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ministration et la jouissance des biens qui sont stipulés propres? Nous avons déjà rencontré la question à plusieurs reprises, et nous l'avons décidée affirmativement conformément à l'opinion générale(1). Il nous reste à compléter la jurisprudence sur cette question.

Une mère lègue à sa fille la portion disponible de ses biens pour en jouir sur ses simples quittances, sans que son mari puisse s'immiscer dans l'administration de cette partie de sa fortune. Il a été jugé que cette clause est valable, l'administration des biens personnels de la femme ne tenant essentiellement ni à la puissance maritale, ni à la communauté. La cour de Paris avoue que s'il s'agissait de la réserve, la clause litigieuse serait nulle, parce que les biens réservés appartiennent nécessairement à l'époux et, par suite, à la communauté; nous renvoyons, sur ce point, à ce qui a été dit de la réserve. Quant aux biens disponibles, les père et mère en conservent la libre disposition, et ils en peuvent disposer sous telle condition qu'ils veulent, pourvu qu'elle ne soit pas contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs; or, l'article 1401 prouve que les donateurs conservent, sous ce rapport, la plénitude de leurs droits (2).

La cour de Paris a maintenu sa jurisprudence dans une espèce où il y avait quelque doute, la femme ayant déserté le domicile conjugal. Mais la cour a très-bien jugé que ce fait n'avait rien de commun avec les droits de la femme sur ses biens. Le mari peut contraindre la femme à réintégrer le domicile conjugal par les voies de droit, mais il ne peut pas s'emparer de revenus qui ne lui appartiennent pas (3).

124. Y a-t-il d'autres exceptions au pouvoir d'administration que la loi confie au mari? On enseigne que la femme marchande publique a le droit de gérer son commerce, sans que le mari puisse intervenir dans cette administration. Cela est certain, mais est-ce une exception au

(1) Voyez le tome XI de mes Principes, p. 586, no 447, et le tome XXI, p. 96, no 75.

(2) Paris, 27 janvier 1835 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 786). (3) Paris, 27 aout 1835 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 787).

droit commun? Le mari, en autorisant sa femme à faire le commerce, l'autorise par cela même à faire tous les actes concernant son négoce (art. 220): de quel droit donc y interviendrait-il? On enseigne encore, comme application du principe concernant la femme marchande, que la femme actrice a le droit d'administrer ses appointements, en tant qu'ils lui sont nécessaires pour l'exercice de son art; il y a un arrêt de la cour de Paris en ce sens (1). La chose nous paraît douteuse : les appointements de la femme sont un produit de son travail qui entre en communauté et devient la propriété du mari. Comment la femme aurait-elle le droit d'administrer ce qui ne lui appartient pas ?

§ II. Des pouvoirs du mari.

No 1. PRINCIPE.

125. L'article 1428 dit que le mari a l'administration de tous les biens personnels de la femme, et l'article 1421 dit que le mari administre les biens de la communauté. Ainsi la loi se sert du même terme pour marquer les droits du mari sur la communauté et les droits du mari sur les biens personnels de la femme. Il y a cependant une différence capitale entre ces deux situations. Le mari est bien plus qu'administrateur des biens de la communauté, il en est seigneur et maître en ce qui concerne les actes de disposition à titre onéreux; le méme article qui dit que le mari administre les biens communs ajoute que le mari peut les vendre, aliéner et hypothéquer sans le concours de la femme.

Il en est tout autrement du mari administrateur légal des biens de la femme : il administre des biens qui ne lui appartiennent pas, il est donc administrateur comme l'est le tuteur; aussi l'article 1428 ajoute-t-il que le mari ne peut pas aliéner les immeubles de la femme sans son con

(1) Troplong, t. I, p 301, no 979. Paris, 27 novembre 1819 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1288, 2o).

sentement, et ce que la loi dit des immeubles est vrai aussi des meubles, comme nous le dirons plus loin. Le même article 1428 donne au mari le droit d'exercer les actions mobilières et possessoires qui appartiennent à la femme, ce qui implique qu'il n'a pas le droit d'exercer les actions immobilières; tandis que le mari, administrateur de la communauté, a toutes les actions. Enfin l'article 1428 déclare le mari responsable de sa gestion; le mari n'est pas responsable comme chef de la communauté. En définitive, la loi applique au mari administrateur des biens de la femme les principes qui régissent les administrateurs de biens d'autrui : il a un pouvoir d'administration, il n'a pas un droit de disposition. Quand nous disons que le mari a un pouvoir d'administration, nous entendons qu'il a une charge qui est en même temps un droit pour lui, à la différence du tuteur qui n'a qu'une charge. En effet, le mari profite de son administration, puisque c'est lui qui a la jouissance des biens qu'il administre. Mais on ne voit pas par nos textes que cette différence influe sur les droits que la loi confère au mari en sa qualité d'administrateur. Le code suit les mêmes principes dans les divers cas où il organise une administration légale des biens d'autrui, quoique la situation des administrateurs soit très-diverse les envoyés en possession provisoire des biens d'un absent n'ont qu'un droit d'administration (article 125); de même que le mari, ils ne peuvent faire aucun acte de disposition (art. 128); cependant ils administrent des biens qui, d'après toutes les probabilités, leur appartiennent à titre d'héritiers présomptifs. Le tuteur administre des biens sur lesquels il n'a aucun droit, pas même un droit limité de jouissance, comme celui des envoyés en possession; cependant ses droits sont, en général, les mêmes que ceux des envoyés en possession, quoique ceux-ci aient un droit de jouissance. Quant au mari, il est tout ensemble administrateur et usufruitier comme usufruitier, il a des droits que ne peut avoir le tuteur qui n'a pas la jouissance; mais, comme administrateur, sa position est la même.

