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compensation une rente viagère. Il fallait une singulière ignorance pour consentir des conventions toutes radicalement nulles en vertu de dispositions formelles du code(1). Les clauses pénales ajoutées à une convention nulle sont également frappées de nullité par le texte de la loi (article 1227); et, dans l'espèce, la convention était plus que nulle, elle était inexistante (2). Il est cependant arrivé que les parties ont exécuté les conventions en procédant à une liquidation et au partage de la communauté; le mari a délivré à la femme ses reprises. De là des difficultés quand l'une des parties intéressées demande la nullité des conventions et de tous les actes d'exécution. Est-ce que la femme devra restituer tout ce qu'elle a reçu? On enseigne que le mari n'est point libéré par les payements qu'il fait; que malgré ces payements la femme a le droit d'exercer ses reprises, à la charge seulement de tenir compte des valeurs qui existeraient encore entre ses mains ou qui auraient tourné à son profit (3). Ce dernier point nous paraît plus que douteux. Que la femme puisse exercer tous ses droits, comme s'il n'y avait pas eu de convention, cela est certain, puisque la convention n'a aucune existence légale et ne peut produire aucun effet; mais, de son côté, la femme doit restituer ce qu'elle a reçu, parce qu'elle l'a reçu sans cause et qu'elle le retiendrait sans cause. En la déclarant tenue seulement jusqu'à concurrence de ce dont elle a profité, on la met sur la même ligne que le mineur et l'on suppose qu'il y avait dette; l'article 1241 dit que le payement fait au créancier est nul s'il était incapable de le recevoir, à moins que le débiteur ne prouve que la chose payée a tourné au profit du créancier. Cette disposition est inapplicable dans l'espèce, car il n'y a ni créancier ni débiteur. Il y a une convention illicite; l'article 1131 dit que cette convention ne peut produire aucun effet; donc les parties doivent être mises dans la situation où elles étaient avant d'avoir contracté. Cela décide la question.

(1) Riom, 9 juin 1817 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1698). (2) Caen, 14 novembre 1825 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1713). (3) Aubry et Rau, t, V, p. 386 et note 18, § 515, et les autorités qu'ils

citent.

On objectera que le payement étant indû, il faut appliquer à la femme le principe que celui qui reçoit de bonne foi ce qui ne lui est pas dû n'est tenu de restituer qu'en tant qu'il a profité du payement. Nous répondons que la femme ne peut pas invoquer ce principe; elle est partie à une convention illicite, donc elle est en faute aussi bien que le mari; c'est le cas des articles 1131 et 1133, et non le cas du quasi-contrat du payement indû prévu par l'arti-cle 1376 (1).

ARTICLE 2. De la séparation judiciaire (*).

§ Ier. Qui peut demander la séparation?

No 1. DE LA FEMME.

199. La femme peut demander la séparation de biens, le mari ne le peut pas (art. 1443). Pothier dit que la raison en est que le mari a seul en sa libre disposition tous les biens de la communauté (3). C'est, en effet, le pouvoir absolu du mari qui justifie le droit ou le privilége que la loi accorde à la femme. Elle est exclue de l'administration; quand même le mari dissiperait la communauté par de folles dépenses ou par de malheureuses spéculations, elle n'a pas le droit de s'y opposer. Cependant elle est associée, elle apporte sa dot, son travail, son économie dans la gestion des intérêts communs, toute sa fortune peut être et sera souvent engagée dans la société conjugale si le mari dissipe les biens, la femme perdra tout ce qui, de son chef, sera entré dans la communauté, en biens, en soins, en épargnes, et elle se verra réduite à la misère avec ses enfants. La loi devait à la femme une compensation. Quand il est prouvé que la communauté,

(1) C'est à peu près l'opinion de Troplong, sauf qu'il noie sa pensée dans un déluge de paroles (t. I, p. 393, no 1349).

(2) Dutruc, Traité de la séparation de biens judiciaire. Paris, 1853, 1 vol. in 8°.

(3) Pothier. De la communauté, no 513.

organisée dans l'intérêt des deux époux, menace de devenir désastreuse pour la femme, elle doit avoir le droit d'en demander la dissolution.

Le motif qui justifie le droit de la femme prouve en même temps que le mari ne peut pas l'avoir. C'est une garantie contre le pouvoir absolu dont il jouit. Celui qui exerce ce pouvoir absolu ne peut pas demander qu'il prenne fin parce qu'il tourne à son préjudice. Il doit subir les mauvaises conséquences qui résultent de l'autorité absolue comme il profite de ses bénéfices. Toutefois le mari peut indirectement obtenir la séparation de biens, s'il demande la séparation de corps. Mais ceci est un tout autre ordre d'idées. La communauté peut être florissante quand l'un, des époux ou tous les deux demandent la séparation de corps qui dissoudra leur société; c'est parce que les obligations nées du mariage ont été violées que la loi la loi permet aux époux de mettre fin à la vie commune; les causes qui donnent lieu à la séparation de corps n'ont rien de commun avec les motifs pour lesquels la femme peut obtenir la séparation de biens.

