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serve la faculté de les exercer lors de la mort de son mari.» Un droit de survie est un droit conditionnel, comme le mot même le dit; la femme ne peut l'exercer que si elle survit; or, quand la communauté se dissout par toute autre cause que la mort, on ne sait pas qui survivra; il ne peut être question d'exercer un droit conditionnel tant que la condition n'est pas accomplie. Ce n'est pas là un principe spécial à la femme, puisque c'est une conséquence de la nature du droit. Il faut appliquer au mari ce que l'article 1452 dit de la femme. Si la loi ne parle que du mari, c'est probablement parce que, dans le chapitre de la Séparation de biens, il n'est question que des droits de la femme.

276. La loi aurait dû accorder des garanties à la femme séparée pour ses droits de survie, comme elle le fait quand la femme a droit à un préciput conventionnel en cas de survie, et que la communauté vient à se dissoudre par le divorce ou la séparation de corps. Nous reviendrons sur l'article 1518, qui est également incomplet. Dans le cas de séparation de biens, la loi ne contient aucune disposition particulière; on reste, par conséquent, sous l'empire du droit commun. La femme a un droit conditionnel, et tout créancier conditionnel peut faire les actes conservatoires de son droit (1). Nous renvoyons au titre des Obligations pour ce qui concerne les actes que le créancier est autorisé à faire. On enseigne que la femme qui renonce à la communauté peut exiger de son mari une caution pour la restitution de ses droits de survie. Cela nous paraît très-douteux. Il est vrai que l'article 1518 donne ce droit à la femme qui a obtenu le divorce ou la séparation de corps lorsque le contrat de mariage stipule un préciput en sa faveur; mais c'est une disposition tout à fait exceptionnelle. Le créancier ne peut jamais exiger une caution, sauf dans les cas où la loi lui donne ce droit; or, l'article 1518 ne parle pas de la femme séparée de biens; ce silence est décisif. On enseigne encore que la femme peut exercer son hypothèque légale dans les ordres

(1) Rodière et Pont. t. III, p. 675, no 2219.

ouverts sur les biens du mari, à raison des donations entrevifs qu'il lui a faites en cas de survie (1). Cela nous paraît aussi douteux; nous renvoyons l'examen de la difficulté au titre des Hypothèques.

277. L'incertitude dans laquelle les époux se trouvent quant à leurs droits de survie et l'absence de toute garantie pour le cas où ils survivront les portent à transiger. On demande si la transaction est valable. La cour de cassation distingue quand la transaction n'implique pas de convention sur une succession future, elle est valable, tandis qu'elle est nulle si elle contient un pacte successoire.

Le contrat de mariage accordait à la femme une pension viagère en denrées pour le cas où elle survivrait. Elle transigea sur ce droit après avoir obtenu la séparation de biens. Les héritiers du mari prétendirent que la transaction était nulle comme renfermant un pacte successoire. Il a été très-bien jugé qu'il n'y avait, dans l'espèce, aucune convention sur une succession future. Ce qui trompe les personnes étrangères à la science du droit, c'est que les gains de survie de la femme s'ouvrent au décès du mari et s'exercent sur sa succession, mais il n'en résulte pas que ces droits fassent partie de la succession; en effet, la femme ne les exerce pas comme héritière, elle les exerce comme créancière en vertu d'un contrat; or, le créancier peut transiger sur ses droits éventuels (2).

Il en est autrement quand le droit de la femme consiste dans une donation de biens à venir. C'est ce qu'on appelle une institution contractuelle; le nom même prouve qu'il s'agit d'un droit héréditaire. Peu importe que ce droit soit stipulé par contrat, car il n'en résulte aucun droit actuel pour le donataire, sauf la qualité d'héritier; mais il est héritier, et, comme tel, il est appelé à accepter ou à renoncer; ce qui prouve que son droit ne s'ouvre qu'à la mort du donateur. Il suit de là que celui qui transige sur une institution contractuelle fait un pacte successoire: il échange un droit, éventuel quant à l'émolument héréditaire, contre

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 387, note 20, § 516, et les auteurs qu'ils citent.

(2) Rejet, 22 février 1831 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 3357).

un droit actuel : voilà bien un traité sur une succession future. Donc la transaction est nulle (1).

No 2. CONTRIBUTION AUX CHARGES.

