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tradition dans la matière de la communauté, s'en sont écartés en ce point. Quelle en est la raison? La continuation de la communauté donnait lieu à des difficultés et à des contestations entre les enfants et le survivant des père et mère, dans le cas fréquent où celui-ci contractait un second mariage; il se formait alors une nouvelle communauté par suite du second mariage, et la communauté avec les enfants du premier lit continuait néanmoins. Les deux communautés se confondaient en une seule que l'on appelait tripartite, parce qu'elle se partageait en trois têtes, l'époux survivant, les enfants du premier lit et le second conjoint. Cet enchevêtrement de deux communautés ayant chacune leur actif et leur passif, leurs récompenses, leurs rapports et leurs reprises, était une mine à procès. C'était assez mal sauvegarder les intérêts des enfants. que de les engager dans une société aussi compliquée et dans des procès presque ínévitables avec leur père ou leur mère (1). De plus, et ceci est un point décisif, la continuation de la communauté heurtait tous les principes de droit et de justice. C'est ce que l'orateur du gouvernement a très-bien exposé. On voulait punir l'époux survivant de ce qu'il avait négligé de faire inventaire. Toute peine suppose une faute. Y avait-il nécessairement faute dans le seul fait de ne pas dresser inventaire? Si le survivant ne faisait pas inventaire, c'était souvent par ignorance, ou pour éviter les frais quand l'actif de la communauté était modique; et comme les petites successions forment le grand nombre, la peine frappait d'ordinaire des parents qui n'étaient pas coupables. La continuation de la communauté blessait les principes de droit autant que l'équité; c'était une anomalie injustifiable: une société qui se dissout et qui se continue, une société que le survivant contractait sans le vouloir et souvent sans le savoir (2).

178. Il y avait un moyen plus simple de garantir les intérêts des enfants et de tous ceux qui étaient intéressés à ce que la consistance de la communauté fût exactement

(1) Rodière et Pont, t. II, p. 273, no 992.

(2) Berlier, Exposé des motifs, no 15 (Locré, t. VI, p. 392).

constatée : c'est de leur permettre d'établir la consistance du mobilier non inventorié par toutes voies de droit, même par la commune renommée. Tel est le système du code; il y ajoute une double peine quand il y a des enfants mineurs. D'abord le survivant des père et mère est déchu de l'usufruit légal, c'est en même temps un avantage pécuniaire pour les enfants. Puis, si ceux-ci éprouvent un préjudice du défaut d'inventaire, ils peuvent réclamer les dommages et intérêts, non-seulement contre leur père ou leur mère, mais encore contre le subrogé tuteur.

179. Dans quel délai l'époux survivant doit-il faire inventaire pour ne pas encourir les pénalités que la loi attache au défaut d'inventaire? L'article 1442 ne prescrit aucun délai. De là une grave difficulté. De ce que la loi ne dit pas que l'inventaire doit être dressé de suite, faut-il conclure qu'il pourra toujours être fait? Cela est absurde, dit-on, et en opposition avec l'esprit de la loi: Pourquoi la loi veut-elle qu'il y ait un inventaire? C'est le seul moyen d'empêcher que le mobilier de la communauté ne soit dissipé ou diverti, au préjudice des héritiers de l'époux prédécédé et au détriment des créanciers. Il faut donc un inventaire; mais pour que l'inventaire soit une garantie, il faut qu'il soit dressé immédiatement. Si l'on peut le faire après des années, il sera impossible de constater d'une manière certaine la consistance du mobilier de la communauté; quand même on supposerait qu'il n'y a aucune négligence, aucun dol, il sera difficile et le plus souvent impossible de distinguer le mobilier de la communauté du mobilier propre à l'époux survivant. Un inventaire tardif n'offre plus aucune garantie. En droit, rien n'est plus vrai. On en conclut que l'inventaire doit être fait dans le délai ordinaire que la loi prescrit, celui de trois mois; c'est dans ce délai que les successibles doivent faire inventaire, c'est encore dans ce délai que la veuve doit faire inventaire, si elle veut conserver la faculté de renoncer (art. 1456). Dans l'ancien droit, les coutumes avaient aussi négligé de prescrire le délai dans lequel le survivant devait faire inventaire pour empêcher la continuation de la communauté. L'usage, dit Pothier, l'a déterminé à trois mois

n'est-il pas naturel de penser que les auteurs du code s'en sont rapportés à cet usage (1)?

Telle est l'opinion le plus généralement suivie (2). Toutefois il reste bien des incertitudes dans la doctrine, et la jurisprudence est divisée. Il y a des auteurs qui appliquent l'article 451, aux termes duquel le tuteur doit procéder à l'inventaire dans les dix jours (3). Cette opinion est inadmissible, il n'y a rien de commun entre l'inventaire de tutelle et l'inventaire de l'article 1442. Proudhon a un autre système qui est également resté isolé ; il est inutile de l'exposer et de le combattre, puisque personne n'en veut. Nous croyons qu'il n'appartient pas à l'interprète d'établir un délai fatal dans lequel une formalité doit être remplie sous peine de déchéance. Car il s'agit d'une déchéance et de dispositions pénales; c'est ce que les partisans de l'opinion générale paraissent avoir oublié (4) : la preuve par commune renommée est admise à titre de peine, la perte de l'usufruit est une peine, et c'est encore une peine que la responsabilité solidaire du subrogé tuteur. Or, peut-il y avoir une peine sans loi qui la prononce? L'article 1442 établit, à la vérité, les peines que nous venons de rappeler; il les attache au défaut d'inventaire, mais il ne dit pas qu'elles sont encourues par cela seul que l'inventaire n'est point dressé dans les trois mois. C'est ajouter à la loi et aggraver la peine que de fixer le délai après lequel elle sera encourue. En tout cas, c'est là une disposition purement arbitraire que le législateur seul peut prescrire. Pourquoi trois mois plutôt que dix jours? Les deux délais se trouvent dans le code : pourquoi la doctrine et la jurisprudence adoptent-elles le délai de trois mois? Il peut y avoir de bonnes raisons en théorie, mais ces raisons sont à l'adresse du législateur.

