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pourront plus payer au mari sans le concours de la femme si tel est l'objet de la clause. C'est l'application du droit commun. Les conventions matrimoniales peuvent être opposées aux tiers et ils en profitent, en ce sens que les droits des époux sont déterminés par le contrat de mariage; le contrat peut étendre et restreindre les pouvoirs du mari, pourvu qu'il ne soit pas contraire aux dispositions prohibitives du code civil. Les clauses de remploi sont-elles valables? Nous renvoyons, sur ce point, à ce qui a été dit ailleurs. A notre avis, l'affirmative n'est pas douteuse; c'est l'opinion de la plupart des auteurs et elle est consacrée par la jurisprudence. Cela décide la question en ce qui concerne le droit du mari de toucher les créances de la femme; ce droit peut être limité, avec effet à l'égard des tiers (1).

No 4. DES BAUX.

I. Quels baux le mari peut faire.

134. Le bail est-il un acte d'administration? D'après l'article 1429, le bail est un acte d'administration quand il ne dépasse pas neuf ans; il est considéré comme un acte de disposition quand il excède ce terme. Le code applique ce principe aux baux faits par l'usufruitier (t. VI, p. 458469), par le tuteur (art. 1718) et par le mineur émancipé (art. 481). Il en est de même des baux faits par le mari administrateur légal; il peut faire des baux de neuf ans obligatoires pour la femme ou ses héritiers lors de la dissolution de la communauté. D'après la rigueur des principes, l'administrateur, de même que l'usufruitier, n'a le droit d'agir que pendant la durée de sa gestion; dès que son administration cesse, il est sans pouvoir. La loi déroge à ce principe en donnant force obligatoire, même après la dissolution du mariage, aux baux que le mari a faits. Nous en avons dit la raison en traitant de

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 344 et notes 12 et 13, § 510. En sens contraire, Troplong, t. I, p. 327, no 1085

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l'Usufruit. Il est de l'intérêt de la femme que les biens dont le mari a l'administration soient loués à des locataires soigneux et, quand il s'agit de biens ruraux, à des fermiers capables. Or, le mari ne trouverait pas des locataires et des fermiers convenables si le bail pouvait être méconnu par la femme ou ses héritiers. Qu'en résulterait il? C'est que le mari ne pourrait pas louer, ou qu'il ne louerait qu'à des conditions désavantageuses. Son intérêt comme usufruitier et l'intérêt de la femme propriétaire en souffriraient; l'intérêt général même serait Îésé, puisque le développement de la richesse publique serait entravé. Les principes de droit ont dû céder devant des considérations aussi puissantes. En conséquence, les baux de neuf ans sont obligatoires pour la femme ou ses héritiers (1).

135. Faut-il conclure de là que les baux qui excèdent neuf ans sont nuls? L'article 1429 ne dit pas cela; il établit seulement en principe que ces baux ne sont obligatoires pour la femme, lors de la dissolution de la communauté, que pour une période de neuf ans. Pourquoi le mari ne peut-il pas faire des baux de plus de neuf ans obligatoires pour la femme? C'est qu'un bail à longs termes compromet l'exercice du droit de propriété. La femme ou ses héritiers, propriétaires, ont le droit de jouir comme ils l'entendent; or, s'ils étaient liés par un bail de plus de neuf ans, ils pourraient se trouver dans l'impossibilité de jouir pendant de longues années, peut-être pendant toute leur vie. De plus, leur droit de disposition serait entravé; on vend difficilement des biens grevés d'un long bail ou on les vend à des conditions défavorables; cela est vrai aussi de l'hypothèque. Il fallait donc limiter la durée des baux que peuvent faire les administrateurs; aucun intérêt légitime n'exige qu'ils dépassent la durée ordinaire de neuf ans, et dès qu'ils dépassent ce terme, ils compromettent le droit de propriété, et il serait contraire à tout principe qu'un simple administrateur pût enchaîner le droit du propriétaire. On dit d'ordinaire que les longs baux

(1) Duranton, t. XIV, p. 422, no 310.

faits par le mari seraient suspects de fraude; nous faisons abstraction de la fraude; le mari peut être de trèsbonne foi en contractant un bail à long terme, ce bail peut même être avantageux; aussi la loi ne le frappe-t-elle pas de nullité, comme elle le ferait si elle présumait la fraude. Nous reviendrons sur les baux faits en fraude de la femme (1).

136. Quel est l'effet des baux excédant neuf ans? L'article 1429 dispose qu'ils ne sont, en cas de dissolution de la communauté, obligatoires à l'égard de la femme que pour neuf ans. Ce n'est donc que lors de la dissolution. de la communauté que le bail est réduit à la période de neuf ans où le fermier se trouve. Pendant la durée de la communauté, la femme n'a aucun droit ni aucun intérêt à se plaindre du bail; ce n'est pas elle qui jouit, c'est le mari. Celui-ci ne peut jamais attaquer le bail qu'il a consenti et le preneur est également lié. Ainsi le bail est à l'abri de toute attaque tant que la communauté dure. C'est uniquement dans l'intérêt de la femme propriétaire que la loi limite la durée des baux que le mari peut faire; or, la femme n'a de droit qu'à la dissolution de la communauté.