278. La femme qui a obtenu la séparation de biens doit contribuer, proportionnellement à ses facultés et à celles du mari, tant aux frais du ménage qu'à ceux d'éducation des enfants communs. » En principe, ces charges pèsent sur les deux époux. L'article 203 dit que « les époux contractent ensemble, par le fait seul du mariage, l'obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants. » Aux termes de l'article 212, les époux se doivent mutuellement secours et assistance. L'article 214 porte que le mari est obligé de fournir à la femme tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état. Ces dispositions sont générales et s'appliquent à tous les régimes, mais ce sont les divers régimes qui déterminent comment les deux époux concourent à l'accomplissement des obligations que la loi leur impose, c'està-dire dans quelle mesure ils supportent les charges qui résultent du mariage. Régulièrement le mari jouit des biens que la femme apporte en dot; c'est par sa dot, dont elle abandonne la jouissance au mari, que la femme contribue aux charges du mariage (art. 1540). Il en est ainsi sous les régimes de communauté, d'exclusion de communauté et sous le régime dotal. Quand les époux sont séparés de biens, la femme a la jouissance de ses biens. Il a donc fallu déterminer comment elle contribue aux charges du mariage. La loi distingue. Sous le régime de séparation contractuelle, la femme contribue aux dépenses jusqu'à concurrence du tiers de ses revenus si les époux n'ont pas eux-mêmes fixé une autre proportion dans leurs conventions matrimoniales. Lorsque la séparation est judiciaire, la loi n'établit pas de proportion fixe, parce que régulièrement le mari est sans fortune, par suite du désordre

(1) Rejet, chambre civile, 16 août 1841 (Dalloz, au mot Obligations, no 447).

de ses affaires. La loi pose comme principe que les époux contribuent en proportion de leurs biens. C'est au juge à déterminer cette proportion. La décision du juge n'est pas fixe ni irrévocable, comme le sont d'ordinaire les jugements. En effet, la loi voulant une égalité proportionnelle, la proportion doit changer d'après la fortune des époux; les affaires du mari peuvent se rétablir; la base de la proportion changeant, la proportion doit également changer (1).

L'article 1448 ajoute que, s'il ne reste rien au mari, la femme doit entièrement supporter les dépenses du ménage et les frais d'éducation. C'est une conséquence des principes que la loi pose au titre du Mariage; nous venons de les rappeler. Les frais d'éducation pèsent également sur les deux époux, et le devoir d'assistance leur incombe à tous deux ; si l'un d'eux ne possède rien, la charge retombe pour le tout sur l'autre. Il en serait ainsi sous le régime de communauté, si la femme n'avait ni dot ni profession : le mari supporterait seul toute la charge. De même c'est la femme qui doit la supporter quand il ne reste rien au mari après la dissolution de la communauté, sauf à la femme à demander que le mari y contribue s'il revient à meilleure fortune.

279. L'application de ces principes a donné lieu à bien des contestations. Nous avons dit ailleurs que la doctrine et la jurisprudence considèrent l'obligation alimentaire soit comme solidaire, soit comme indivisible; d'après les textes et les principes, il faut dire qu'elle n'est ni indivisible ni solidaire; seulement elle peut incomber pour le tout à l'un des débiteurs si l'autre n'a pas de biens. C'est ce que dit l'article 1448. En disant que la femme doit supporter seule les frais de ménage et d'éducation, la loi parle de l'avenir, puisqu'il est question de la femme qui a obtenu la séparation de biens. Tant que la communauté dure, la femme contribue aux charges par sa dot, le mari seul est tenu des dépenses à l'égard des tiers. Il est arrivé

(1) Rodière et Pont, t. III, p. 652, nos 2181 et 2182. Paris, 4 avril 1835 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1949).

que la pension des enfants n'était pas payée, lors de la dissolution de la communauté; le mari étant insolvable, le créancier a poursuivi la femme, les tribunaux ont condamné la mère. Rien de plus juste au point de vue de l'équité, mais la décision est très-contestable sur le terrain du droit. La cour d'Agen commence par dire que l'obligation des père et mère de payer les frais d'entretien et d'éducation de leurs enfants est de droit naturel, antérieure et supérieure à toutes les législations. Cela est très-vrai en théorie; mais le droit naturel donnet-il une action au créancier contre le débiteur? Oui, si la loi a sanctionné le devoir que la nature impose. Non, si c'est une obligation purement naturelle. La cour ajoute que cette obligation est solidaire. Ceci est une erreur, puisqu'il n'y a de solidarité qu'en vertu de la loi ou des conventions, et, dans l'espèce, il n'y a ni convention ni loi. L'article 203, que la cour d'Agen cite, ne fait qu'établir un principe: l'application du principe est abandonnée aux divers régimes et varie d'après les conventions matrimoniales. La cour avoue que, pendant la durée de la communauté, c'est le mari qui doit remplir l'obligation que l'article 203 impose aux deux époux : quel que soit le désordre de ses affaires, quand même il serait insolvable, le créancier des frais d'éducation n'aurait aucune action contre la femme et, à la dissolution de la communauté, il n'a d'action contre elle que comme femme commune en biens, c'est-à-dire pour moitié si elle accepte, et si elle renonce il est sans action aucune. Cependant la cour décide, en se fondant sur la prétendue solidarité, que la femme pourra être poursuivie pour le tout à raison de la dette contractée pendant la durée de la communauté (1). Comment le créancier aurait-il action contre la femme alors que celle-ci ne s'est pas personnellement obligée? Et s'il n'a pas d'action pendant la communauté, comment pourrait-il agir contre elle après que la communauté est dissoute? Que l'on songe un instant aux conséquences du

(1) Agen, 18 juin 1851 (Dalloz, 1851, 3, 228). Dans le même sens, Agen. 13 juillet 1849 (Dalloz, 1849, 2, 168).

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