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néral peut être exprès dans le sens de la loi, c'est-à-dire qu'il peut donner au mari le pouvoir d'aliéner et d'hypothéquer tous les biens de la femme. La cour de cassation semble assimiler la procuration générale de l'article 1988 et l'autorisation générale de l'article 223. Si telle est sa pensée, elle se trompe. L'article 223 défend au mari de donner à sa femme une autorisation générale de disposer de ses biens, parce qu'une autorisation pareille serait une abdication de la puissance maritale. Cela n'a rien de commun avec le mandat, et cela est surtout étranger au mandat que la femme donnerait à son mari. Aucun texte, aucun principe ne s'oppose à ce que ce mandat soit général, pourvu qu'il soit exprès.

Une femme donne procuration à son mari à l'effet de l'obliger à l'acquittement des dettes par lui précédemment contractées. Cette procuration est-elle expresse dans le sens de l'article 1988? Non, car l'acte ne spécifie pas les dettes, ni leur importance, dit la cour de cassation; elle en conclut que le mandat ne concernait que les actes d'administration (1). Nous doutons que tel soit le sens de l'article 1988; il n'exige pas que le mandat détaille et spécifie les actes que le mandataire, est autorisé à faire, il veut que le mandat soit exprès, en ce sens que le mandant déclare donner pouvoir de faire des actes de disposition. La femme pourrait donner au mari mandat de vendre et d'hypothéquer tous ses biens; ce mandat serait exprès, quoique général. Un autre arrêt, rendu dans une espèce identique, cite l'article 223; ce qui implique que la cour met la procuration générale sur la même ligne que l'autorisation générale (2). C'est confondre deux ordres d'idées tout à fait distincts: le mari abdiquerait sa puissance maritale par une autorisation générale de disposer; tandis que la femme n'a pas de puissance, elle n'est que propriétaire; à ce titre, elle peut donner un mandat aussi étendu qu'il lui plaît, pourvu qu'elle dise qu'il comprend les actes de disposition. Par suite elle pourrait donner au mari le

(1) Rejet, 19 mai 1840 (Dalloz, au mot Mandat, no 87).
(2) Cassation, 18 juin 1844 (Dalloz, au mot Mandat, no 88).

pouvoir de l'obliger indéfiniment, sans qu'elle doive indiquer la nature et le montant des dettes. La loi se contente d'un mandat exprès, la cour exige un mandat spécial : c'est dépasser la loi.

No 2. DES ACTES DE CONSERVATION.

128. Il est de principe que l'administrateur des biens d'autrui peut faire tout acte de conservation; c'est plus qu'un droit, c'est une obligation, car son premier devoir est de veiller à la conservation des biens qu'il est chargé d'administrer. L'article 450 dit du tuteur qu'il doit gérer en bon père de famille; donc il doit, avant tout, conserver. Il en est de même du mari. L'article 1428 le déclare responsable du dépérissement des biens de la femme, causé par défaut d'actes conservatoires. Il suit de là que c'est pour le mari une obligation de faire ces actes, ce qui implique le droit de les faire.

129. Quels sont les actes conservatoires que le mari a le droit et l'obligation de faire? Ce sont d'abord les réparations. L'article 1409 met à charge de la communauté les réparations usufructuaires des immeubles de la femme. Le mari est donc tenu de les faire à un double titre, et comme chef de la communauté, puisque c'est une dette de communauté, et comme administrateur légal des biens de la femme, puisque les réparations sont un acte essentiellement conservatoire. Quant aux grosses réparations, la femme doit les supporter, mais c'est au mari de les faire; car ces réparations sont un acte de conservation, puisqu'elles empêchent la ruine du bâtiment.

On suppose que le bâtiment tombe en ruine; il n'y a plus de réparations qui puissent le sauver. On demande si le mari a, comme administrateur, le droit de le reconstruire. La négative a été jugée par la cour de Paris, et elle est certaine. Reconstruire n'est pas un acte de conservation; ce pourrait être un acte d'administration analogue à un achat d'immeubles, ce qui est le placement le plus solide des économies. Mais, sous le régime de communauté, la femme n'a point d'économies à placer, puis

que tous ses revenus appartiennent au mari. La reconstruction ne pourrait donc se faire qu'avec les capitaux de la femme; or, le mari n'a pas le droit de disposer des capitaux, il faut donc le consentement de la femme; le mari peut aliéner les immeubles de la femme avec son consentement, dit l'article 1428; par la même raison, il peut disposer de ses capitaux pour reconstruire si la femme y consent. Ce consentement peut être tacite, c'est le droit commun. La cour de Paris a jugé que la femme consent quand elle concourt aux travaux avec son mari, soit pour donner des ordres aux architectes et ouvriers, soit pour diriger et surveiller les travaux (1).

