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comme renonçante et comme acceptante; elle devra donc rapporter à la communauté les apports que les créanciers auront repris (1).

Sur ce point, il n'y a aucun doute. Mais que faut-il décider quant aux revenus des valeurs que les créanciers reprennent au nom de la femme renonçante? La renonciation de la femme était une fiction; de fait la communauté n'a jamais été dissoute entre les époux; or, la communauté a droit aux revenus des biens de la femme; elle a été privée de ces revenus par l'exercice anticipé des droits que la femme régulièrement ne peut exercer qu'à la dissolution de la communauté. Comme les créanciers ont agi au nom de la femme, il en résulte que c'est la femme qui a privé la communauté des revenus auxquels celle-ci a droit. Par conséquent elle devra compte de ces revenus à la masse lors de la liquidation. De son côté, la communauté tiendra compte des intérêts des dettes de la femme qu'elle aurait dû supporter et qu'elle ne supporte pas, puisque les créanciers ont été payés (2).

§ II. Des causes pour lesquelles la femme peut demander la séparation de biens.

No 1. LE TEXTE.

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208. La séparation de biens ne peut être poursuivie qu'en justice par la femme dont la dot est mise en péril, et lorsque le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre que les biens de celui-ci ne soient point suffisants pour remplir les droits et reprises de la femme » (article 1443). Il y a peu de dispositions dans le code qui aient donné lieu à autant de décisions judiciaires que celle-ci. Cela prouve qu'elle n'est pas très-claire. On demande si l'article 1443 prévoit deux causes différentes pour lesquelles la femme peut demander la séparation, ou si les deux causes que la loi énumère n'en font réellement qu'une

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 248, no 95 bis V.

(2) Marcadé, t. V, p. 589, no 1, de l'article 1447. En sens contraire, Colmet de Santerre, t. VÌ, p. 248, no 95 bis VI.

seule. Puis on demande si ces deux causes sont les seules pour lesquelles la séparation puisse être obtenue. La loi est-elle restrictive? La doctrine et la jurisprudence se sont attachées à l'esprit de la loi, de préférence à un texte mal rédigé, et elles ont permis à la femme de demander la séparation dans tous les cas où l'intérêt de la femme l'exige. N'est-ce pas dépasser le texte de la loi? et l'interprète a-t-il ce droit? Il faut, avant tout, expliquer le texte, car l'interprétation des termes de la loi est controversée.

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209. La femme peut demander la séparation quand sa dot est mise en péril. Qu'entend-on par dot dans l'article 1443? Ce mot a un sens technique défini par l'article 1540 « La dot est le bien que la femme apporte au mari pour supporter les charges du mariage. L'article 1540 dit expressément que cette définition s'applique au chapitre II, c'est-à-dire au régime de la communauté. Il y a donc dot sous ce régime: quels biens sont dotaux? Le mobilier présent et futur de la femme entre en communauté; la femme ne le reprend pas, à la vérité, comme sous le régime dotal, néanmoins c'est un bien qu'elle apporte au mari pour l'aider à supporter les charges du mariage; donc c'est une dot et, par conséquent, cette dot tombe sous l'application de l'article 1443; si elle est mise en péril, la femme peut demander la séparation de biens. Quand peut-on dire qu'elle est mise en péril? C'est ce que nous examinerons plus loin. Pour le moment, nous constatons seulement le sens du mot dot. La définition qu'en donne l'article 1540 doit recevoir son application à l'article 1443; cela est de tradition. Toullier cite la coutume de Bretagne; la plus ancienne rédaction portait : « Les biens meubles sont par coutume attribués au mari, et en peut faire sa volonté, faisant providence à sa femme advenantement (c'est-à-dire entretenant sa femme honnêtement, comme dit la nouvelle coutume), durant le mariage entre eux, jusque tant que le mari mal use. » Quand le mari mal use des biens meubles, la dot est mise en péril, aux termes de l'article 1443, bien que la dot appartienne au mari, mais elle lui est apportée avec une destination, une charge; le mari doit l'employer à cette destination con

ventionnelle; s'il ne le fait en péril (1).

pas, il mal use; donc la dot est

Les revenus des propres de la femme sont également dotaux, puisqu'ils entrent en communauté pour aider le mari à supporter les charges du mariage. Il faut dire des revenus des immeubles ce que nous venons de dire des meubles ils deviennent la propriété du mari, mais c'est avec une charge, ou une destination résultant de la convention tacite des époux; les revenus doivent être employés aux besoins de la famille. En ce sens, ils sont dotaux, quoiqu'ils soient propriété du mari; et si le mari en use mal, la dot est en péril.

En définitive, sous le régime de communauté légale, la dot devient toujours la propriété du mari; et quoiqu'il soit de principe que le mari est seigneur et maître de la communauté et qu'il peut perdre et dissiper les biens communs, il y a un contre-poids à cette autorité absolue. S'il abuse, la femme peut demander la séparation, c'est-à-dire la dissolution d'une société qui n'est pas contractée pour donner au mari le droit d'abuser. En ce sens, la dot de la femme est en péril, quoiqu elle en ait transporté la propriété au mari. La jurisprudence est en ce sens (2); et, sur ce point, il ne saurait y avoir de doute, puisque le texte de l'article 1443, combiné avec l'article 1540, le dit.

