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de rompre l'association conjugale quand les faits attestent que la communauté ne répond pas au but dans lequel elle à été contractée. Si l'on permettait au mari de repousser la demande en séparation par une fin de non-recevoir, on empêcherait la femme d'exercer son droite. Le législateur seul, qui lui donne ce droit, pourrait déterminer les cas dans lesquels la femme serait non recevable à l'exercer; or, la loi n'établit aucune fin de non-recevoir, donc il n'y

en a pas.

235. Le mari prétend que la femme est non recevable à demander la séparation de biens, parce que les opérations qui ont converti sa fortune et celle de sa femme en créances litigieuses et irrecouvrables ont été faites sur les conseils et les excitations de celle-ci, qui cherchait à favoriser sa famille aux dépens de son mari. Cette thèse, soutenue devant la cour de Gand par le mari plaidant luimême, ne trouva pas faveur. La cour lui répond que, dans le système du code, le mari est seul chef de la communauté, qu'il l'administre seul et en dispose sans le concours de sa femme, qu'il est encore seul administrateur des biens de sa femme; seigneur et maître, comme disaient nos coutumes, il doit subir les conséquences de son autorité absolue; s'il gère seul, il est aussi seul responsable de sa gestion. Que s'il écoute et suit les conseils de sa femme, s'il l'admet à concourir à sa gestion, il le fait à ses risques et périls. Légalement, la femme est hors de cause, aucune responsabilité ne saurait peser sur elle; par suite on ne peut pas la déclarer non recevable quand elle exerce son droit et qu'elle agit en séparation (1).

236. Il arrive souvent que le désordre des affaires du mari provient de dépenses qui excèdent sa fortune, et ces dépenses, c'est la femme qui les fait, c'est elle qui y pousse; quand ensuite elle vient demander la dissolution de la communauté, elle a certes mauvaise grâce d'imputer au mari les folles dépenses qu'elle-même a provoquées. Toutefois le mari aussi est en faute; il est le maître, son devoir est de ne pas permettre de dépenses excessives, car il sait

(1) Gand, 15 janvier 1859 (Pasicrisie, 1859, 2, 363).

que les conséquences retomberont sur lui et que sa femme, après l'avoir ruiné, pourra demander la dissolution d'une société dont elle a causé la ruine (1). Cela est dur, et Troplong n'a pas tort de réclamer au nom de l'équité contre cette rigueur. On dit que le mari ne peut trouver une fin de non-recevoir dans sa faiblesse et son incurie. Soit. Mais la femme peut-elle trouver un principe d'action dans son inconduite (2)? La réponse est que le mari a le pouvoir, et qu'il en doit user pour refréner le goût du luxe qui le conduira infailliblement à sa ruine; celui qui seul est le maître est aussi seul responsable.

237. La femme déserte le domicile conjugal. Est-ce que le mari peut lui opposer ce fait comme fin de nonrecevoir à la demande en séparation? Non, d'après l'avis unanime des auteurs (3) et d'après la jurisprudence (4). Il est vrai que la femme viole son devoir en refusant d'habiter avec son mari; devant la cour de Bruxelles, on lui a opposé cette violation d'une obligation légale comme une fin de non-recevoir résultant de la nature des contrats synallagmatiques. Celle des parties qui manque à ses engagements ne peut pas demander la résolution de la convention; on lui opposerait l'exception non adimpleti contractus. N'en peut-on pas dire autant de la femme qui vient demander la dissolution de la société conjugale, alors qu'elle-même l'a rompue de fait? La cour répond que l'argument confond les deux sociétés qui existent entre les époux le devoir de cohabitation concerne la société des personnes et n'a rien de commun avec la société des biens. Quand il s'agit de la société de biens, on ne peut reprocher à la femme d'avoir manqué à une obligation, car elle n'a pas plus d'obligations que de droits pendant la durée de la communauté. Quitte-t-elle le domicile conjugal, elle

(1) Angers, 22 février 1828 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1655). Rodière et Pont, t. III, p. 597, no 2094. Aubry et Rau, t. V, p. 394, note 28, § 516.

(2) Troplong, t. I. p. 388, no 1334.

(3) Aubry et Rau, t. V, p. 394, note 19, § 516. Rodière et Pont, t. II, p. 609, no 214.

(4) Voyez les arrêts dans le Répertoire de Dalloz, au mot Contrat de ma riage, no 1667).

manque à ses devoirs de femme mariée; ce qui peut motiver contre elle une demande en divorce ou en séparation de corps, mais elle ne viole pas une obligation de femme commune en biens. Tout le droit appartient au mari, et lui seul a des obligations. Voilà pourquoi le mari ne peut pas demander la séparation de biens, mais on peut la demander contre lui (1). A plus forte raison, le mari ne peut-il pas reprocher à la femme d'avoir abandonné le domicile conjugal quand l'inconduite du mari ou les sévices dont il s'est rendu coupable ont forcé la femme à fuir un domicile où elle ne trouvait plus ni sécurité ni honneur (2). Que si la femme a déserté le domicile conjugal sans qu'il y ait une faute à reprocher au mari, celui-ci a une action contre elle, mais cette action n'a rien de commun avec la séparation de biens que la femme demande; elle ne peut donc pas lui être opposée comme fin de non-recevoir.

