présomption dans cet article, il ne fait qu'appliquer les principes généraux, et ces mêmes principes décident la question que nous examinons. La cour de Rennes donne une meilleure raison et semble se rapprocher de l'opinion que nous avons soutenue. Aux termes de l'article 1431, dit l'arrêt, la femme qui s'oblige solidairement avec son mari n'est réputée sa caution et n'a droit à une indemnité que lorsque l'obligation concerne les affaires du mari ou de la communauté. Donc l'article 1431 est hors de cause quand le mari et la femme s'obligent dans l'intérêt d'un tiers (2).

(1) Lyon, 11 juin 1833 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1055). Comparez Paris, 30 décembre 1841 (ibid., no 1056).

(2) Rennes, 22 novembre 1848 (Dalloz, 1851. 2. 151). Comparez Rodière et Pont, t. II, p. 108, no 810; Troplong. t. I, p. 314, nos 1042 et 1043. Aubry et Rau, t. V, p. 351 et note 33, § 510.

99. L'article 1431 dit que la femme est réputée caution du mari quand elle s'oblige solidairement avec lui pour les affaires du mari ou de la communauté. Demante enseigne que, de son côté, le mari est réputé caution quand il s'engage pour les affaires personnelles de la femme. La loi, dit-il, applique ce principe au cas où le mari garantit solidairement ou autrement la vente que la femme fait d'un de ses immeubles personnels (art. 1422). Cela n'est pas tout à fait exact. Lorsque le mari garantit solidairement la vente, il est codébiteur solidaire et, dans ce cas, on peut lui appliquer l'article 1216, dont l'article 1431 est une application (n° 75). Dans notre opinion, l'article 1431 n'établit aucune présomption en faveur de la femme réputée caution; la loi donne un recours à la femme contre le mari, à charge de prouver qu'elle s'est obligée pour les affaires du mari ou de la communauté (no 94); c'est le droit commun. Il en est de même du mari qui garantit solidairement la vente que la femme fait d'un propre; il a aussi un recours contre elle, parce que la nature même de l'affaire prouve qu'elle est personnelle à la femme; c'est encore le droit commun. Si le mari avait garanti sans solidarité, ou s'il avait simplement autorisé la femme, la dette, dans notre opinion, tomberait en communauté et, par suite, le mari en serait tenu sur ses biens. Il va sans dire qu'il aurait également un recours, c'est-àdire une récompense, sans que l'on puisse dire qu'il est réputé caution. Mieux vaut ne pas se servir de cette expression, parce qu'elle implique l'idée d'une présomption qui, en réalité, n'existe pas. Il faut dire que l'on applique les principes généraux qui régissent les récompenses (1).

§ VI. Des dettes contractées par la femme comme mandataire du mari.

100. L'article 1420 porte : « Toute dette qui n'est contractée par la femme qu'en vertu de la procuration gé

(1) Demante, t. V, p. 183, no 77; Colmet de Santerre, t. VI, p. 183, no 77 bis.

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