Quel est le droit de la femme lors de la dissolution de la communauté? On dit d'ordinaire que le bail est nul, mais que la nullité est relative. Il y a un arrêt de la cour de Douai en ce sens (2). Cela n'est pas exact. L'article 1429 ne dit pas que le bail est nul et que la femme en peut demander la nullité; il lui donne seulement le droit d'en demander la réduction à neuf ans. La loi divise le bail en périodes de neuf ans d'après l'usage; si, à la dissolution de la communauté, le fermier se trouve encore dans la première période d'un bail de vingt-sept ans, la femme est obligée de le respecter pour tout le temps qui reste à courir de cette période; le bail est donc réduit si la femme l'exige, il n'est pas nul. Si le fermier se trouve dans la seconde période de neuf ans ou dans la troisième, il a le

(1) Mourlon, Répétitions, t. III, p, 60, no 148. (2) Douai, 18 mars 1852 (Dalloz, 1853, 2, 20.

droit d'achever la période de neuf ans où il se trouve; le bail est donc toujours maintenu pour la période de neuf ans qui est commencée lors de la dissolution de la communauté; au delà il n'est pas obligatoire pour la femme.

L'article 1429 s'applique à tout bail; si la loi parle du fermier, c'est parce que les baux à longs termes ne se font guère que pour les baux ruraux. Si un bail à loyer était fait pour plus de neuf ans, il va sans dire que la loi serait applicable.

137. L'application de la loi donne lieu à quelques difficultés, que nous avons déjà examinées au titre de l'Usufruit. Si la femme demande la réduction du bail, le preneur aura-t-il droit à une indemnité contre le mari? On admet généralement que le preneur ne peut pas réclamer d'indemnité, à moins que le mari ne se soit porté fort pour la femme ou qu'il n'ait trompé le fermier en louant comme propriétaire. En effet, le bail qui excède neuf ans n'est pas nul, il reçoit son entière exécution pendant la durée de la communauté. Si, à la dissolution de la communauté, la femme en demande la réduction, le fermier n'a point le droit de se plaindre, car, traitant avec le mari administrateur légal, il savait que le bail ne serait obligatoire à l'égard de la femme que pour une période de neuf ans; son droit n'étant pas lésé, il ne peut pas demander de dommages-intérêts. Le fermier n'a de droit que si le mari s'est obligé à son égard soit par convention, soit par dol. Puisque le mari ne doit pas d'indemnité, il s'ensuit que la femme, qui serait légataire ou donataire universelle, n'est pas obligée de respecter le bail pour plus de neuf ans. Le bail fait par le mari est essentiellement un bail d'administration; le contrat ne doit pas même le dire, cela résulte de la qualité du bailleur; le preneur n'a donc d'autres droits que ceux que lui donne un bail d'administration, c'est-à-dire qu'il peut seulement achever la période de neuf ans où il se trouve à la dissolution de la communauté (1).

(1) Voyez le tome VI de mes Principes, p. 580, no 462. Bruxelles, 29 juillet 1812 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1371). Duranton, t. XIV, p. 426, no 314. Toullier, t. VI, 2, p. 353, no 406.

138. Le mari peut-il résilier un bail qui avait été consenti, avant le mariage, par la femme? Nous renvoyons à ce qui a été dit au titre de l'Usufruit sur le droit de l'usufruitier; la question est identique (1).

139. Le mari peut-il stipuler que le fermier payera par anticipation? On ne peut contester le droit du mari, puisque cette clause est d'usage, surtout dans les baux à ferme. Il ne faut pas perdre de vue que le mari a droit aux fermages comme chef de la communauté; il est donc non-seulement administrateur, il est aussi usufruitier, partant il peut faire toutes les stipulations que la loi et les principes permettent à l'usufruitier. Le mari a droit aux loyers et fermages jusqu'à la dissolution de la communauté; s'il touche par anticipation des revenus qui, de fait, n'échoient qu'après la dissolution de la communauté, il est dû récompense à la femme. Sur ce point, il n'y a pas de doute. Il y a une autre difficulté. Le mari ne peut faire que des baux d'administration; toutes les clauses du bail doivent être conçues dans l'intérêt de la femme propriétaire. A ce titre, il peut stipuler le payement anticipatif des fermages en se conformant à ce qui est d'usage. Mais le mari ne peut pas faire de bail de disposition et il ne peut pas davantage insérer dans le bail des clauses qu'un propriétaire seul a le droit de stipuler, parce que ces clauses pourraient nuire à la femme; toute convention qui est faite dans le seul intérêt du mari, et qui peut compromettre les droits de la femme, est nulle comme dépassant le pouvoir d'administration du mari. La cour de cassation l'a jugé ainsi dans une espèce où le preneur s'obligeait à endosser les valeurs fournies par le mari jusqu'à concurrence de 25,000 francs; tous les loyers à courir étaient spécialement affectés au remboursement de cette somme. La cour d'appel avait déclaré cette clause valable en posant comme principe que le mari a le droit absolu de disposer par anticipation des loyers à échoir, même après la dissolution de la communauté. C'était reconnaître

(1) Jugé que le mari peut résilier le bail. Paris, 26 avril 1850 (Dalloz, 1851, 2, 180).

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