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l'article 1498, qui parle de l'industrie commune des époux et qui reçoit son application à la femme et au travail qui constitue sa mission. Nous invoquons aussi la tradition. On lit dans un acte de notoriété du Châtelet: « Il n'est pas juste d'attendre que le bien qui a été acquis ex mutua collaboratione soit dissipé et qu'une femme qui justifie que son mari, par ses déréglements, vergit ad inopiam, peut demander la séparation et le partage de la communauté (1). Voilà le principe tel que nous l'avons formulé; c'est l'industrie commune des époux, comme dit l'article 1498, qui est, dans la plupart des familles, le seul élément de la communauté; la femme y a certes sa part; en ce sens, elle a une dot, donc elle doit avoir le droit de demander la séparation quand le fruit de ses économies est dissipé et qu'elle menace de rester sans ressource. Toutefois la question reste douteuse, et l'on conçoit que les auteurs (2) ainsi que les tribunaux (3) soient divisés.

217. Il nous reste à dire un mot des reprises; l'article 1443 permet à la femme de demander la séparation de biens quand le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre que les biens de celui-ci ne soient point suffisants pour remplir les droits et reprises de la femme. Nous avons expliqué le texte (n° 210), et l'application ne donne lieu à aucune difficulté en ce qui concerne les droits de la femme. Les reprises que la femme peut exercer sur les biens personnels du mari, en cas d'insuffisance de la communauté, sont le prélèvement des propres, ou du prix des propres, ou des indemnités auxquelles l'époux a droit quand la communauté a tiré un profit de ses propres. Il faut donc que la femme ait des propres pour avoir droit à des reprises. Il faut ensuite qu'il y ait désordre dans les affaires du mari et que ce désordre soit un danger pour la

(1) Pothier, De la communauté, no 520.

(2) Marcadé, t. V, p. 581, no 1 de l'article 1443; Troplong, t. I, p. 386, n° 1321; Rodière et Pont, t. III, p. 601, no 2101. En sens contraire, Aubry et Rau, t. V, p. 391, note 9, § 516, et les autorités qu'ils citent.

(3) Angers, 16 mars 1808 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1635); Liége, 5 juin 1833 (Pasicrisie, 1833, 2, 170). En sens contraire, Paris, 9 juillet 1811 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1637), et Metz, 14 avril 1821 (ibid, no 1646).

XXII.

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femme. D'abord la communauté sera mauvaise à raison de ces désordres, de sorte que la femme ne pourra pas exercer ses prélèvements sur les biens communs. Elle aura, en ce cas, un recours sur les biens du mari, mais ce recours peut aussi devenir illusoire par suite du désordre des affaires du mari. Dans ces circonstances, non-seulement la dot mobilière sera en péril, mais les propres mêmes de la femme risquent d'être engloutis dans le naufrage il ne lui reste qu'une voie de salut, c'est la séparation de biens (1).

No 3. DES PREUVES.

218. La femme qui demande la séparation de biens doit prouver l'existence des causes pour lesquelles la loi lui permet de poursuivre la dissolution de la communauté. En quoi consiste cette preuve? Cette question donne lieu à de nombreuses difficultés. Nous croyons qu'elles tiennent à la confusion que font la plupart des auteurs des deux causes pour lesquelles la séparation peut être demandée: le péril de la dot et le péril des reprises. Si l'on admet que les deux causes n'en constituent qu'une seule, il en résulte qu'il faut appliquer au péril de la dot ce que la loi dit des reprises, c'est-à-dire qu'il faudra que la femme prouve, dans tous les cas, le désordre des affaires du mari, et qu'elle prouve que ce désordre donne lieu de craindre que ses biens ne soient point suffisants pour remplir les droits de la femme, soit quant à sa dot, soit quant à ses reprises.

A notre avis, le texte de la loi résiste à cette interprétation. La dot de la femme, sous le régime de communauté légale, ne donne jamais lieu à une action sur les biens personnels du mari, car cette dot entre en communauté et la femme n'y a plus aucun droit; ses effets mobiliers et ses revenus se confondent dans la masse, la femme n'y a plus droit que comme copartageante; quand même

(1) Il n'y a pas à distinguer entre les reprises actuelles et les reprises futures. Bruxelles, 12 décembre 1832 (Pasicrisie, 1832, p. 288).

le mari aurait dissipé tous ses revenus et toute sa fortune mobilière, c'est-à-dire toute sa dot, la femme n'aurait, de ce chef, aucune action sur les biens du mari. Donc il est impossible d'appliquer au péril de la dot dont parle le commencement de l'article 1443 ce que dit la fin de cet article en parlant des droits et reprises de la femme; car si ces reprises donnent à la femme le droit d'agir en séparation, c'est parce que la femme peut les poursuivre sur les biens personnels du mari; c'est seulement en ce cas qu'il y a lieu de prouver le désordre des affaires du mari et l'insuffisance de ses biens personnels. Le péril de la dot existe indépendamment de l'insuffisance des biens du mari; cette cause de séparation n'a rien de commun avec les biens du mari, parce que la femme n'a aucune action sur ces biens à raison de sa dot. Il faut donc de toute nécessité distinguer les deux causes qui donnent lieu à la séparation; chacune a ses conditions particulières, donc chacune a aussi ses preuves spéciales.

