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4. De même le mari pourra aliéner moyennant une rente viagère; cela a été contesté, mais la jurisprudence s'est prononcée en faveur du mari. Son droit n'est pas douteux; il a le pouvoir absolu de vendre et d'aliéner, donc il peut le faire sous telles conditions que bon lui semble; il est vrai que c'est une vente à fonds perdu, mais le mari n'a-t-il pas le droit de perdre les biens communs? Dans l'espèce, il y a plutôt contrat aléatoire que perte, les chances peuvent être pour la communauté comme elles peuvent tourner contre elle (1).

Quel sera l'effet de la constitution de rente? Il faut voir sur la tête de qui la rente a été constituée. Aux termes de l'article 1971, la rente viagère peut être constituée soit sur la tête de celui qui en fournit le prix, soit sur la tête d'un tiers qui n'a aucun droit d'en jouir. Elle peut, dit l'article 1972, être constituée sur une ou plusieurs têtes. Si la rente a été établie sur la tête des deux époux, elle passe, en cas de mort de l'un d'eux, au survivant; en totalité, si elle a été stipulée réversible en totalité, et, dans le cas contraire, pour moitié. Si la rente n'a été constituée que sur la tête du mari, elle s'éteint avec lui quand il vient à prédécéder. S'il survit, a-t-il seul droit aux arrérages? Non, car le mari n'a pas le droit de se créer des propres aux dépens de la communauté; c'est donc le cas d'appliquer la restriction de Pothier : le mari ne peut jamais s'avantager aux dépens de la communauté; la rente viagère forme le prix d'un conquêt, elle appartient donc à la communauté et doit être partagée comme tous les autres biens communs (2).

Il peut encore se présenter une autre hypothèse : les deux époux vendent conjointement pour une rente viagère avec clause de réversibilité au profit du survivant. Nous avons dit ailleurs quel est l'effet de cette clause (t. XXI, no 219).

5. Puisque le mari peut aliéner, il s'ensuit qu'il est

(1) Reims, 16 juin 1841 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1129). (2) Aubry et Rau, t. V, p. 283, note 9, § 507. Rodière et Pont, t. II, p. 158, no 871. Orléans, 28 décembre 1843, et Paris, 19 décembre 1819 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1131). Comparez, t. XXI, no 218, p. 258.

propriétaire et qu'il peut faire tous les actes pour lesquels la loi exige la capacité d'aliéner. L'article 1421 applique le principe à l'hypothèque; le mari peut hypothéquer, parce qu'il est propriétaire. Il en est de même de tous les autres démembrements de la propriété, servitudes, emphytéose, superficie. Aux termes de l'article 2172 (loi hyp.,. art. 100), le délaissement par hypothèque peut être fait par les tiers détenteurs qui ont la capacité d'aliéner; il a été jugé, en conséquence, que le mari peut délaisser; le délaissement conduit à l'aliénation; or, le mari a le pouvoir absolu d'aliéner (1). A plus forte raison, le mari peutil seul surenchérir (2).

6. Si le mari a le droit d'aliéner sans le concours de la femme, à plus forte raison a-t-il le droit d'administrer seul, comme le dit l'article 1421. Il faut se garder d'en conclure que le mari n'est qu'un simple administrateur. Ceux qui administrent le patrimoine d'autrui doivent gérer en bons pères de famille, comme le code le dit du tuteur (art. 450). Aucune disposition ne déclare le mari responsable de son administration; il faut donc dire, sous l'empire du droit nouveau, ce que Pothier disait sous l'ancien droit « Le mari peut, à son gré, perdre les biens de la communauté sans en être comptable; il peut laisser périr par la prescription les droits qui dépendent de sa communauté, dégrader les héritages, briser les meubles, tuer par brutalité des chevaux et autres animaux dépendants de la communauté, sans être comptable à sa femme de toutes ces choses (3). » Nous dirons plus loin quels sont les droits de la femme quand le mari abuse de son pouvoir absolu.

Pothier dit que le mari n'est pas comptable; il entend par là que le mari n'est pas responsable; la femme n'a pas d'action contre lui, comme le mineur a action contre son tuteur; il use et abuse en qualité de seigneur et maître. Mais la jurisprudence admet que le mari doit rendre

(1) Bruxelles, 9 floréal an XIII (Dalloz, au mot Contrat de mariage, n° 1128).

(2) Paris, 4 mars 1815 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1134). (3) Pothier, De la communauté, no 470.

compte de ses dépenses si la femme a intérêt de l'exiger. La femme demande la séparation de corps et quitte le domicile conjugal; la séparation étant prononcée, on liquide la communauté; la femme prétend que le mari a diverti des effets de la communauté. Elle qualifiait les dépenses non justifiées de divertissement et de recel. Le mari répondit que, maître de la communauté, il ne devait aucun compte à sa femme pendant tout le temps que la communauté avait existé. Il a été jugé par la cour de Paris que si le mari n'est pas responsable, il est néanmoins comptable, en ce sens qu'il doit, lors de la dissolution de la communauté, justifier sinon de l'utilité ou de la légitimité, au moins de la réalité et de l'importance des dépenses qu'il a faites. Elle condamna, en conséquence, le mari à la récompense d'une somme de 16,000 francs dont il ne justifiait pas l'emploi (1).

