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60,000 francs avait été dissipée et que le mari était hors d'état de remplir les droits et reprises de la femme; elle rejeta néanmoins la demande en séparation en se fondant sur une garantie hypothécaire fournie par le père du défendeur. On ne voit pas, par l'arrêt, sous quel régime les époux étaient mariés. Sous le régime de communauté, il ne peut être question de la restitution d'une dot mobilière; donc, de ce chef, il n'y avait pas lieu à séparation de biens. Il pouvait seulement y avoir péril de la dot, en ce sens que la dot étant dissipée, le mari ne pouvait plus l'employer à sa destination légale. L'arrêt de cassation ne dit rien sur ce point, de sorte qu'en définitive on ne sait que la cour suprême a voulu dire. Elle dit que la loi fait dépendre le droit de faire prononcer la séparation de biens, non des chances plus ou moins assurées de la restitution de la dot à la fin du mariage, mais du fait de la mauvaise administration du mari, par suite de laquelle la dot se trouve actuellement compromise et à plus forte raison quand la dot est dissipée (1). Si cela veut dire que la femme agissait en séparation pour péril de la dot dans le sens légal du mot, la cour a raison; mais alors il était inutile de parler de la restitution de la dot et des garanties qui l'assurent, car les fruits de la dot appartiennent au mari et ne doivent être restitués sous aucun régime. Seulement les revenus de la femme ont une destination légale; si le mari les dissipe, la femme peut agir en sé paration.

Un arrêt de la cour d'Orléans distingue nettement ce que la cour de cassation semble confondre. Autre chose est la dot, autre chose sont les reprises. Les reprises s'exercent à la dissolution du mariage ou de la communauté, elles ont pour objet de garantir à la femme la propriété de ses biens. Si la femme a cette garantie dans une hypothèque légale ou autre, elle ne pourra agir en séparation en se fondant sur l'insuffisance des biens du mari. La dot, au contraire, sous le régime de communauté, n'est point restituée; elle a une destination légale, celle de

(1) Cassation, 27 avril 1847 (Dalloz, 1847, 1, 125).

subvenir aux frais du ménage, à l'entretien et à l'éducation des enfants. Si la dot est détournée de cette destination, elle est en péril, dans le langage du code, et, par suite, la femme peut demander la séparation de biens (1).

230. Il y a des faits qui altèrent plus ou moins les rapports pécuniaires des époux et portent même atteinte aux conventions matrimoniales. En résulte-t-il que la communauté est dissoute de plein droit, ou qu'elle peut du moins être dissoute sur la demande de la femme?

La faillite du mari autorise la femme à demander la séparation de biens. Cela va sans dire, la dot est en péril, pour mieux dire, elle a péri, puisque les créanciers s'emparent de l'actif de la communauté n'est-ce pas une raison pour déclarer l'association conjugale dissoute? Non, car le principe est que les conventions matrimoniales ne sont rompues que pour les causes déterminées par la loi; or, le code ne place pas la faillite parmi les causes de dissolution (art. 1441). Cela est décisif; car il ne peut y avoir de dissolution de plein droit qu'en vertu de la loi. Cependant un auteur estimé écrit que la faillite opère de plein droit la dissolution de la communauté. Comment, dit-on, le mari conserverait-il l'administration des biens de la femme quand il a perdu l'administration des siens propres, et à quel titre pourrait-il jouir de fruits affectés à des charges qu'il ne peut plus supporter (2)? Il est trèsvrai que la situation du mari est gravement altérée et, en théorie, on en pourrait conclure que le contrat de communauté est rompu (art. 1865, 4°). Il en est ainsi de la société ordinaire; mais la communauté est assujettie à des règles spéciales; ce n'est pas l'article 1865 qui décide la question, c'est l'article 1441; et le silence de la loi, en ce qui concerne la faillite, ne permet pas de soutenir que la communauté est dissoute de plein droit. Il y a plus: l'article 1446 implique que la communauté subsiste en cas de faillite du mari; si elle était dissoute, la loi n'aurait pas

(1) Orléans, 7 août 1845 (Dalloz. 1846, 2, 114). Comparez Montpellier, 20 janvier 1852 (Dalloz, 1852, 2, 170).

(2) Rodière et Pont, t. III, p. 605, no 2106.

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besoin de recourir à une fiction pour considérer la communauté comme dissoute à l'égard des créanciers; la fiction prouve que la communauté subsiste entre époux, malgré la faillite. L'opinion de Rodière et Pont est restée isolée, car nous ne prenons pas au sérieux ce que dit Troplong que la séparation a en quelque sorte lieu de plein droit lorsque le mari tombe en faillite (1). Qu'est-ce qu'une dissolution en quelque sorte? C'est ne rien dire. La jurisprudence admet la femme à demander la séparation en cas de déconfiture et en cas de faillite, mais on n'a même jamais prétendu devant les tribunaux que la communauté fût dissoute de plein droit (2).