200. La femme demande la séparation de biens. Elle vient à mourir pendant l'instance: est-ce que ses héritiers pourront la continuer? En général, toute instance peut être reprise par les héritiers; et il est de principe que les droits, personnels de leur nature, cessent de l'être du moment qu'ils sont introduits en justice. Ce principe décide notre question. Des droits pécuniaires sont attachés à la séparation de biens, c'est dans un intérêt pécuniaire que la demande est formée; cet intérêt est non-seulement celui de la femme, c'est aussi l'intérêt de ses héritiers et, avant tout, de ses enfants. Il faut donc que les héritiers aient le droit de poursuivre la demande formée par la femme. Qu'importe que le droit de la femme soit une espèce de privilége? Il reste vrai de dire que la femme doit obtenir par sa demande ce qu'elle aurait obtenu si le juge avait pu rendre immédiatement sa décision : elle aurait recueilli alors les avantages de la demande en séparation, et elle les aurait transmis à ses héritiers. Ce sont là les motifs pour lesquels un droit personnel devient un droit patri

monial quand il est réclamé en justice. Pourquoi le droit de la femme ferait-il exception? Elle a demandé la dissolution d'une communauté mauvaise, parce qu'elle attendait une succession et qu'elle voulait sauver ce débris de sa fortune pour elle et pour ses enfants. Elle meurt pendant l'instance: est-ce une raison pour que les biens de la succession entrent en communauté et qu'ils soient absorbés par les créanciers? La femme et ses enfants auraient recueilli les biens si l'instance avait pu se terminer immédiatement. Il ne faut pas que les lenteurs nécessaires de la justice nuisent aux parties intéressées. Cela décide la question en raison comme en droit.

On objecte que l'action en divorce et l'action en séparation de corps tombent, dans l'opinion que nous avons enseignée, quand l'époux demandeur vient à mourir; ses héritiers ne peuvent pas poursuivre l'instance, quoiqu'ils y aient un intérêt pécuniaire. La réponse est facile. Les intérêts pécuniaires ne sont qu'un accessoire dans la demande en divorce et en séparation de corps; c'est une conséquence de l'action, ce n'est pas l'objet que les parties ont en vue. Or, l'action principale est éteinte par la mort, les héritiers ne peuvent pas la continuer; par suite ils sont non recevables à poursuivre l'action en ce qui concerne les intérêts pécuniaires (t. III, nos 217 et 356). Quand la femme demande la séparation de biens et qu'elle vient à décéder avânt le jugement, on ne peut pas dire aux héritiers: A quoi bon demander la dissolution de la communauté alors qu'elle est dissoute? Les héritiers répondraient que la demande de la femme avait pour objet non-seulement d'obtenir la dissolution de la communauté, mais aussi de profiter de tous les droits qui sont attachés à la séparation. Nous avons cité le cas où une succession va s'ouvrir à son profit: l'intérêt de la demande subsiste, quoique la mort ait dissous la communauté. De même si le mari a fait des actes d'administration ou de disposition qui lèsent les intérêts de la femme et portent atteinte à ses droits, il y a un intérêt pécuniaire pour les héritiers à poursuivre l'action; c'est pour sauvegarder cet intérêt qu'on doit les admettre à reprendre l'instance.

C'est l'opinion de la plupart des auteurs (1). La jurisprudence s'est prononcée pour l'opinion contraire (2). Elle est sans autorité en cette matière, parce que les cours ne donnent aucun motif à l'appui de leur décision, et des arrêts non motivés ne sont que de simples affirmations.

No 2. DES CRÉANCIERS.

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201. Aux termes de l'article 1446, les créanciers personnels de la femme ne peuvent, sans son consentement, demander la séparation de biens. » C'est une dérogation aux principes généraux, plutôt qu'une application de ces principes. L'article 1166 établit comme règle que << les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à sa personne. » La difficulté est de savoir si le droit de demander la séparation de biens est exclusivement attaché à la personne de la femme. Si l'on admet la définition que nous avons donnée des droits personnels au point de vue de l'article 1166, il faut dire que ce droit n'est pas exclusivement attaché à la personne de la femme débitrice. En effet, c'est un droit essentiellement pécuniaire, puisqu'il a pour objet de sauvegarder les intérêts pécuniaires de la femme. Il y a, il est vrai, un élément moral en cause, mais ce n'est certainement pas l'élément dominant. On dit que la séparation de biens, en séparant les intérêts pécuniaires des époux, menace de relâcher le lien des âmes; cela est très-vrai; mais comme en droit le mariage subsiste avec toutes ses conséquences, le législateur n'a pas tenu compte de cette considération, et l'interprète, à notre avis, n'aurait pu en tenir compte pour refuser aux créanciers le droit d'agir. On dit que c'est précisément à raison des conséquences de la séparation de biens que la loi ne donne pas aux créanciers le droit de la demander. La femme peut ne pas demander la séparation

(1) Voyez les citations dans Aubry et Rau, t. V. p. 388. note 2, §516. Il faut ajouter Colmet de Santerre, t. VI, p. 245, no 95 bis I.

(2) Douai 23 mars 1831 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1669). Bastia, 7 juillet 1869 (Dalloz, 1872, 1, 260).

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