On dit que cette opinion conduit à l'absurde. L'époux

(1) Pothier, De la communauté, no 795.

(2) Aubry et Rau, t. V, p. 383, note 2, § 515. Colmet de Santerre, t. VI. p. 228, no 89 bis III.

(3) Toullier, t. VII, 1. p. 20, no 16. En sens contraire, Odier, t. I, p. n 364.

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(4) Troplong discute longuement la question (nos 1290-1295), et ne dit pas un mot du motif qui seul rend la question douteuse.

survivant échappera-t-il aux peines de l'article 1442 en faisant un inventaire après six ans, c'est-à-dire un inventaire dérisoire? Il y a, sur notre question, un excellent arrêt de la cour de Bourges qui répond à l'objection autant qu'il est possible d'y répondre. Dans l'espèce, il s'agissait de la déchéance de l'usufruit légal que l'on réclamait contre le père pour n'avoir pas procédé à l'inventaire dans le délai de trois mois. L'usufruit légal, dit la cour, est un des attributs de la puissance paternelle, et il est d'un grand intérêt social de conserver cette puissance intacte. Il est certain que la privation de l'usufruit a pour résultat d'amoindrir, dans une certaine mesure, l'autorité paternelle on punit le père au profit de l'enfant. Au point de vue moral, la peine est très-grave; on ne doit donc la prononcer qu'avec la plus grande circonspection. Or, toute peine suppose une faute; le père est-il en faute par cela seul qu'il n'a pas dressé l'inventaire dans un délai que la loi ne prescrit point? La justice criminelle n'hésiterait pas à répondre négativement. Or, les principes sont identiques: le juge civil ne peut, pas plus que le juge criminel, établir des peines que la loi ne prononce pas. Que faut-il faire, dans le silence du code sur le délai dans lequel l'inventaire doit être dressé? Le juge doit constater que le défaut d'inventaire a causé un préjudice aux mineurs ou aux autres parties intéressées s'il y a préjudice, il y a faute, et partant la peine doit être prononcée. S'il n'y a pas de préjudice, il n'y a point de faute, et sans faute il ne saurait y avoir de peine. Dira-t-on que cela aboutit à un cercle vicieux? Comment constater qu'il y a préjudice? Il faudrait constater la consistance du mobilier; or, le seul moyen de le constater, c'est l'inventaire. La cour de Bourges répond que le juge décidera d'après les circonstances de la cause. Il ne suffira pas que le survivant fasse un inventaire à une époque quelconque pour échapper aux peines de l'article 1442; si, par le long espace de temps qui s'est écoulé entre le décès et l'inventaire, il s'est opéré une confusion de biens que le législateur a voulu prévenir, les tribunaux pourront n'avoir aucun égard à l'inventaire, puisque cet inventaire ne répond pas au vou de la loi et,

par suite, ils déclareront le père déchu de l'usufruit légal. Dans l'espèce, le père avait fait dresser un inventaire dans les quatre mois du décès; la sincérité et l'exactitude de l'inventaire n'étaient pas contestées; il n'y avait donc pas de faute en fait, et en droit il n'y avait pas de violation de la loi, puisqu'elle ne prescrit pas de délai fatal (1). On voit qu'il y a des cas où l'on regretterait qu'il y eût un délai légal; toutefois nous préférerions que le code eût fixé un délai, il aurait prévenu l'arbitraire du juge; et les bonnes lois, dit Bacon, sont celles qui abandonnent le moins à l'arbitraire de celui qui les applique.

180. On suppose que l'inventaire n'est pas fait dans les trois mois, les pénalités de l'article 1442 sont encourues le juge peut-il relever de ces peines l'époux survivant? En théorie, il est certain que le juge n'a pas ce droit quand un délai est fatal; et si l'on admet que l'inventaire doit être fait dans les trois mois, il est difficile de ne pas admettre que le délai est fatal (1). Mais autre est la question de légalité. Si un tribunal décidait, comme l'a fait la cour de Bourges, que le père n'a pas encouru les pénalités parce qu'il n'est pas en faute, y aurait-il lieu à cassation? Nous ne voyons pas comment on pourrait casser une décision pour violation de la loi alors qu'il n'y a point de loi. C'est encore un argument contre l'opinion que nous venons de combattre, et il nous paraît décisif. On prétend qu'il y a un délai légal dans lequel l'inventaire doit être fait, et la cour de cassation ne pourrait pas casser un arrêt qui déciderait que les pénalités ne sont pas encourues, quoique l'inventaire n'ait pas été fait dans le prétendu délai légal (2). La jurisprudence des cours d'appel se prononce contre la déchéance absolue. Il a été jugé que la déchéance ne doit pas être prononcée quand il n'y a pas de faute à reprocher au père survivant; dans l'espèce, l'inventaire n'avait pas été dressé dans le délai de trois mois, mais le retard de quelques jours était dû à un empêchement du notaire; du reste, l'arrêt constate que tout avait

(1) Bourges, 14 février 1859 (Dalloz, 1860, 2, 52). Dans le même sens, Mourlon, t. III, p. 80, no 185.

(2) Rodière et Pont, t. II, p. 292, no 1006.

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