I. Quand la dot est-elle mise en péril?

219. La dot de la femme comprend sa fortune mobilière présente et future et les revenus de ses propres. Nous commençons par le capital mobilier. S'il est mis en péril, la femme peut demander la séparation. Quand peut-on dire que la dot mobilière est mise en péril? Le péril ne concerne pas la restitution de la dot, car la dot n'est pas restituée à la femme, celle-ci n'a aucune action de ce chef contre le mari; le péril n'existe donc que relativement à l'emploi de la dot. Pourquoi la femme l'apporte-t-elle au mari? La loi le dit, c'est pour subvenir aux charges du mariage; ajoutons et pour faire fructifier et prospérer la mise sociale des deux époux. Toute société est contractée dans un esprit de gain (art. 1832); la communauté ne fait pas exception : les époux cherchent à augmenter leur fortune, moins pour se procurer à eux-mêmes de plus grandes jouissances que pour élever et établir leurs enfants. Telle est la destination de la dot dans l'intention des parties contractantes. Si cette destination n'est pas remplie, la dot est

mise en péril; car si le mari, au lieu d'employer la dot aux besoins actuels et futurs de la famille, la dépense, la dissipe, la femme ne retrouvera même plus sa mise lors de la dissolution de la communauté. Comment prévenir la ruine qui la menace? Le mari a un pouvoir absolu d'user et d'abuser; la femme ne peut pas intervenir dans son administration, elle ne peut pas s'opposer aux actes de mauvaise gestion; il ne lui reste qu'un moyen pour sauver sa dot, c'est de demander la dissolution de la communauté. Que doit-elle prouver pour l'obtenir? Le péril de sa dot, c'est-à-dire que le mari ne l'emploie pas à sa destination légale et conventionnelle.

Tel est le texte et tel est l'esprit de la loi quand la femme demande la séparation, parce que sa dot est en péril. Faut-il de plus qu'elle prouve le désordre des affaires du mari et l'insuffisance de ses biens? Dans notre opinion, la question n'a pas de sens. Si la loi parle de l'insuffisance des biens du mari, c'est parce que la femme a un recours sur ces biens pour l'exercice de ses reprises. Or, la dot mobilière ne donne lieu à aucune reprise, à aucune action sur les biens personnels du mari; il serait donc absurde d'obliger la femme à prouver que les biens du mari sont insuffisants pour remplir la femme de ses droits, alors qu'elle n'a pas de droit sur ces biens. Quant au désordre des affaires du mari, la loi n'en parle que pour en induire qu'il est à craindre que les biens du mari ne suffisent pas pour l'exercice des reprises de la femme. Donc la femme ne doit pas prouver le désordre quand il s'agit uniquement du péril de la dot.

Dira-t-on que le péril de la dot, tel que nous l'entendons, accuse aussi un certain désordre, sinon dans les affaires personnelles du mari, du moins dans la gestion de la communauté? Sans doute, puisque, au lieu d'employer la dot de la femme à sa destination, il en abuse pour des dépenses qui ruineront la communauté. Ainsi le désordre que suppose le péril de la dot concerne l'administration de la communauté; le mari, au lieu d'user de son pouvoir de seigneur et maître pour accroître et enrichir la communauté, en abuse. Si cette mauvaise gestion continue, la

ruine de la femme est au bout, la dot est en péril; voilà pourquoi la femme a le droit de demander la séparation de biens. Que doit-elle prouver? Rien, sinon que le mari n'emploie pas la dot à sa destination conventionnelle et légale. Il se peut qu'il n'y ait aucun désordre dans les affaires du mari: il ménage ses biens, il dissipe les biens communs. Est-ce à dire que la demande en séparation ne sera pas admise? Dans l'opinion générale, il faudrait le dire, puisque l'on enseigne que la femme doit prouver le désordre et l'insuffisance des biens du mari. Cela est absurde. Qu'importe à la femme que les biens du mari soient gérés avec soin, si sa dot à elle est dissipée et s'il ne lui restera rien de sa fortune?

220. D'excellents auteurs ont aperçu qu'il y avait une distinction à faire entre le péril de la dot et le péril des droits et reprises. Aubry et Rau enseignent que la femme qui demande la séparation, en se fondant sur le péril que court sa dot, doit prouver que le danger qu'elle allègue a pour cause la mauvaise administration ou la conduite déréglée du mari (1). C'est dépasser la loi. Il est bien vrai que lorsque le mari n'emploie pas la dot de la femme à sa destination conventionnelle et légale, la cause en est d'ordinaire ou une vie de débauche, ou une gestion mauvaise; de sorte que le mari dissipe la dot de la femme par ses excès, ou elle devient la proie de ses créanciers. Mais la loi ne demande pas que la femme prouve la cause du péril que court sa dot, elle exige seulement que la dot soit en péril et que le fait soit constant. Colmet de Santerre dit très-bien que la loi n'a pas voulu obliger la femme de prouver l'inconduite du mari, ou son incapacité, ou ses ruineuses spéculations; si on l'y obligeait, la plupart des femmes reculeraient devant l'action en séparation; en établissant une garantie en faveur de la femme, la loi a dû veiller à ce que l'action de la femme fût possible; or, elle serait impossible si la femme, pour obtenir la séparation de biens, devait couvrir son mari de honte (2). On oublie

1) Aubry et Rau, t. V, p. 392 et note 14. § 516.
(2) Colmet de Santerre, t. VI, p. 233, no 91 bis IX.

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