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et que ses engagements, en cette qualité, sont exclusivement à la charge de la communauté. Sans doute, mais cela prouve-t-il que la femme ne soit pas responsable de l'exécution des engagements qu'elle a pris en acceptant le mandat, et que ces engagements tombent aussi à charge de la communauté? Cela n'a pas de sens. Au regard du mari, continue l'arrêt, la femme ne saurait être soumise à toutes les exigences des articles 1991 et suivants, notamment à l'obligation de rendre un compte en règle et de faire raison de sa gestion dans des formes légales. On met donc la femme hors la loi et au-dessus de la loi. Et le motif? C'est que le mari ne cesse pas de conserver l'autorité conjugale, soit sur la personne de la femme, soit sur la communauté, dont il reste nécessairement le chef. Qui en doute? Cela empêche-t-il le mari de donner mandat à la femme? Et s'il lui donne un mandat, ne faut-il pas appliquer les règles du mandat? La femme, dit la cour, est toujours sous la dépendance du mari et soumise à sa volonté; elle agit sous son contrôle et sans sa direction, elle n'est, en réalité, que sa préposée et, à raison de cette subordination, les actes de la femme gérant la communauté doivent être réputés ceux du mari lui-même. Si cela a un sens, cela veut dire que la responsabilité de la femme mandataire retombe sur le mari mandant; de sorte que c'est le mandant qui répondrait de la gestion qu'il confie au mandataire : hérésie juridique s'il en fut jamais. Tout ce que la cour concède, encore cela est-il une inconséquence, c'est que la femme ne peut rien détourner frauduleusement; hors de cette exception, les fautes de la femme sont des délits de communauté, l'action du mari contre la femme réfléchirait contre le mari lui-même (1). C'est dire que le mari est tout ensemble mandant et mandataire! Décidément la justification de la jurisprudence est la condamnation de la doctrine qu'elle a consacrée.

104. La situation est plus singulière quand le mari donne mandat à la femme d'administrer les biens qui sont personnels à celle-ci. On peut demander si un pareil mandat

(1) Besançon, 18 novembre 1862 (Dalloz, 1862, 2, 212).

est valable. Ne s'agit-il pas plutôt d'une autorisation? Les arrêts que nous allons analyser ne contestent pas la validité du mandat. Il est vrai que, dans l'espèce, le propriétaire est chargé d'administrer ses propres biens comme mandataire; ce qui est certes une singularité juridique. Elle s'explique néanmoins. Le mari est, en vertu de la loi, ou de la convention tacite des époux, administrateur des biens de la femme, comme il est administrateur de la communauté; il peut confier l'une ou l'autre administration à un mandataire, donc à sa femme; la femme administrera, non comme propriétaire, mais comme mandataire. Quel sera l'effet de ce mandat?

Le mari donne à la femme mandat de placer le prix de ses propres aliénés. Il se trouve que ces placements sont malheureux, le prix est perdu. Question de savoir si le mari en est responsable. La cour de cassation s'est prononcée pour l'affirmative qui ne nous paraît pas douteuse. Le mari est administrateur légal des biens de la femme, il est responsable comme tel. Peut-il se soustraire à cette responsabilité en donnant procuration à sa femme de faire elle-même ce que le mari devait faire, le placement de ses propres aliénés? Non, certes, car la femme mandataire agit au nom du mari; le placement est donc censé fait par le mari, comme tout acte du mandataire est l'acte du mandant. Le placement des fonds que le mari donne mandat à la femme d'opérer est donc fait par lui; dès lors il en répond. On demandera ce que devient le mandat et la responsabilité du mandataire. La cour de cassation n'en dit rien, et l'on pourrait induire des termes absolus de l'arrêt que la femme n'encourt aucune responsabilité (1). Si telle était la pensée de la cour, ce serait une erreur. Le mari mandant doit avoir une action contre la femme mandataire; celle-ci est responsable de l'exécution du mandat qu'elle a accepté, responsabilité qui, en fait, sera appréciée moins rigoureusement que celle du mari, quoique le mari aussi soit un mandataire, par les raisons que nous venons de donner. Les circonstances peuvent être

(1) Rejet, 8 février 1853 (Dalloz, 1853, 1, 33).

telles, que la femme soit déchargée de toute responsabilité; en effet, la femme ne répond que de la faute légère in concreto, c'est-à-dire qu'elle ne doit apporter à sa gestion que les soins qu'elle a dans ses propres affaires (t. XVI, n° 224). A l'égard du mari, on sera plus sévère, parce qu'en fait il connaît mieux les affaires que la femme. C'est ainsi que l'on concilie les deux principes, celui de la responsabilité du mari et celui de la responsabilité de la femme mandataire (1).