210. L'article 1443 contient une autre expression dont le sens doit être précisé : lorsque le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre que les biens de celui-ci ne soient point suffisants pour remplir les droits et reprises de la femme, celle-ci peut demander la séparation de biens. Que faut-il entendre par droits et reprises? Nous commençons parle mot reprises, qui a donné lieu à une interprétation erronée. On dit que la loi s'applique au cas où la femme a des droits et reprises à exercer en vertu de son contrat de mariage (3). Cela suppose une communauté conventionnelle; donc l'explication ne convient point à

(1) Toullier, t. VII, 1, p. 29, no 23.

(2) Gand, 15 janvier 1859 (Pasicrisie, 1859, 2, 363). (3) Troplong, t. I, p. 386, no 1322.

l'article 1443 qui se trouve dans le chapitre de la Communauté légale, laquelle existe quand les époux n'ont pas fait de contrat. Il faut donc voir quelles sont les reprises que la femme a à exercer sous le régime de communauté légale sans stipulation aucune. L'article 1472 qualifie de reprises les prélèvements que les époux exercent sur la masse avant d'en faire le partage; d'après l'article 1470, les époux reprennent leurs propres immobiliers quand ils existent en nature; s'ils ont été aliénés, ils reprennent les biens qui ont été acquis en remploi, ou le prix qui aura été versé dans la communauté. Les époux prélèvent encore ou ils reprennent les indemnités qui leur sont dues par la communauté; ce qui suppose que les époux ont des propres, car la communauté ne leur doit une indemnité que lorsqu'elle a tiré un profit des biens personnels des époux (art. 1433). Quand la femme a des reprises à exercer, elle a une action sur les biens du mari en cas d'insuffisance des biens communs; c'est à raison de ce recours qu'elle peut demander la séparation, aux termes de l'article 1443, lorsque le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre que les biens du mari ne soient point suffisants pour remplir les reprises de la femme.

Telle est l'explication légale du mot reprises; on ne saurait la contester, puisqu'elle est puisée dans le texte même de la loi. La jurisprudence l'a consacrée en décidant que les reprises de la femme, quoique éventuelles, lui permettent de demander la séparation de biens. Les reprises ne peuvent être exercées qu'à la dissolution de la communauté; en ce sens, elles sont toujours éventuelles; si la femme a des récompenses contre la communauté, la communauté peut aussi avoir des récompenses contre elle. Ces récompenses respectives se liquident après la dissolution de la communauté, c'est alors seulement que l'on peut calculer qui est créancier, qui est débiteur. Il y a plus; la cour de Liége a jugé que la femme pouvait demander la séparation quand même elle n'aurait pas de reprises acuelles à exercer; il suffit qu'elle puisse en avoir; et elle peut en avoir dès qu'elle a des propres. Le mari dont les affaires sont en désordre cherchera des ressources dans

les biens de la femme, dont il a l'administration et la jouissance; il les dégradera, il fera des coupes de bois qu'il n'a pas le droit de faire, il consentira des baux ruineux pour la femme, en stipulant des pots-de-vin à son profit; il extorquera de sa femme le consentement de vendre ses propres et emploiera le prix à payer ses dettes. Voilà bien des causes de reprises futures, éventuelles, il est vrai, mais que le désordre même des affaires du mari réalisera; et ce désordre qui donne lieu aux reprises mettra en même temps la femme dans l'impossibilité de les exercer, puisque le mari dissipera ses propres biens comme il dissipera les biens de la femme. Il faut donc permettre à celle-ci de demander la dissolution de la communauté pour empêcher sa ruine, qui serait certaine (1).

211. Reste le mot droits. Quels sont les droits à raison desquels la femme peut demander la séparation? On pourrait croire que la loi entend garantir tous les droits que la femme peut avoir sous le régime de communauté, quels qu'ils soient. C'est bien à ce principe qu'aboutissent la doctrine et la jurisprudence, et le principe ainsi formulé est fondé en raison. La femme est associée, mais associée dépendante, elle n'a aucun moyen d'empêcher le mari de mal user de son autorité absolue; c'est comme garantie contre ce despotisme que la loi donne à la femme le droit de rompre une société qui ne répond pas au but dans lequel elle a été contractée. Ce n'est pas pour perdre ses droits que la femme devient associée, c'est pour les conserver et les accroître; si donc le désordre des affaires du mari compromet un droit quelconque de la femme, elle doit avoir le droit d'agir en séparation.

Telle est la vraie théorie : mais est-ce là le sens du mot droits dans l'article 1443? La négative est certaine. En effet, la loi limite le sens vague du mot droits en disant que ces droits doivent donner à la femme une action sur les biens du mari, action que le désordre de ses affaires menace de rendre inefficace. Il faut donc voir quels sont

(1) Liége, 3 juillet 1830 (Pasicrisie, 1830, p. 170) et 3 juillet 1833 (ibid., 1833, 2, 191).

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