130. L'interruption de la prescription est encore un acte de conservation, puisque les droits périssent quand la prescription n'est pas interrompue. Au titre de la Prescription, nous dirons comment se fait l'interruption. Il n'y a aucune difficulté quand il s'agit d'un droit mobilier; le mari a le droit de poursuivre le débiteur. L'article 1428 lui donne aussi le droit d'intenter les actions possessoires; il serait, par conséquent, responsable si, faute d'agir au possessoire, la femme perdait l'avantage attaché à la possession. Mais le mari n'a pas le droit d'intenter les actions immobilières (no 50). Il ne serait donc pas responsable pour n'avoir pas poursuivi les détenteurs des immeubles; seulement, en qualité d'usufruitier, il est soumis à l'obligation établie par l'article 604 : il doit avertir sa femme que ses immeubles sont possédés par des tiers et qu'il y a nécessité d'agir pour éviter la prescription. S'il ne le faisait pas, il manquerait à une obligation légale, sinon comme administrateur, du moins comme usufruitier; mais peu importe, puisque la responsabilité est la même. C'est une restriction au pouvoir du mari comme chef de la communauté; il n'est pas responsable à ce titre, et on pourrait dire qu'il a la jouissance des biens de la femme comme chef. Le texte de l'article 1409 répond à ce doute. Le mari est tenu des réparations usufructuaires,

(1) Paris, 4 janvier 1842, et Cassation, 14 juin 1820 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1303).

et il est responsable s'il ne les fait pas. Il y a même raison de décider pour l'obligation que l'article 614 impose à tout usufruitier : c'est un acte de conservation aussi bien que les réparations usufructuaires.

No 3. RECOUVREMENT DES CRÉANCES.

131. Poursuivre le recouvrement des créances et en toucher le montant est aussi un acte que les administrateurs peuvent faire. Si la loi permet seulement au mineur émancipé de recevoir ses revenus et d'en donner décharge, en lui défendant de recevoir et de donner décharge d'un capital mobilier (art. 481 et 482), c'est parce que le mineur émancipé est placé parmi les incapables; tous autres administrateurs peuvent recevoir le payement des créances: c'est pour ce motif que la loi leur donne les actions mobilières (1).

Il suit de là que le mari a le droit de toucher le prix des ventes immobilières faites par sa femme. Lui n'a pas le droit de vendre, parce que vendre est un acte de disposition que le propriétaire seul peut faire. Une fois la vente consommée, il ne reste qu'une dette mobilière; le mari en doit poursuivre le recouvrement, donc lui seul a qualité de recevoir; les acheteurs ne pourraient pas payer entre les mains de la femme. C'est l'application de l'article 1239, aux termes duquel le payement doit être fait à celui qui est autorisé par la loi à recevoir pour le créancier. Ce n'est pas que le prix doive nécessairement passer par la communauté, comme le dit Troplong (2); il peut être délégué en vertu de l'acte de vente à un créancier de la femme ou du mari; bien entendu que cette clause, comme la vente même, n'est valable qu'avec l'autorisation du mari.

132. De ce que le mari peut recevoir ce qui est dû à la femme, il faut se garder de conclure que, par un compte arrêté avec le débiteur, il puisse obliger la femme. La

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 344, note 9. § 510 (4e éd.).

(2) Troplong, t. I, p. 303, no 993.

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cour de cassation pose en principe que le mari ne peut pas obliger la femme envers les tiers sans son consentement exprès. Cela est trop absolu; le mari a le pouvoir d'administrer; or, on ne peut guère administrer sans s'obliger; en donnant à bail les biens de la femme, le mari s'oblige, et il oblige sa femme, qui est tenue d'exécuter le bail, alors même que la communauté est dissoute. Il faut donc dire que le mari ne peut obliger la femme que dans la limite des actes d'administration qu'il a le droit de faire. Hors de là, le mari ne peut obliger la femme sans son consentement, puisque hors de ces limites, le mari est sans pouvoir. Est-ce à dire, comme le fait la cour de cassation, qu'il faille le consentement exprès de la femme? Ce serait une dérogation au droit commun qui assimile le consentement tacite au consentement exprès. Nous venons de dire que la cour de Paris a vu un consentement valable dans le fait de surveiller et de diriger des travaux, ce qui n'est pas un consentement exprès (no 129).

C'est avec ces restrictions que nous admettons le principe formulé par la cour de cassation. Dans l'espèce, le mari avait reçu des remises de sommes dues à la femme; la femme, de son côté, était débitrice. Si le mari s'était borné à recevoir les remises en déduction de ce que la femme devait, il serait resté dans sa mission d'administrateur; mais l'arrêté de compte aboutissait à constituer la femme débitrice; le mari obligeait donc la femme, et il ne l'obligeait pas pour un acte d'administration; il dépassait, par conséquent, la limite de ses pouvoirs (1).

133. Le mari peut-il toucher les créances de la femme lorsque le contrat de mariage contient une clause d'emploi ou de remploi? Nous avons dit en traitant de ces clauses qu'en général elles n'ont aucun effet à l'égard des tiers (t. XXI, nos 387-389). Il suit de là que les tiers doivent, malgré la clause d'emploi, payer entre les mains du mari administrateur légal. Mais la clause peut être conçue de manière qu'elle ait effet à l'égard des tiers; il faut, en ce cas, se conformer au contrat de mariage; les tiers ne

(1) Cassation, 19 août 1857 (Dalloz, 1857, 1, 339).

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