105. Nous avons supposé jusqu'ici un mandat exprès. C'est le cas que l'article 1420 paraît avoir en vue, puisqu'il parle d'une procuration générale ou spéciale, et le mot procuration se prend dans le sens de l'article 1992, qui suppose un mandat donné par écrit ou verbalement, donc exprès. Le mandat peut aussi être tacite. La doctrine et la jurisprudence admettent que la femme a un mandat tacite de faire toutes les dépenses du ménage; de sorte qu'en les faisant, elle ne s'oblige pas personnellement, puisqu'elle agit comme mandataire; elle oblige le mari dont elle est mandataire et, par suite, la communauté. Quel est le fondement de ce mandat tacite? Le mandat est un contrat, il exige le consentement du mari et de la femme tout consentement peut être ou exprès ou tacite. Le consentement tacite n'est pas un consentement présumé, c'est un concours de volontés qui résulte des faits. Or, il est facile de se convaincre que le fait du mariage produit ce consentement tacite, en vertu duquel la femme est chargée de faire, au nom du mari, toutes les dépenses du ménage. Le mariage impose des obligations aux époux ils doivent nourrir, entretenir et élever leurs enfants (art. 203); les époux se doivent mutuellement secours et assistance, donc ils sont tenus l'un envers l'autre de l'obligation alimentaire dans sa plus large acception (art. 212); le mari, notamment, est obligé de fournir à la femme tout ce qui lui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état (art. 214). Pourquoi la loi ne parle-t-elle que du mari? Si le mari n'avait pas

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(1) Comparez Rejet, 25 novembre 1868 (Dalloz, 1869, 1, 148).

de biens, la femme serait obligée de lui fournir tout ce qui est nécessaire. La loi parle du mari, parce que c'est Îui qui est le chef de l'association conjugale; c'est à lui que la femme apporte une dot pour l'aider à supporter les charges du mariage; il y a dot sous tous les régimes (t. XXI, n° 157), puisqu'il y a toujours des charges à supporter; ces charges ne changent pas de nature selon les régimes, et c'est toujours le mari qui y doit pourvoir.

Comment remplit-il cette obligation? Il faut pour cela des conventions journalières et incessantes; c'est ce qu'on appelle les dépenses de ménage. Est-ce le mari qui doit les faire? Cela est chose impossible: ses occupations l'en empêchent; il doit tout son temps au travail, qui est la mission de sa vie. La femme a aussi sa mission, c'est de présider au ménage; voilà pourquoi on l'appelle bonne ou mauvaise ménagère. Mais la femme ne peut faire le ménage sans contracter, et elle est incapable de contracter. Dira-t-on que le mari peut l'autoriser? Cela est impossible, puisque le mari devrait intervenir à tous les instants du jour pour autoriser sa femme. De plus, l'autorisation ne répondrait pas aux besoins de la situation. C'est le mari qui est le chef de la famille, c'est donc lui qui doit contracter et s'obliger, ce n'est pas la femme; il ne peut donc être question d'autorisation. Le mari ne pouvant pas agir lui-même, il ne lui reste qu'à donner mandat à sa femme. Faut-il que ce mandat se donne par écrit ou verbalement? Non, cela est inutile; par le fait seul du mariage, le mari sait qu'il y a un ménage à diriger, et il sait que cette mission appartient à la femme. Celle-ci, de son côté, sait que tel sera son premier devoir. Il se forme ainsi un concours de volontés tacites tendant à constituer la femme mandataire pour faire les dépenses du ménage (1).

106. La tradition est en ce sens (2); la doctrine est unanime et la jurisprudence est conforme. Toutefois il nous faut appeler l'attention sur la confusion que nous

(1) Toullier, t. VI, 2, p. 236. no 261. Rodière et Pont, t. II, p. 86, no 792. Marcadé, t. V. p. 518, no 1 de l'article 1420.

(2) Voyez les sources dans Aubry et Rau, t. V, p. 340, note 49, § 509 (4 édit.).

avons déjà signalée entre le mandat tacite et l'autorisation. Le 10 octobre 1792, la duchesse de Choiseul-Stainville signe, au profit de la dame Bastin, marchande de modes de la reine, une reconnaissance de 41,671 francs, montant des fournitures qui lui avaient été faites. La cour de Paris condamne la duchesse à payer. Pourvoi pour violation de la coutume de Paris, qui ne permettait pas à la femme de s'obliger sans autorisation de son mari. La cour rejette ce moyen en décidant que la jurisprudence avait modifié l'incapacité de la femme en ce qui était relatif à son entretien et à celui de sa maison, pour lesquels la femme pouvait s'obliger sans l'autorisation de son mari si les dépenses étaient proportionnées à son rang et à ses facultés (1). Voilà l'erreur en plein. Nous laissons de côté la jurisprudence ancienne. Le code Napoléon déclare aussi la femme incapable de contracter sans autorisation maritale; est-ce à dire que, pour les dépenses de ménage, la femme soit affranchie de son incapacité? Non, car il faudrait un texte qui consacrât cette exception; et le législateur s'est bien gardé de la faire, car si la femme agissait personnellement avec autorisation, elle serait débitrice et tenue de payer sur ses biens; tandis que, d'après l'article 1409, no 5, les dépenses de ménage sont une dette de communauté; c'est donc comme mandataire que la femme agit et, comme telle, elle ne s'oblige pas personnellement, elle oblige le mari et la communauté.

Un arrêt de la cour de Douai est conçu presque dans les mêmes termes, sauf que la cour condamne le mari à payer les achats d'habillements que la femme avait faits. Ces dépenses, dit la cour, rentrent dans les limites de l'administration du ménage naturellement confiée à la femme; et comme elles n'ont rien d'excessif, eu égard à la fortune et à la position sociale du mari, celui-ci est censé les avoir autorisées et ne peut se refuser à les acquitter sous le prétexte qu'il n'y aurait pas eu d'autorisation expresse de sa part (2). S'il s'agissait d'autorisation. le

(1) Rejet, 7 novembre 1820 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1006). (2) Douai, 24 décembre 1833 (Dalloz, 1847, 2, 59).

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