231. L'état de démence du mari autorise-t-il la femme à demander la séparation de biens? Tant que la démence du mari n'est pas légalement constatée par son interdiction, il ne peut pas s'agir d'une dissolution de plein droit. Il est même très-douteux que la femme puisse, de ce chef, demander la séparation. L'affirmative a été jugée par le tribunal de la Seine. Le tribunal dit que l'état de démence constitue un péril incessant pour la femme, soit en ce qui concerne sa dot, soit en ce qui concerne ses reprises. En effet, le mari incapable d'administrer doit nécessairement compromettre les intérêts de la communauté et ceux de la femme. C'est par cette considération que la loi veut qu'il soit interdit; l'interdiction a uniquement pour objet de sauvegarder les intérêts de la famille et de la personne aliénée; c'est dire que s'il n'y a pas interdiction, il y a péril pour la femme (3). Un autre tribunal s'est prononcé pour l'opinion contraire (4). En théorie, nous préférerions la décision du tribunal de la Seine. Ce n'est pas à un mari en démence que le contrat de mariage a confié l'administration de la communauté et des biens personnels de la femme; laisser un pouvoir absolu dans les mains d'un homme qui ne jouit pas de sa raison, c'est aller au-devant

(1) Troplong, t. I, p. 405, no 1395.

(2) Liége, 25 novembre 1824 (Pasicrisie, 1824, p. 229); 3 juillet 1830 (ibid.. 1830, p. 170). Gand, 31 décembre 1859 (ibid., 1860, 2, 86).

(3) Jugement du tribunal de la Seine, 18 mars 1868 (Dalloz, 1868, 3, 23), et 25 août 1868 (Dalloz, 1870, 3, 79).

(4) Lyon, 15 janvier 1868 (Dalloz, 1868, 31).

des abus. D'ailleurs ce fait qui survient pendant la durée de la communauté change radicalement la situation des parties contractantes; la démence du mari rompt la société de fait, donc la loi devrait permettre de la rompre en droit. Mais il ne s'agit point de ce que le législateur aurait dû faire, il s'agit de savoir ce qu'il a fait. Il a déclaré la communauté irrévocable, et il n'a permis la dissolution que par sentence du juge, rendue pour les causes qu'elle prévoit dans l'article 1443. Vainement dit-on que la loi n'est pas restrictive. Nous l'admettons; en fait, la femme pourra demander la séparation en prouvant que la démence du mari a pour effet de mettre en péril sa dot ou ses reprises. Mais c'est à elle d'en faire la preuve. Dire qu'il y a péril par cela seul que le mari est en démence, c'est dispenser la femme de la preuve par une présomption: est-ce que l'interprète peut créer des présomptions et intervertir l'ordre des preuves que la loi établit? 232. Que faut-il décider si le mari est interdit? La question est la même. En théorie, il y aurait un motif de plus de rompre la société de biens qui existe entre époux. La femme s'est associée avec son futur époux, et voilà qu'on nomme un tuteur au mari et, par suite, la femme se trouve associée avec le tuteur. Le contrat rompu en fait devrait être rompu en droit. Mais le code ne consacre pas cette théorie : l'article 1441 ne place pas l'interdiction parmi les causes qui dissolvent la communauté et l'article 1443 ne permet de la dissoudre que lorsque les droits de la femme sont en péril. C'est à elle d'en fournir preuve. Dire que la preuve existe par le fait seul de l'interdiction, c'est créer une présomption que la loi ignore. La doctrine (1) ainsi que la jurisprudence (2) sont divisées. Cela se comprend; il y a conflit entre l'esprit de la loi et le texte; mais, dans l'espèce, le texte, pour mieux dire,

la

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 396, note 16, § 516, et les autorités qu'ils citent. En sens contraire, de Folleville, dans la Revue critique, 1870, t. XXXVI, p. 481.

(2) Lyon, 11 novembre 1869 (Dalloz, 1870, 2, 69). Paris, 18 mars 1870 (Dalloz, 1870, 2, 102). Comparez Lyon, 20 juin 1845 (Dalloz, 1846, 2, 152). En sens contraire, Jugement du tribunal de la Seine, 18 mars 1868 (Dalloz, 1868, 3, 23).

le silence de la loi doit l'emporter. Ce qu'on appelle esprit de la loi ne sont que des considérations à l'adresse du législateur.

Nous ne parlons pas de l'interdiction légale, elle n'existe plus en Belgique (t. Ier, no 404). En droit français, la question est controversée. A notre avis, il faut appliquer à l'interdiction légale ce que nous venons de dire de l'interdiction judiciaire (1).

233. Nous croyons qu'il en faut dire autant de l'état de contumace. Il y a d'excellentes raisons pour permettre à la femme de demander la séparation de biens de ce chef. Le jugement a pour effet de mettre les biens du contumax sous séquestre et d'en confier l'administration à la régie des domaines. Voilà certes une rupture du contrat de mariage; on devrait donc permettre à la femme de demander la dissolution de la communauté (2). Mais le code n'a pas placé la contumace parmi les causes de dissolution, et la séparation judiciaire ne peut être prononcée que sur la preuve fournie par la femme que sa dot ou ses reprises sont en péril; or, il n'y a plus de péril quand c'est une administration publique qui gère les biens. Toujours est-il que la femme n'a pas entendu s'associer avec la régie des domaines. Il y a lacune dans la loi : nous la . signalons au législateur.

No 4. DES FINS DE NON-RECEVOIR.

234. Les maris ont essayé de repousser les demandes en séparation par des fins de non-recevoir. Aucune n'a été admise et ne pouvait l'être, bien que l'équité semblât plaider en faveur des maris. La loi donne à la femme le droit de demander la séparation; ce droit tient à l'essence même de la communauté légale, régime sous lequel le mari a tout pouvoir et la femme n'en a aucun. Comme contre-poids à cet absolutisme, la loi permet à la femme

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 393, note 17, § 516, et les auteurs, en sens divers, qu'ils citent.

(2) C'est l'avis de Rodière et Pont, t. III, p. 603, no 2104, suivi, quoique avec hésitation, par Aubry et Rau, t, V, p. 393, note 18, § 516.

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