Cette décision nous paraît contestable. Il est très-difficile d'admettre que le mari soit comptable, alors que la théorie traditionnelle, consacrée par le code, lui donne le droit de perdre les biens de la communauté. Il est vrai que ce pouvoir absolu souffre des restrictions : le mari doit récompense quand il a tiré un profit personnel des biens de la communauté (art. 1437). Est-ce à dire que le mari doive compte pour prouver qu'il ne s'est pas avantagé au préjudice de sa femme? La loi ne dit pas cela; c'est à la femme qui prétend que le mari doit récompense à prouver qu'il a tiré profit de la communauté. Le mari ne doit donc pas justifier ses dépenses, il est défendeur, et comme tel, il n'a rien à prouver. Il y a un arrêt de la cour de Liége en ce sens (2).

7. Le pouvoir absolu que le mari a sur les biens de la communauté est-il d'ordre public? Aux termes de l'article 1388, les époux ne peuvent pas, par leurs conventions matrimoniales, déroger aux droits du mari comme chef. Nous avons dit quel est le sens de cette disposition (n° 123125). Elle n'empêche pas que le mari donne mandat à

(1) Paris, 19 mai 1870 (Dalloz, 1871, 2, 40).

(2) Liége, 19 décembre 1866 (Pasicrisic, 1867, 2, 78).

la femme d'administrer la communauté; seulement ce mandat n'implique pas que le mari délègue ses pouvoirs. Les pouvoirs du mari, comme chef de la communauté, tiennent à l'ordre public, puisqu'ils découlent de la puissance maritale; or, ces pouvoirs ne se déléguent point. Le mandat que le mari donne à sa femme soulève encore d'autres difficultés; nous y reviendrons.

II. Le pouvoir absolu du mari et la personnification de la communauté.

8. Nous avons examiné la question de la personnification de la communauté au point de vue de l'actif(t. XXI, nos 210 et 211) et au point de vue du passif (n° 392-394). Il nous reste à voir si la communauté doit être considérée comme une personne morale, en ce qui concerne l'administration des biens communs. Le pouvoir absolu du mari absorbe les droits de la femme, son associée; quand un seul associé, le mari, est seigneur et maître des biens communs, on ne voit pas pourquoi le législateur créerait un être fictif qui se distingue des deux époux; il n'y a pas de place pour la fiction en présence du pouvoir absolu du mari. L'article 1421 dit que le mari a le pouvoir illimité de disposer à titre onéreux; c'est la vieille maxime coutumière le mari disposant en seigneur et maître, il est plus qu'inutile d'imaginer une personne morale au nom de laquelle le mari agirait. Ce serait enlever au mari un pouvoir que la loi lui accorde à raison de la puissance maritale; il ne serait pas seigneur et maître, il ne serait qu'un administrateur, un gérant. La loi ne dit pas cela, et dans la doctrine traditionnelle, elle ne pouvait pas le dire; là où il y a un maître absolu, la fiction n'a plus de raison d'être; or, il est de principe que la loi ne crée des personnes civiles que pour cause d'utilité, le plus souvent de nécessité publique. Au point de vue pratique, la question est oiseuse; qu'importe que le mari agisse comme gérant d'une personne morale ou comme chef de la communauté? Il n'y a rien de changé à la nature ni aux effets des actes de disposition ou d'administration qu'il a le droit de

9. La question de la personnification de la communauté ne présente quelque intérêt pratique que lorsqu'il s'agit d'actes à titre gratuit. Aux termes de l'article 1422, le mari ne peut disposer d'un conquêt à titre gratuit. S'il donne un immeuble et que, par l'effet du partage, cet immeuble soit mis dans son lot, la donation sera-t-elle valable? Oui, si les deux époux étaient copropriétaires par indivis; car, dans cette supposition, le partage rétroagit au jour de l'acquisition, puisque de ce jour l'indivision a commencé. Non, si l'immeuble appartenait à un être moral; dans cette supposition, le mari aurait disposé d'un bien appartenant à un tiers, ce qui rendrait l'acte nul. Le texte du code ne décide pas directement la question, mais l'article 1423 la décide implicitement en matière de legs. Le mari lègue un conquêt; si l'immeuble tombe au lot de ses héritiers, le legs est valable. Cela implique que le partage rétroagit au jour de l'acquisition; donc l'immeuble n'a jamais appartenu à un être moral indépendant des deux époux.

La même question se présente quand le mari et la femme font donation d'un conquêt. Nous dirons plus loin que la jurisprudence admet généralement la validité de cette donation; cela suppose que les deux époux sont copropriétaires par indivis, et l'article 1423, que nous venons de citer, prouve que telle est la théorie du code (1).

No 2. DES ACTES A TITRE GRATUIT.

I. Donations entre-vifs.

1. CE QUE LE MARI PEUT DONNER,

10. L'article 1422 soumet à des restrictions importantes le droit du mari de disposer à titre gratuit. Il en résulte qu'en règle générale le mari ne peut pas disposer à titre gratuit des effets de la communauté, qu'il ne le peut que par exception. Ainsi il ne peut pas donner des immeubles de la communauté, ni l'universalité ou une quo

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 44, nos 18 bis VII, IX et X.

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