238. On a encore opposé comme fin de non-recevoir à la femme les détournements dont elle se serait rendue coupable et qui auraient amené la ruine de la communauté. Le fait doit être assez fréquent à en juger par les nombreux arrêts qui ont rejeté cette fin de non-recevoir; c'est la mieux fondée en apparence, puisqu'elle tend à prouver que la femme est la première cause du désordre de la communauté dont elle se plaint: peut-elle invoquer son délit pour y fonder une action? On répond qu'elle ne fonde pas la demande en séparation sur le délit de détournement, elle la fonde sur l'article 1443. C'est au mari de veiller à ce que la communauté ne soit pas dilapidée ni dépouillée. On voit que la réponse est toujours la même : le mari est le seigneur et maître; il doit supporter les conséquences de son autorité absolue (3).

(1) Bruxelles, 12 décembre 1822 (Pasicrisie, 1822, p. 301).

(2) Voyez les arrêts rapportés dans le Répertoire de Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1677.

(3) Bruxelles, 5 mai 1824 (Pasicrisie, 1824, p. 111) et les arrêts rapportés dans le Répertoire de Dalloz, au mot Contrat de mariage, nos 1678-1631Rodière et Pont, t. III, p. 609, no 2112.

§ III. De la procédure.

239. La procédure est étrangère à notre travail; toutefois il y a des exceptions. Nous avons dû traiter de la procédure en divorce et en séparation de corps à cause du lien intime qui existe entre cette procédure et le droit. Il en est de même de la séparation de biens; nous allons dire les motifs des règles spéciales que la loi établit en cette matière ; les conséquences qui résultent de leur inobservation sont graves: c'est la nullité. Ce serait donc donner une idée incomplète de la matière que de se borner aux principes du pur droit civil; nous n'entrerons pas dans la discussion des questions de procédure, mais nous devons au moins exposer la doctrine admise par les auteurs et consacrée par la jurisprudence.

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240. La femme, en matière civile, ne peut jamais ester en jugement sans autorisation de son mari (art. 215). Mais quand il s'agit de poursuivre la séparation de biens contre le mari, on conçoit que la loi n'exige pas l'autorisation maritale; elle n'exige pas même l'autorisation de justice proprement dite, c'est-à-dire celle du tribunal. Aux termes de l'article 865 du code de procédure, « aucune demande en séparation de biens ne pourra être formée sans une autorisation préalable que le président du tribunal devra donner sur la requête qui lui sera présentée à cet effet. Pourra néanmoins le président, avant de donner l'autorisation, faire les observations qui lui paraîtront convenables. Ainsi le président remplace le tribunal, et son autorisation tient lieu de celle du mari; la loi ajoute que l'autorisation ne peut être refusée. Pourquoi doit-elle être donnée à la femme qui la demande? Parce que la femme exerce un droit, et un droit qui tient à l'essence de la communauté; dès lors il fallait lui permettre d'agir et, par suite, il était inutile de s'adresser au mari ou au tribunal. Si le président intervient, c'est d'abord pour couvrir l'incapacité de la femme; puis il est appelé à faire des observations à la femme, dit l'article 865. Une demande en séparation qui ne serait pas fondée jetterait la désunion

dans la famille. Le président doit donc s'enquérir des motifs pour lesquels la femme demande la séparation, et lui donner, à ce sujet, les conseils que la prudence commande (1).

On a prétendu qu'outre l'autorisation du président, que l'article 865 exige comme mesure préalable, la femme devait obtenir l'autorisation définitive de son mari. La jurisprudence a repoussé cette interprétation, contraire au texte comme à l'esprit de la loi. Si l'autorisation du mari était requise, la loi n'aurait pas fait intervenir le président pour autoriser la femme; et si la loi veut, en principe, que la femme soit autorisée, c'est que le mari peut refuser l'autorisation; quand il est forcé de la donner, il est inutile de la demander. Il ne s'agit que d'une formalité, et il est dans les convenances que le président la remplisse plutôt que le mari (2).

L'autorisation requise pour couvrir l'incapacité de la femme est, en général, spéciale; elle n'habilite la femme qu'à faire l'acte pour lequel elle est accordée. Il n'en est pas de même de l'autorisation que le président donne à la femme pour agir en séparation. La cour de cassation a jugé que cette autorisation habilite la femme à agir à tous les degrés de juridiction; il y a plus; la cour de Bruxelles a décidé que la femme pouvait, en vertu de l'autorisation. du président, poursuivre l'instance en liquidation de ses droits, cette instance étant une suite nécessaire de la demande en séparation (3). La raison juridique est que l'autorisation n'est que de forme, elle ne peut être refusée; dès lors il est inutile de la renouveler.

241. Ce n'est pas seulement l'introduction de la demande en séparation qui est soumise à des règles spéciales. Toute la procédure est gouvernée par des règles particulières. La raison en est que l'expérience de tous les temps atteste que les séparations de biens ont souvent pour but

(1) Rodière et Pont, t. III, p. 616, nos 2122 et 2123. Lyon, 22 mars 1836 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1719).

(2) Rejet, chambre civile. 15 juillet 1867 (Dalloz, 1867, 1, 321), Gand, 26 décembre 1834 (Pasicrisie, 1834, 2, 286).

(3) Arrêt précité (note 2) et Bruxelles, 27 mars 1858 (Pasicrisie, 1859, 2,242).

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