126. Le mari étant administrateur des biens d'autrui,

est par cela même responsable de sa gestion. On doit lui appliquer, par voie d'analogie, l'article 450, qui dit du tuteur qu'il administre les biens du mineur en bon père de famille et qu'il répond des dommages et intérêts qui pourraient résulter d'une mauvaise gestion. L'article 1428 ne reproduit pas le principe, l'obligation de gérer en bon père de famille, mais il en consacre la conséquence en déclarant le mari responsable du dommage qu'il cause à la femme par défaut d'actes conservatoires. La loi ne prévoyant qu'un cas de responsabilité, on pourrait croire que c'est le seul. Ce serait très-mal raisonner. La loi ne fait qu'appliquer un principe général, et il faut en faire l'application à tous les cas qui peuvent se présenter. Il n'y a aucune raison de limiter à un cas spécial la responsabilité

du mari.

La jurisprudence est en ce sens. Une dot de 30,000 fr. est constituée à la femme; il restait dû 7,000 à 8,000 francs lorsque la mère obtint un jugement de séparation de biens: l'acte de liquidation mit le solde de la dot à la charge du père, lequel était insolvable. De là question de savoir si le mari était responsable de la perte de la dot. Ce cas ne rentrait pas dans le texte de l'article 1428, ce n'était pas le dépérissement d'un bien, c'était négligence de le réclamer; il y avait faute du mari, la mère était solvable pendant tout le temps qu'avait duré la communauté; le mari aurait donc dû demander le payement de la dot : la dot ayant péri par sa négligence, il devait réparer la conséquence de sa faute (1).

Toutefois les principes de la communauté apportent une restriction notable au droit de la femme. Supposons que le mari soit condamné à 10,000 francs de dommagesintérêts à raison de sa mauvaise gestion. Peut-elle réclamer l'intégralité de cette somme contre son mari? Oui, si elle renonce à la communauté; non, si elle l'accepte. Si elle accepte, elle doit supporter la moitié des dettes qui composent le passif. Or, les dommages-intérêts que le mari doit payer sont une dette de communauté, puisque

(1) Rejet, chambre civile, 19 janvier 1863 (Dalloz, 1863, 1, 86).

toute dette du mari est une dette de communauté; la femme en supportera donc la moitié. Au premier abord, ce résultat paraît très-injuste, et on serait tenté de croire que le mari doit toute la dette, puisqu'elle procède d'une faute qui lui est personnelle. Mais il ne suffit pas d'une faute pour que le mari soit tenu à récompense, il faudrait ou que la faute fût un délit, ou que le mari en eût tiré un profit personnel; hors de là, la communauté doit supporter les dettes du mari (1). On pourrait même contester que la femme renonçante eût un droit contre son mari du chef de l'administration de ses biens; nous reviendrons sur la question.

127. Le principe est donc que le mari, comme administrateur des biens de la femme, a les droits qui appartiennent à tout administrateur des biens d'autrui. On demande si la femme peut étendre les pouvoirs que la loi donne au mari sur ses biens. A vrai dire, ce n'est pas la loi qui les lui donne, il les tient de la convention tacite que les époux forment en se mariant sans contrat. Or, il est libre aux époux de déroger à la communauté légale et de faire telles. conventions qu'ils veulent. La femme est propriétaire; elle peut donc donner à son mari le pouvoir de faire des actes de disposition (2). C'est un mandat qui est régi par le droit commun.

Aux termes de l'article 1988, le mandat conçu en termes généraux n'embrasse que les actes d'administration. S'il s'agit d'aliéner ou hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès. » Ce principe s'applique-t-il au mandat que la femme donne au mari? Il ne peut pas s'agir d'un mandat d'administration, puisque le mari est de droit administrateur. Cela n'empêche pas que le pouvoir que la femme veut accorder à son mari de faire des actes de disposition ne doive être exprès. En faut-il conclure que ce pouvoir ne pourrait être général? Ce serait dépasser l'article 1988; tout ce qu'il exige, c'est que le pouvoir soit exprès; or, un pouvoir gé

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 175, no 71 bis XXIII. (2) Grenoble, 28 janvier 1852 (Dalloz, 1852, 2, 14).

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